Jean-Honoré Fragonard
Jeune fille faisant danser son chien sur son lit,
dit à tort La Gimblette, vers 1770-1775
Huile sur toile, 89 x 70 cm
Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen,
Alte Pinakothek
Chère Françoise,
« Merci, merci pour votre coup de téléphone ! Votre voix m’a réchauffé, vos paroles m’ont touché le cœur. Je vis seul et on ne m’appelle jamais, ou bien par erreur, quelquefois. J’étais si triste de ne plus rien savoir de vous.
Ainsi, mon travail vous a aidée, j’en suis très content. On vous a félicitée pour votre dernier doublage ? Bravo ! Voici ma vie qui sert enfin à quelque chose […]
Mon domaine, c’est le vocabulaire. Je suis professeur de vocabulaire et je puis vous communiquer quelques mots assez expressifs et variés concernant l’aspect postérieur de l’acte sexuel que les Chinois appellent « prendre la porte par derrière ».
Vous verrez, c’est intéressant.
Avant de parler de l’acte lui-même, et de ceux qui s’y adonnent, parlons quelque peu de l’endroit. Le cul, autrement dit le derrière, le fondement, les fesses, le fessier, le postérieur, s’appelle aussi, en langage passe-partout, si j’ose dire, la base, le siège, le ballon, le croupion ou la croupe. En style résolument plus populaire, on dit la raie, le disque, le pétard, le popotin, le tralala, les doudounes, les miches. Plus triviaux, voici le fion et l’oignon, qui s’appliquent plus précisément à l’anus, ou trou du cul, qu’on appelle en abrégé le trou, la percée, l’orifice, et en langage plus recherché l’étoile du soir, le sens interdit, le fruit défendu, le puits sans fond. Il est le ronfleur, il peut être le grognon. En cas de déception grave, il est le zéro.
Quelques expressions argotiques, qui ont varié selon les époques : Troussequin et Saint Jean le Rond au dix-septième siècle (et sans doute avant), ventôse à la Révolution, bigoudoche à la Belle Époque. Voici également le figné (avec ses dérivés fignard, fignedé, fouignedé), voici le derche (qui peut être faux), le prose (on n’en fait pas sans le savoir), le radada, le rondibé, la salle de danse, le pétrus et le tapanard. Voici le borgne, et dans son royaume il est roi.
En langage imagé, je peux vous proposer la cible à coups de pied, le pot-au-feu, l’abbaye du verso, l’abbaye de Clunis, le trou de la Sibylle (pour quelles prophéties ?), la lucarne enchantée et l’entrée des artistes. Je n’oublie pas le verre de montre et la montre tout court. Pourquoi ? Je ne vois pas. Ce n’est pas par là que je regarde l’heure. Pour la collerette extensible, je comprends mieux […].
Pour les géographes, nous avons le ponant et la mappemonde. Assez démodé, l’œil de Moscou, qui voyait tout sans regarder. Pour les bijoutiers, l’autre anneau, ou l’anneau rétif, qui est aussi la bague profonde. Pour les collèges, c’est le père Fouettard, qui à mon avis serait plutôt fouetté.
Une curiosité : le Rubens, qui vaut pour les amateurs d’art et qui suggère du volume. Assez répandu au début du siècle, le Prussien, qui certes a vieilli […].
Assez raffiné, le ciel invisible, dans lequel s’inscrit l’arrière-Vénus. Pas toujours à l’heure, le train.
On dit aussi, mais c’est plus littéraire, la fleur du mâle, le trèfle et le monocle. Cela s’appelle aussi le petit, expression empruntée au jeu de tarots (« Je me suis fait prendre le petit »), le pincé et bien entendu la pastille avec cette précision, quelque peu vieillie, la Valda.
Jean-Claude Carrière, Les Mots et la chose, Plon, 2002, pp. 87-92.
