20 octobre 1854 : naissance à Charleville, dans le département des Ardennes, de Jean-Nicolas-Arthur Rimbaud
TROIS BAISERS
― Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
― Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner comme un sourire
À son sein blanc, ― mouche au rosier !
― Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : "Veux-tu finir !"
― La première audace permise,
Elle feignait de me punir !
― Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
― Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : "Ah ! c'est encor mieux !
Monsieur, j’ai deux mots à te dire..."
― Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser.― Elle eut un rire,
Un bon rire qui voulait bien...
Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malignement, tout près, tout près.
Arthur Rimbaud, Poésies complètes, 1870-1872, Le Livre de Poche, Collection Classiques de poche, n° 9635, 2000, pp. 51-52.
_________________
Composée en classe de rhétorique à l’âge de seize ans, cette « Comédie en trois baisers » a été publiée pour la première fois le 13 août 1870 dans la revue La Charge. Elle est également connue sous le titre « Première soirée ».
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.