Image, G.AdC
El Oued, le 27 octobre 1900, 9 h soir.
« Le 17, été à Amiche, à la recherche de Sid-el-Hussine.
Partis vers six heures, par une matinée fraîche. Arrivés très vite à la grande zaouiya du cheikh blanc, qui semblait bien vide, bien abandonnée, aux confins des vastes cimetières tristes…Reparti avec deux serviteurs, traversé les longues successions de maisons et de jardins disséminés en un pittoresque désordre.
Zaouiya de Sid-el-Imann, solitaire et délabrée, sur une crête de dunes, entourée de ruines et d’un beau jardin verdoyant. De là, tourné sur la gauche, à travers la colonie des Chaamba. Rencontré Gosenelle et le docteur… puis, deux Chaamba portant l’un des leurs au repos éternel, sur un brancard.
Enfin, trouvé Sid-el-hussine tout au bout de Ras-el-Amiche, sur la route de Ber-es-Sof, en face des sables infinis qui conduisent à Rhadamès la mystérieuse et au Soudan lointain.
Passé la sieste avec le cheikh dans une étroite chambre fruste, sans fenêtre, voûtée et sablée, composant tout l’intérieur d’une maison solitaire.
Venu un être étrange, homme du Sud presque noir, aux yeux de braise, atteint d’une sorte d’épilepsie le poussant à frapper qui le touche ou l’effraie… et en même temps, empreint d’une douceur extrême et éminemment sympathique. Vers 3 heures, parti avec le cheikh pour la colonie des Chaamba…Reparti vers 3 h 1/4 seul.
Arrivé coucher du soleil, dans les cimetières situés vers la droite d’Amiche. Au magh’reb arrêté, sur la dune surplombant les Ouled-Touati.
Vers la gauche, la plaine toute rose s’étendait, vide, bornée à l’horizon par des dunes violacées. Dans le village, des femmes en haillons bleus, peu nombreuses, et un dromadaire roux, aux formes étranges. Silence et paix absolus…Rentré vers 5 h 1/4.
Me voilà enfin arrivé à l’état de dénuement absolu qui était à prévoir depuis bien longtemps. Mais aussi, en m’amenant à El Oued, la Providence semble avoir voulu me sauver d’une perte inévitable partout ailleurs.
Qui sait, peut-être que ces coups de l’adversité ne serviront qu’à modifier mon caractère, à me réveiller de cette sorte d’assoupissement je m’enfoutiste qui m’envahit souvent, au point de vue de l’avenir.
Dieu fasse qu’il en soit ainsi ! Jusqu’à ce jour, je suis toujours sorti sain et sauf de toutes les passes les plus mauvaises et les plus dangereuses. Peut-être la chance ne m’abandonnera-t-elle point encore. † Les voies de Dieu sont impénétrables.
Aujourd’hui, été, sur Souf, route Debila, très belle, par monts et par vaux, entre des jardins un peu sauvages et de vieilles maisons en ruines.
Quelques terrains salés, petits chott roux parmi les grisailles blanchâtres des dunes et le vert sombre des palmiers.
Arrivé jusqu’à l’abattoir situé au milieu d’un « chott » plus étendu, environné de dunes…Aspect d’abandon et de tristesse.
Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable, Deuxième journalier, Œuvres complètes, tome 1, Grasset, 1988, pp. 347-348.
EN RUPTURE DE BAN
Étrange destinée que celle d’Isabelle Eberhardt, qui périt dans le désert à l’âge de 27 ans. Broyée et noyée par les folies d’un oued algérien. Emportant dans ses flots une partie de ses écrits ! Il faut dire qu’Isabelle n’était pas née sous n’importe quelle étoile. Inscrite dès sa naissance (1877) dans l’innombrable famille des apatrides, elle est d’origine russe par son père. Et bâtarde. Le nom qu’elle porte est celui de sa mère. En rupture de ban avec l’Occident, elle en refuse les valeurs, avec une violence dont seule la présence maternelle retarde encore les embrasements.
