Jean-Honoré Fragonard (1732–1806) La Lettre d’amour, vers 1770 Huile sur toile, 83,2 x 67 cm The Metropolitan Museum of Art, New York City Source CV LETTRE DE LA MARQUISE DE MERTEUIL À CÉCILE VOLANGES « Hé bien! Petite, vous voilà donc bien fâchée, bien honteuse, et ce M. de Valmont est un méchant homme, n'est-ce pas ? Comment ! il ose vous traiter comme la femme qu'il aimerait le mieux ! Il vous apprend ce que vous mouriez d'envie de savoir ! En vérité, ces procédés-là sont impardonnables. Et vous, de votre côté, vous voulez garder votre sagesse pour votre amant (qui n'en abuse pas); vous ne chérissez de l'amour que les peines, et non les plaisirs ! Rien de mieux, et vous figurerez à merveille dans un roman. De la passion, de l'infortune, de la vertu par-dessus tout, que de belles choses ! Au milieu de ce brillant cortège, on s'ennuie quelquefois à la vérité, mais on le rend bien. Voyez donc, la pauvre enfant, comme elle est à plaindre ! Elle avait les yeux battus le lendemain ! Et que direz-vous donc, quand ce seront ceux de votre amant ? Allez, mon bel ange, vous ne les aurez pas toujours ainsi; tous les hommes ne sont pas des Valmont. Et puis, ne plus oser lever ces yeux-là ! Oh ! par exemple, vous avez eu bien raison ; tout le monde y aurait lu votre aventure. Croyez-moi cependant, s'il en était ainsi, nos femmes et même nos demoiselles auraient le regard plus modeste. Malgré les louanges que je suis forcée de vous donner, comme vous voyez, il faut convenir pourtant que vous avez manqué votre chef-d'oeuvre ; c'était de tout dire à votre maman. Vous aviez si bien commencé!déjà vous vous étiez jetée dans ses bras, vous sanglotiez, elle pleurait aussi: quelle scène pathétique ! et quel dommage de ne l'avoir pas achevée ! Votre tendre mère, toute ravie d'aise, et pour aider à votre vertu, vous aurait cloîtrée pour toute votre vie ; et là vous auriez aimé Danceny tant que vous auriez voulu, sans rivaux et sans péché: vous vous seriez désolée tout à votre aise ; et Valmont, à coup sûr, n'aurait pas été troubler votre douleur par de contrariants plaisirs. Sérieusement peut-on, à quinze ans passés, être enfant comme vous l'êtes? Vous avez bien raison de dire que vous ne méritez pas mes bontés. Je voulais pourtant être votre amie: vous en avez besoin peut-être avec la mère que vous avez, et le mari qu'elle veut vous donner! Mais si vous ne vous formez pas davantage, que voulez-vous qu'on fasse de vous ? Que peut-on en espérer; si ce qui fait venir l'esprit aux filles semble au contraire vous l'ôter? […] Paris, ce 4 octobre 17**.
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CHODERLOS DE LACLOS Source ■ Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos sur Terres de femmes ▼ → 9 septembre 17** | Les Liaisons dangereuses → 5 septembre 1803 | Mort de Choderlos de Laclos (+ un extrait d'Une liaison dangereuse, Lettres de La Haye, de Hella S.Haasse) |
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Chère Angèle, ce passage de Choderlos de Laclos m’a donné envie de vous proposer ce
RENDEZ-VOUS DE L'IMPOSSIBLE__________
En forme de Soliloque de l’amertume, comme un masque de dépit amoureux !
Ah ! les affres de l’amour…
"Si tu t'inventes d'aussi radieuses chimères sur toi-même, c'est peut-être pour te griser d'un manque au présent. Comment combler ce gouffre de rêves Renaissance, alors qu'il n'est que contrefait. Le pire, c'est qu'en te penchant peut-être trop longtemps, tu y découvriras un miroir où tu ne te reconnaîtras guère. Il ne renvoie que des images vieillies, car la distance qui nous sépare de lui calque pleinement le temps présent, celui qui nous dépossède tant sa course en tourbillonnant se pare d'inoubliable."
Voilà ce que le voile dont vous vous drapez m'a dit au bout de l'impasse où je vous attendais !
Reviendrez-vous ?
Amicizia
Guidu _________
PS : ICI
Rédigé par : Guidu | 04 octobre 2005 à 11:22
Pour information, Christiane Baroche a écrit un roman-prolongement à celui de Laclos. Son livre s'intitule L'Hiver de beauté. Souvenez-vous, à la fin de son livre, Laclos lance la Merteuil sur les routes du Nord avec la variole et la perte d'un œil. Comment l'indomptable Merteuil a t-elle pu reconstruire sa vie ?