UNE CORRESPONDANCE ÉPICÉE
Ainsi se poursuit jusqu’au 11 décembre, la correspondance (entreprise le 3 septembre) d’un vieux professeur de vocabulaire avec Françoise, jeune comédienne. Chargée des doublages de films pornographiques, Françoise, affligée par la pauvreté de la terminologie qui lui est imposée au moment des tournages, est venue débusquer le vieil érudit. Auteur d’une thèse sur les Considérations sur l’évolution du vocabulaire érotique en France. Celui-ci, ravi de l’aubaine, s’empresse d’exhumer pour la jeune femme et de les revivifier, la foule innombrable de mots inattendus et d’expressions cocasses qui surgissent de sa mémoire mais aussi sous sa plume : buriner la trappe, rivaucher, bistoquer, se faire ratoconniculer. Dont la jeune dame ne soupçonnait en rien l’existence. Pas du plus qu’elle ne soupçonnait celle de Ganymède ou des fauconniers florentins ; défilé des Perses, de la marmite ou du verger de Cypris. Un monde exotique qui n’a pas de secret pour cet amoureux de la chose et des mots infinis qui en parlent.
Savoureuse et épicée, cette correspondance fictive est l’occasion pour le lecteur de s’immerger dans l’immense variété, fantaisie et richesse de la langue érotique. De vagabonder dans l’univers coloré et magique des mots. De voyager d’un registre à l’autre de la langue, d’une époque à une autre, d’un domaine de vocabulaire à l’autre, d’un sexe à l’autre. Et de se délecter, sourire aux lèvres, de l’humour de l’auteur. Qui s’interroge chemin faisant, sur son amour des mots, sur leur fonction, leur capacité à nous combler dans les rôles que nous leur attribuons.
Un très réjouissant petit opus que ce « grand livre des petits mots inconvenants » de Jean-Claude Carrière.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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EROTISME et/ou PORNOGRAPHIE_______
Chère Angèle,
Connaissez-vous la revue
__IRONIE__
Interrogation Critique et Ludique …
qui précise : "Tous les textes publiés dans Ironie peuvent être reproduits, imités, ou partiellement cités, sans la moindre indication d'origine" ?
On peut y voir cette belle page : L'art de la caresse
Elle est éclairante, je crois, sur la question si souvent abordée des différences entre érotisme et pornographie. Vous savez l'intérêt que je porte à ce sujet !
Amicizia
Guidu____
Rédigé par : Guidu | 14 novembre 2005 à 19:41
Pour enrichir cette discussion, je vous fais copie de ce que j'écrivais pour Zazieweb en 2003 sur l'ouvrage de Jean-Claude Carrière. Comme beaucoup de mon entourage, je pense que la pornographie est bien l'érotisme du pauvre.
"Tout ce que vous voulez savoir sur la chose, la foufounette ou la flamberge, en osant pour une fois le demander. Ce grand livre des petits mots inconvenants est aussi une archéologie du savoir (les mots et les choses), mais du côté de l’enchantement. Un véritable florilège dionysiaque, une nomenclature éclatée et multicolore, pétillante d’allégresse et de drôlerie, bien utile en ces temps misérables de tristesse et de pauvreté du vocabulaire pornographique. Ce trésor savoureux pioché dans la mémoire vive des peuples est mis au jour « allegro vivace » par un esthète érudit et bon vivant. Jean-Claude Carrière, tout simplement. Oui, oui, le scénariste de Bunuel, l’ancien patron de la Femis et celui à qui nous devons le Mahabharata, et qui a revêtu ici sa robe de cordelier paillard, droit issu de l’Heptameron. Comme il est souligné en quatrième de couverture, "dans ce voyage aux quatre coins du vocabulaire érotique, nous découvrons que faire la chose ne suffit pas, encore faut-il savoir en parler". Mirifique, jubilatoire et irrésistible."
