Chroniques de femmes - EDITO
Luri/Canari (Haute-Corse), le 13 septembre 2005
Ph. angèlepaoli
CANARI : CONCOURS INTERNATIONAL DE CHANT LYRIQUE
Pendant cinq jours, Canari (en Haute-Corse) a vibré d’une étrange émotion. Profonde, inoubliable. Déconcertante. Du 5 au 9 septembre 2005, le village a vécu au rythme de l’art lyrique. Porté à un haut niveau de qualité par les voix des jeunes talents qui se sont présentés au Deuxième concours international de chant lyrique de Canari. Conduit par Gabriel Bacquier et Jacques Scaglia. Après une série de douloureuses éliminatoires, le Premier prix féminin a été décerné en finale à la Coréenne Hyun-Jeong Song.
Certes, elle avait une belle voix, la jeune Coréenne, une belle voix de soprano et une technique vocale digne de combler les jurés des plus grands concours. Les virtuosités du Don Pasquale de Verdi ou de la Somnambule de Bellini lui convenaient à ravir. Elle était charmante Hyun-Jeong Song avec sa voix cristalline, son petit visage d’oiseau menu et ses yeux plissés levés au ciel, comme pour en implorer la grâce. Mais elle manquait indéniablement de corps et de présence.
Certes, l'Ajaccienne Agnès Amati, la favorite du public, peut s’enorgueillir, elle aussi, d’avoir été par trois fois récompensée. Et pressentie comme espoir de l’art lyrique en Corse. Très inspirée dans Rigoletto de Verdi, la jeune soprano semble réellement taillée pour les vocalises et trilles imposées par le genre. Et elle en a la rondeur.
Certes, la jeune chanteuse corse et les deux Coréens Chang-Han Lim (baryton) et Hyun-Jeong Song ont amplement mérité les distinctions qui ont honoré leurs prestations. Et nous les en félicitons.
GIORGIA BERTAGNI
Il n’empêche. Le jury, le soir du 9 septembre, est bel et bien passé à côté de la véritable étoile de Canari. Il l’a laissé filer en beauté. Même s’il n’a pu se soustraire à l’obligation de lui décerner - maigre consolation - le Prix du jury pour ses brillantes interprétations. Car Giorgia Bertagni, la seule mezzo-soprano du concours, méritait à elle seule tous les prix de la création. N’en déplaise à Monsieur Gabriel Bacquier. Qui m’a déclaré en off ne pas avoir été seul à décider. Et s’en est trouvé bredouillant et presque marri !
Giorgia la magnifique, superbement troublante dans la Habanera de Carmen de Bizet, est faite pour les grands rôles (cf. le festival de Torrechiara). Elle a l’étoffe des tragédiennes et des grandes cantatrices, Giorgia. Dans la lignée d’une Pauline Viardot. Elle a dans le sang toute la magie des ensorceleuses. Celles qui drainent dans leur sillage des frissons de mortelle sensualité. Sa voix, tout en vibrations chaudes et moelleuses, s’enfle comme une houle. Elle tisse autour d’elle, la féline sirène, des vagues sombres aux colorations envoûtantes. Dont les ondes charnelles courent, magnétiques, dans l’assistance, suspendue au flux et au reflux de ses épaules. Comment pareil souffle a-t-il pu laisser insensible un jury pourtant si « sérieux » et si « compétent » ? C’est un mystère. Dont seuls les membres éclairés de ce jury possèdent les clés.
Pour moi, il ne me reste qu’à déplorer que l’intemporalité magique de la prestation de Giorgia ait été évincée par la sacro-sainte technicité. Dans un art total comme l’opéra ! Un art qui engage si pleinement, et la voix et le corps. Un art qui combine, de façon si subtile, des courants et des forces si violemment contraires. Tout cela, Giorgia Bertagni, « la Bertagni », nous l’a offert. Somptueusement. Tout en évitant les écueils de la facilité. Exigeante Bertagni qui avait choisi pour la finale d’interpréter un air de Tchaikovski (L'aria dell'addio de La Pucelle d'Orléans), méconnu d’un public pourtant très avisé. Un air tiré des profondeurs charnelles de l’opéra russe par les accents sombres de sa voix ! « Affascinante » Giorgia ! Elle a sans doute saisi d’effroi ceux qui, frileusement, ont craint ses sortilèges.