Rédigé par : myriade | 04 octobre 2005 à 13:39
Curieuse réponse, mon cher chevalier et tendre ami, que celle que vous me faites à propos de la lettre de Madame de Merteuil ! Que dois-je penser de la réflexion à laquelle vous vous livrez sur les effets miroirs et sur les jeux déformants qu’ils engendrent ? Voyons un peu, dites-moi, ce qui, dans cette lettre de Madame de Merteuil à Cécile Volanges, vous inspire de tels propos sur les jeux de reflets dont je serais, selon vous, l’instigatrice. Ainsi que de mes « radieuses chimères » ? Êtes-vous sûr de ne vous être pas trompé d’interlocutrice ? Êtes-vous sûr que votre cocher n’a pas subtilisé un message à un autre ou de n’avoir pas interverti le nom de vos aimantes destinataires ?
Je ne vois rien, quant à moi, dans les gronderies de Madame de Merteuil, qui évoque ce dont vous semblez me faire reproche. Je ne vois, dans ce discours superbement ciselé, que fine raillerie et ironie savamment filée, en réponse à la naïveté et aux caprices amoureux de Cécile. Il faut dire que la jeune demoiselle n’en est encore qu’aux prémices de l’amour et qu’elle a bien des leçons à prendre avant que de se perdre par elle-même dans les roueries du sentiment.
Enfin, chère Myriade, pour ce qui est de Madame de Merteuil et de la terrible condition où son brillant maître a voulu la jeter, aux termes de ses ambitions libertines, je ne connais point de sort plus terrible que de l’avoir ainsi défigurée. Qu’elle finisse parmi la racaille des tripots ou cloîtrée au fin fond d’un couvent de province, m’importe au final assez peu. Ce qui fait la supériorité des Liaisons dangereuses, c’est le style de son auteur, un style éblouissant, à nul autre pareil et jamais égalé depuis.
Je regrette toutefois que Choderlos de Laclos ait choisi de clore les péripéties sentimentales de son chef-d’œuvre par une pirouette, moralisatrice à souhait. Comprenons-le. Il fallait bien, le pauvre, qu’il se fasse pardonner les licences libertines auxquelles il avait assujetti ses personnages. Il faut croire aussi qu’il avait abouti à une impasse dont il s’était constitué le prisonnier le plus galant, mais aussi le plus talentueux.
Rédigé par : Angèle | 04 octobre 2005 à 20:27
Chère Angèle,
Je te conseille un livre qui reprend le fil des Liaisons dangereuses en s'adressant par lettres à la Marquise de Merteuil et qui pose les questions :
Qu'est-ce que l'amour? Qu'est-ce que la trahison ? Et surtout qu'est-ce que la liberté d'une femme, sous l'ancien Régime comme de nos jours...
Hella S. Haasse, Une liaison dangereuse : lettres de La Haye, éditions du Seuil, 1995.
Je t'embrasse
à demain
Rédigé par : double je | 04 octobre 2005 à 20:59
"double jeu", je me souviens que tu m'as parlé d'Hella Haasse en Corse. Je t'ai répondu avoir lu l'ouvrage consacré à Bomarzo. Il me semble qu'Une liaison dangereuse est épuisé, mais il en reste quelques exemplaires chez chapitre.com. Je fais un lien sur un article paru dans Lire.
Rédigé par : Yves | 05 octobre 2005 à 01:18
Bonjour Yves,
Je me souviens de cette conversation sur la terrasse, souvenir d'une belle journée. Je voulais te dire que dans la collection "Points "du Seuil on peut trouver le livre.
Bonne journée
Elisanne
Rédigé par : double je | 05 octobre 2005 à 08:54
J'avoue avoir eu un moment de flottement. Qui me répondait ? Angèle ou Madame de Merteuil ?
Rédigé par : myriade | 05 octobre 2005 à 11:04
Tu me fais sourire, Myriade..., et même rire. Tu as deviné que le XVIIIe siècle est mon siècle de prédilection. Je vais te confier un secret. La marquise est le surnom que m'a toujours donné la talentueuse Eli (Du coq à l'âne), par référence à la Merteuil évidemment, Eli étant une lectrice fervente et fiévreuse des Liaisons dangereuses. Ceci dit, soyons modeste, je ne suis, hélas, ni la Merteuil, ni Laclos. Je n'ai ni les qualités d'écriture de Laclos ni la dimension de la marquise. Mais il me plaît, à mes heures, de me frotter à l'un et à l'autre.
Je t'embrasse,
Angèle
Rédigé par : Angèle | 05 octobre 2005 à 12:12
Merci, belle Elisanne, pour ces précisions bibliographiques. Je me demande bien pourquoi on parle si peu - en France - de la Néerlandaise Hella Haasse. Je vais essayer de me procurer l'ouvrage.
Rédigé par : Angèle | 05 octobre 2005 à 12:23