Il y a quarante-cinq ans, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, était assassiné Pier Paolo Pasolini.
Ernest Pignon-Ernest, David et Goliath,
détail (d'après Caravage)
réunissant les têtes tranchées de Caravage et de Pasolini
Nice, Musée d'art moderne et d'art contemporain
Ph., G.AdC
SALUTO E AUGURIO
A è quasi sigúr che chista
a è la me ultima poesia par furlàn ;
e i vuèj parlàighi a un fassista
prima di essi (o ch’al sedi) massa lontàn.
Al è un fassista zòvin,
al varà vincia doi àins:
al è nassút ta un país,
e al è zut a scuela in sitàt
[…]
« Ven cà, ven cà, Fedro.
Scolta. I vuèj fati un discors
ch'al somèa a un testament.
Ma recuàrditi, i no mi fai illusiòns
su di te : jo i sai ben, i lu sai,
ch'i no ti às, e no ti vòus vèilu,
un còur libar, e i no ti pos essi sensèir :
ma encia si ti sos un muàrt, ti parlarài.
[...]
Diffínt, conserva, prea :
ma ama i puòrs: ama la so diversitàt.
Ama la so voja di vivi bessòj
tal so mond, tra pras e palàs
là ch’a no rivi la peràula
dal nustri mond; ama il cunfín
ch’a àn segnàt tra nu e lòur;
ama il so dialèt inventàt ogni matina,
par no fassi capí; par no spartí
cun nissún la so ligria.
Ama il soreli di sitàt e la miseria
dai laris ;ama la ciar da la mama tal fí.
Drenti dal nustri mond, dis
di no essi borghèis, ma un sant
o un soldàt : un sant sensa ignoransa,
un soldàt sensa violensa. […]
SALUT ET SOUHAIT
Il est presque sûr que c’est là
mon dernier poème en frioulan
et je veux m’adresser à un fasciste
avant que lui, ou moi, soyons trop loin l’un de l’autre.
C’est un jeune fasciste,
il doit avoir vingt et un, vingt-deux ans:
il est né dans un village
et il est allé à l’école en ville
[…]
« Approche, approche-toi, Fedro.
Ecoute-moi. Je veux te tenir un discours
qui ressemble à un testament.
Mais sache bien que je ne me fais pas d'illusions
à ton sujet : je sais, je sais trop bien
que tu n'a pas et que tu ne veux pas avoir
le coeur libre et que tu ne peux pas être sincère :
mais même si tu étais un mort, je te parlerais.
[...]
[…] Défends, conserve, prie:
mais aime les pauvres :aime leur différence.
Aime leur désir de vivre seuls
dans leur monde, entre prés et palais,
où ne parvient pas la parole
de notre monde; aime la frontière
qu’ils ont tracée entre eux et nous;
aime leur dialecte inventé chaque matin
pour ne pas être compris; pour ne partager
avec personne leur allégresse.
Aime le soleil de la ville et la misère
des voleurs; aime chez le fils la chair de la mère.
Dans notre monde, affirme
que tu n’es pas un bourgeois, mais un saint
ou un soldat : un saint sans ignorance,
un soldat sans violence […]
Pier Paolo Pasolini, La Nouvelle Jeunesse, Poèmes frioulans 1941-1974, Gallimard, Collection du monde entier, 2003, pp. 293-296. Traduction du frioulan par Philippe Di Meo.
et pour lui, ce fut son dernier voeu, son dernier poème, son testament et d'autres par la suite ont continué à lutter contre l'injustice, à lutter contre les idées fausses car les idées peuvent être fausses et conduire à la mort de l'autre, toutes ces idées sont fausses et il le disait, il disait je sais tu mens.. et il a lancé son testament à la face du monde qui le lira et qui l'écoutera !
clem.
Rédigé par : clem | 02 novembre 2005 à 22:33
Je me suis permis d'utiliser un extrait de votre blog (un passage de l'article sur Pasolini). Si toutefois vous l'acceptez.
Bien à vous,
Vinc
Rédigé par : shep. | 02 décembre 2005 à 16:52
Pier Paolo Pasolini
Vers une nouvelle préhistoire ?
Persi le forze mie persi l’ingegno
la morte mi è venuta a visitare
« e leva le gambe tue da questo regno »
persi le forze mie persi l’ingegno.
Lamento per la morte di Pasolini de Giovanna Marini
(J’ai perdu mes forces perdu mon génie
La mort est venue me visiter
« ôte donc tes pieds de ce royaume-ci ! »
j’ai perdu mes forces perdu mon génie.)