Angèle Paoli
D.R. Texte et photos angèlepaoli
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Chère Angèle,
Comme je te retrouve, la passionnée des mots, des voix, des êtres...
Rédigé par : double je | 13 septembre 2005 à 14:25
Je comprends bien ce que vous voulez dire. Pour moi, il y a une sorte de génétique de la voix, en ce sens que nos voix me semblent non pas seulement voix propre à chacun mais voix porteuse des générations précédentes, dans notre propre lignée certes mais aussi sans doute, dans notre langue, dans notre civilisation.
Je me suis toujours demandé comment il était possible à des artistes chinois, coréens, japonais (sauf à être nés en Amérique, en France, en Allemagne, et encore...) de pouvoir rendre cette épaisseur du vécu musical dont nous sommes porteurs. Comme il serait sans doute très difficile à un artiste européen d'apprivoiser totalement le patrimoine de la musique indienne ou chinoise (Alain Daniélou aurait sans doute beaucoup à dire sur le sujet et peut-être qu'il infirmerait mon propos, mais il faut se souvenir qu'il s'est totalement immergé dans la civilisation et la religion indiennes). Question ouverte donc, je n'ai pas de certitude. Il est vrai en revanche que le niveau technique de ces artistes est le plus souvent époustouflant. De même que nos modernes CD et les enregistrements sont parfaits. Trop parfaits peut-être, car bien souvent, la déception est au rendez-vous ? Musique en boîte, musique morte. Musique aseptisée. Un peu moins de technique, un peu plus de chair, d'âme.......
Rédigé par : Florence Trocmé | 14 septembre 2005 à 10:33
Oui, ma chère Florence, mon ressenti rejoint le vôtre. Pourtant les contre-exemples ne manquent pas. Je pense en particulier à une école que vous connaissez bien : l'école de Paris, qui regorge d'artistes étrangers ayant trouvé en France et l'inspiration et leur véritable dimension créatrice. Dans le domaine pictural : Zao Wou-Ki. Peut-être les écrits de François Cheng pourraient-ils nous apporter quelque éclairage sur cette question ? Mais tout cela n'est-il pas l'aboutissement de notre éducation très "latine" dans laquelle l'Orient ou l'Extrême-Orient sont quasiment niés? C'était du reste le point de vue "très polémiste" d'Etiemble dans son ouvrage L'Europe chinoise.
Rédigé par : Angèle Paoli | 14 septembre 2005 à 14:28
Il me semble que la question picturale est différente de la question musicale. Je serai bien en peine d'expliquer pourquoi au demeurant, et ce pourrait être un débat passionnant. La question pour moi ne s'est curieusement jamais posée sur le plan des arts plastiques. Ou il n'est d'ailleurs pas question d'interprète. Je me demande si elle se pose pour l'écriture (par exemple un écrivain occidental comprendra-t-il jamais l'essence du haïku ? Je ne sais pas, je n'ai aucune certitude...) ; et dans le domaine de la musique, je ne parle pas des créateurs (un Takemitsu par exemple) mais bien des interprètes dont toutes les fibres nerveuses, l'oreille, le cerveau, ont été baignées depuis des générations et des générations dans un tout autre monde sonore, avec des règles parfois si différentes en terme d'intervalles, de tonalité, de gammes, etc.