Rédigé par : Angèle | 15 novembre 2005 à 08:41
Le mardi 15 novembre 2005
Chère Angèle, quelle belle, et bonne, et savoureuse idée que cette déclinaison empruntée à Carrière de quelques-uns des mots pour le dire. La France n’est jamais aussi prolifique en vocables que lorsqu’il s’agit de nommer les parties dites intimes, au rang desquelles figurent bien sûr le porte-monnaie (alias bourse) et surtout son contenu. J’eusse aimé, oserai-je le dire, un petit supplément comme vous savez si bien les trousser, une invention angélienne (-ique ?) de votre cru (ici plane le fantôme d’une célèbre contrepèterie dont j’ai volontairement sectionné un lobe, de peur de provoquer le ciseau censeur de votre vigilant webmaster).
Je vous renvoie la balle avec quelques brefs extraits d’un poème de Raymond Federman récemment paru dans la très belle revue Fusées (n° 9).
Nul doute que les nombreux animateurs d’atelier d’écriture qui fréquentent, j’en suis convaincue, vos Terres (de Femmes) ne trouvent là une bien belle idée d’exercice.
Nul doute aussi que ces évocations picturales contribuent à l’explosion prévisible de votre audimat …et peut-être du mien, puisque je me permets de renvoyer à poezibao pour un autre extrait du même poème et son introduction hilarante, mais aussi pour en découvrir un peu plus sur ce grand bonhomme qu’est Raymond Federman.
« N’ayons pas peur des mots, ils n’ont pas peur de nous »
« J’espère, Angèle, que vous êtes aimée ».
Veuillez trouver, ci-dessous, chère Angèle, le dit extrait
(extrait de Le Musée des culs imaginaires)
"ils [les artistes] nous ont donné une stupéfiante
collection de culs. Par exemple
[...]
Les culs gracieusement balancés de Maillol
Les culs enculés de Moore
Les culs épanouis de Renoir
Les culs étriqués de Dubuffet
Les culs nerveux de Goya
Les culs anguleux de Holbein
[...]"
Rédigé par : Florence Trocmé | 15 novembre 2005 à 15:32
Du cul à la caresse ou de la caresse au cul ?
Merci, ma chère Florence, de ce commentaire fort inspiré! Et si bien troussé, aussi ! Je vous trouve bien coquine, pour ne pas dire un brin insolente. Ce qui n’est pas pour me déplaire. Et je souris en vous lisant. Entre vous qui me servez cet appétissant Musée de culs imaginaires de Raymond Federman et Guidu qui m’offre les délices de la caresse, je peux dire que je suis comblée. Je ne dirai pas pour autant qu’entre les deux C mon coeur balance, je me trouve bien embarrassée pour choisir. Permettez donc que – provisoirement du moins - je m’abstienne.
À y bien réfléchir, je trouve qu’il y a là « matière » à construire une exposition-rétrospective sur la thématique proposée par Raymond Federman. Cela attirerait les foules, toujours friandes de ces sujets éminemment inépuisables… et insondables. Tout en permettant au regard de s’aiguiser sur des perspectives inexplorées, exploitées par des talents de moindre renom. Il faudrait sans hésitation soumettre cette idée aux grands commissaires d’exposition de la RMN.
Cela me rappelle la réflexion d’une jeune demoiselle, élève de première qui s’ébahissait un jour de ma « sidération » face à la grande diversité des culs. Ne voyant rien que d’ordinaire dans cette profusion, elle se contentait de botter en touche par une formule rassurante et passe-partout : « Un cul est un cul » ! A ce truisme, j’avais répondu ex abrupto qu’il en est des culs comme des visages. Tous deux cachent bien leur jeu. Pour le reste, c’est une question d’envers et d’endroit. « Abyssal », mon cher Watson !
Rédigé par : Angèle Paoli | 16 novembre 2005 à 14:49
Bonjour ...
cette toile de Jean-Honoré Fragonard figure actuellement, parmi d'autres et beaucoup de dessins, au musée Jacquemart-André de Paris.
Cette exposition doit se terminer le 13 janvier...
c'est à voir ...
PS : pour les Q ... no comment... mais merci de m'avoir fait rire.
Cordialement
Rédigé par : bernard | 30 décembre 2007 à 15:28