À la mort de sa mère, Nathalie de Moerder, en novembre 1897, Isabelle est enfin libre et plutôt que de sombrer dans les tentations de l’anarchie, elle s’embarque pour l’Algérie, un jour de mai 1897. Camouflée sous un accoutrement masculin, sous le nom de Mamhoud Saadi, elle est bien décidée à céder définitivement à sa fascination pour le désert. Qu’elle a déjà eu l’occasion d’entrevoir à plusieurs reprises, au cours de séjours mouvementés. Aguerrie par ses aventures antérieures, Isabelle choisit de s’implanter dans ces régions du globe qui, depuis toujours, exercent sur elle une attraction irrépressible. Mais, pour cela, il lui faut se fondre avec la population. Vivre selon ses règles et ses us. Et renoncer à tout ce qui la rattache à l’Occident. Ce à quoi Isabelle sacrifie volontiers. Elle se convertit à l’islam, dans lequel elle trouve sa vérité. Passionnée par l’écriture, Isabelle Eberhardt note au jour le jour ses impressions, ses découvertes, ses rencontres, ses émotions. Ses écrits rendent compte avec précision de ce qui est devenu sa raison de vivre. L’Algérie, le désert, les gens du désert.
Le premier volume d’Écrits sur le sable, dont est tiré le présent extrait, rassemble les Vagabondages, les Notes de route et les Journaliers. Tout ce qui a pu échapper au désastre de l’inondation d’Aïn Sefra. Et, par la suite, aux édulcorations et remaniements auxquels les cahiers d’Isabelle Eberhardt n’ont pas manqué d’être soumis, à titre posthume.
L’ensemble de ces écrits constitue une chronique qui couvre une période de cinq années. De 1899 jusqu’à 1904. Mais si l’exotisme facile est banni de l’écriture d’Isabelle Eberhardt, il n’en reste pas moins que son écriture est imprégnée d’une vraie sensibilité, qui est aussi celle d’un écrivain.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Voir aussi : - (sur Terres de femmes) 17 juillet 1900 | Isabelle Eberhardt à Marseille - (sur Terres de femmes) 18 août 1900 | Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable |
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Chère Angèle,
Curieusement ce matin j'ai relu quelques mots d'Elle et j'avais envie de les mettre en ligne, je ne l'ai pas fait et voilà que je la retrouve chez toi, j'aime cette coïncidence.
E.
Rédigé par : double je | 27 octobre 2005 à 16:56
Toujours dans le cadre de la Foire du Livre de Tanger,
une rencontre avec Edmonde Charles-Roux aura lieu le vendredi 3 mars 2006 (16H30 Espace Cinéma Dawliz). Autour de son ouvrage Isabelle du désert (Grasset), qui, depuis juin 2003, regroupe les ouvrages Un désir d’Orient et Nomade j’étais. L’écrivain évoquera le personnage d’Isabelle Eberhardt et l'influence que peuvent avoir sa vie et son oeuvre dans la vision que se fait l’Europe du Maghreb.
Rédigé par : Agenda culturel de TdF | 26 février 2006 à 21:16
Je souhaite savoir si Isabelle Eberhardt a un lien de parenté avec la famille Roumeguerre dont la maman décédée en 2006 était ethnologue, de confession protestante et mariée à un chef de tribu Massai du Kenya.
Ses deux filles, que je connais pour avoir travaillé avec elles à Paris lorsque j'y vivais (1984-1987), ont comme nom patronymique, du côté maternel : Eberhardt. (L'une des deux soeurs s'appelant Isabelle). Elles m'avaient vaguement parlé à ce moment là de la plus ou moins relation familiale de I. Eberhardt et c'est comme cela que je me suis informée sur l'existence de cette aventurière, écrivain. Pouvez-vous me donner d'autres renseignements ou comment pourrai-je en obtenir? Mon adresse e-mail devrait apparaitre sur l'annonce. MERCI.
Rédigé par : BESSON LORRAINE | 11 juillet 2007 à 09:05