Il ne peut plus parler, - peut plus parler, - plus parler, ce 2 novembre 1975. Les fils du MSI, les préposés au lynchage, à son propre massacre, ceux que Pasolini observait « avec le courage serein d’un savant », ceux du Parti fasciste ont finalement réussi à faire taire cet insupportable démon, ce poison de la vie politique italienne. Et, cela après tant de procès en inquisition, d’accusations et d’entraves à sa vie…
Pelosi dit « la grenouille » allait servir de bouc émissaire, d’assassin virtuel pendant trente ans, même si son rôle dans l’affaire demeure encore non-élucidé. Ce fut bien un crime d’Etat, un crime politique organisé par cette Italie sale et laide, puritaine et petite-bourgeoise, cette Italie que Pasolini haïssait de toutes ses fibres de poète élégiaque et de critique quotidien, car il ne voyait plus d’autre alternative.
En Italie (est-ce là une sanguinaire tradition, celle du bouc sacrifié ?) les grands incendiaires finissent au bûcher, de Jérôme Savonarole à Giordano Bruno. Sans oublier Giacomo Matteotti, assassiné lui aussi par un groupe fasciste sous la terreur mussolinienne. Pour Sartre, « la Société s’accommode plus facilement d’une mauvaise action que d’une mauvaise parole », car, avec le Mal, on ne transige pas, - IL TUE !
En tout cas, ils ont atteint leur but de massacreurs, il ne parle plus dans la presse, ni ailleurs. Pier Paolo Pasolini n’était pas l’ange mythique et légendaire qu’il est devenu, ange noir ou ange béatifiant d’innocence, malgré tout ce qu’on peut lire en France à son sujet. Pasolini était plutôt un diable, pas un faux-diable comme Edoardo Sanguineti, mais un vrai diable, comme il le disait de lui-même, lors d’un entretien télévisé.
Or, il y avait en lui, un grand poète doublé d’un prophète qui annonça l’agonie de ce monde. Il suffit pour cela de regarder La Rabbia (La Rage) de 1963 (film de 55 min), pour comprendre sa lucidité sur les événements à venir. Il préfigure l’œuvre cinématographique d’un Guy Debord, maître en détournements, mais Pasolini était d’abord un poète engagé avant d’être une conscience européenne de haute volée. Comme il nous manque cruellement aujourd’hui, à l’heure où Günter Grass révèle sa jeunesse nazie, lui, un de ces « prix Nobel de littérature »…
C’est un chant de deuil, du « cinéma de poésie », avec une bande son à deux voix distinctes qui forment un chœur tragique, un film d’amour irrécupérable qui fort m’étreint, avec pour sujet des images d’actualité à propos des douleurs et des crimes de notre temps de guerres et de barbarie d’hier et d’aujourd’hui. Il s’agit ici de l’époque de la guerre froide avec son danger de troisième guerre mondiale, les missiles de Cuba, les confrontations USA-URSS.
Ce poème de la réalité est fait d’atroces images et d’événements horribles. C’est le film (censuré lors de sa présentation) d’un homme endurant et coriace, un film d’amour plein de cette pure lumière, celle des larmes des sacrifices, larmes amères de la victoire ensanglantée du début de la décolonisation, un hymne aux humiliés, aux larmes des mères qui ont perdu maris et enfants dans les luttes. C’est un film dédié aux offensés des cinq continents, ceux qui luttent contre la haine et voient les portes d’accès à la richesse à jamais fermées, à ceux qui luttent tout simplement pour survivre, chaque jour, jusqu’au jour suivant.
La fin du film nous présente le cosmonaute Titoff qui dans un monologue imaginaire médite avec un cœur simple, sur sa révolution, autour de notre planète. Il affirme que de là-haut tous les humains sont des frères, plus de communistes à l’Est, ni de capitalistes à l’Ouest. Ils devraient cesser leur combat désespéré d’insectes dans la boue, semble nous souffler Pasolini. Autre regard du corps en apesanteur qui vole vers l’Occident, aussi léger qu’une hirondelle, aussi irrémédiable que le retour du mois de mai.
La Beauté fut assassinée, symbolisée ici par Marylin Monroe, il ne reste plus dès lors qu’à se tourner avec amour vers la force de la tradition du passé, et selon Pasolini, « seule la révolution peut sauver le passé ». Gardons mémoire de cet homme aux multiples facettes, proche de Jean Genet par ses luttes pour le peuple palestinien, par son soutien aux Black Panthers, et ses audacieuses prises de position, dans une époque de formatage avancé des esprits, où il n’y avait pas que les baleines bleues qui déjà disparaissaient…
Rédigé par : Serge Venturini | 02 novembre 2007 à 08:02