Rédigé par : Florence Trocmé | 15 septembre 2005 à 11:30
Pourtant, Florence, les grands interprètes classiques originaires d'Asie ou d'Extrême-Orient ne manquent pas. Je pense par exemple au violoncelliste chinois Yo Yo Ma (certes élevé à Paris), et aux chefs d'orchestre Zubin Mehta (indien) et Seiji Ozawa (japonais).
Rédigé par : Yves | 15 septembre 2005 à 12:00
Orient/Occident, la musique et le chant peuvent être transcontinentaux !
Au cours de l’été 2004, j'ai personnellement assisté - invité par mon amie Marie Jo Justamon en son festival de musique du monde - Les Suds à Arles 2004 – à l’incroyable rencontre entre le chanteur pakistanais Faiz Ali Faiz et sa troupe, héritiers du très célèbre Nusrat Fateh Ali Khan, aujourd’hui disparu, avec des musiciens de flamenco : le remarquable chanteur Miguel Poveda et le brillant guitariste Chicuelo. Leur prestation en commun faisait oublier leur provenance respective ! C’était émouvant et troublant de beauté tant ils ne disaient que leur âme et rien d’autre, improvisant à tour de rôle (dans une sorte de Chjama è rispondi cher à Angèle Paoli) des mélopées d’une fascinante complicité ! Mais, me direz-vous, le flamenco trouve ses racines dans les régions indo-pakistanaises, oui bien sûr, mais cela est ancien, et de nos jours l’Andalousie et le Pakistan semblent n’avoir que peu de liens culturels, non ?
Amicizia
Guidu______
Rédigé par : Guidu | 16 septembre 2005 à 18:07
Pouvez-vous me dire comment vous avez découvert mon "encre bleue" dont je viens de voir un extrait sous votre beau visage ? ...Je ne m'y attendais pas du tout.
Rédigé par : Marie Christine Dhéron | 17 septembre 2005 à 16:09
Chère Marie-Christine,
Ce beau visage, c'est celui de Giorgia que j'ai photographiée juste après l'une de ses contributions au Concours de chant lyrique de Canari. Quant à l'extrait de votre poème "Encre bleue", c'est à mon photographe préféré que je vais poser la question, puisque c'est lui qui l'a choisi et me l'a offert pour illustrer cette photo. Pouvez-vous me donner les références précises du recueil dans lequel il a été publié (titre, éditeur, année de publication, folio) ? Je pourrai ainsi mieux référencer votre ouvrage et, par la même occasion, me le procurer pour avoir le plaisir de le découvrir.
Amicizia,
Angèle
Rédigé par : Angèle Paoli | 17 septembre 2005 à 17:55
Oui, demandez à votre photographe, je crois que ce texte a été publié dans la revue des Poètes en Berry et dans La Lettre à Sajat. Non encore en recueil. Affiché aussi au Mur de poésie de Tours en 2005. Il faisait partie aussi d'un spectacle poétique d'une heure au Printemps des poètes à Bourges en 2005 avec T. Sajat et moi, échange poétique autour de George Sand. Quant à mon dernier ouvrage, apres Le Petit Poète et J'étais un troubadour, petites plaquettes, il y a eu Le Jardin aux licornes, livre d'environ 50 textes avec une trentaine d'illustrations que j'ai faites au crayon noir à l'origine. Je le vends à mon domicile (15 euro) 25, bd Michelet, 78250 Hardricourt. Faites-moi parvenir un mail si vous voulez en savoir plus sur mes textes (et moi). Merci.
Ce serait gentil de trouver comment votre photographe a découvert ce texte. Quelle surprise agréable accompagnant une aussi talentueuse et belle artiste !
Rédigé par : Marie Christine Dhéron | 17 septembre 2005 à 18:05
Chère Angèle, je viens de vous adresser mon livre Le jardin aux licornes via mail...J'espère qu'il vous plaira... C'est en quelque sorte un conte... le conte d'une petite fille devenue femme et qui attend... éternellement....
Rédigé par : Marie Christine Dhéron | 17 septembre 2005 à 18:23