(hommage à Hélène Cixous)
Elle a laissé glisser autour d’elle la rentrée des élèves. La vague insolente qui la berce a effacé de sa caresse toutes les rentrées du passé. Délestée d’une part importante d’elle-même, elle peut enfin s’abandonner au labyrinthe de ses rêves. Des paysages lui reviennent qui la submergent par ondes imprévisibles.
DANS LA MÉDINA BLONDE
Elle quitte enfin la gare routière aussi bourdonnante qu’une ruche. Elle longe l’enceinte trapue de la citadelle. Les remparts cèdent à son passage, s’enlisent peu à peu dans les sables. Elle s’immerge dans la médina blonde, aux ciels tendus de fortunes carrées hurlant sous les soleils. Les galeries marchandes du souk se resserrent, ondoient poussiéreuses sur leurs pentes. De jeunes garçons, djellabas savamment retroussées sur leurs babouches d’or, mastiquent des graines de lupins dont ils crachent ensuite la paille sur le sol. Le souk frémit et bourdonne de toutes ses richesses. Pourtant, une forte odeur de viande boucanée la saisit à la gorge. Elle sent monter un haut-le-cœur. Elle enroule son visage sous ses voiles. Sans qu’elle sache trop pourquoi, son pas s’accélère. Un mur aveugle se dresse devant elle, qui ouvre sur une chambre froide. Dans un angle mort du corridor, elle heurte du pied la coque ligneuse d’une noix de coco. La balle dure roule devant elle, la précède sur la descente, lui ouvre le passage. Elle pénètre plus avant dans la chambre froide désertée de ses ombres mêmes. La balle, attirée par la pente, continue de rouler devant elle. Un sourire oblong déchire la face hideuse de son crâne. Elle cherche des yeux le squelette qui gît là-bas sur la route, parmi les victuailles défuntes de la décharge publique. Elle le devine, désarticulé, qui grimace dans le caniveau. Le monticule de détritus résiste encore au flux des eaux. Elle ignore qui a pu violer la tombe, sortir le cadavre de sa couche muette. Quelle obscure et vengeresse furie a pu pousser à un acte aussi odieux, aussi barbare ? Elle se souvient d’avoir interrogé autour d’elle cousins et amis. Elle se souvient du silence hostile qui lui a été opposé. Elle sait que jamais aucune vérité ne sortira de la tombe meurtrie.
Elle s’avance, troublée, dans le dédale qui s’offre à elle. Des voiles de mousseline légère flottent autour des lits clos. Une fillette aux yeux malicieux surgit à l’improviste qui l’accompagne à travers les tentures. Elle lui dit qu’elle est en retard. Elles pressent le pas et ondulent côte à côte dans les méandres de la médina. Puis la fillette esquisse un sourire, s’esquive et disparaît. Elle la cherche tout autour d’elle. En vain. Elle a été avalée par la foule grésillante. Elle est seule, perdue au milieu des carcasses disparates de bétail petit et gros. Les mouches vrombissent en essaims serrés sur les restes de chair. Une tête de veau aux narines fleuries de feuilles de papyrus la nargue de son regard de vitre défroissé. Une meute acharnée de corbeaux criards grignote les ossatures d’une vache édentée. Les lugubres volatiles se chapardent des parcelles de viande encore vivace. Elle cherche à se dérober à la boucherie effroyable du lieu. Ses pieds s’engluent dans les flaques de sang en partie asséché. Elle pense qu’elle n’y arrivera pas. Qu’elle va s’enliser encore et encore, jusqu’à sa disparition. Elle ferme les yeux pour échapper au spectacle de mort qui la tient enserrée dans ses tenailles.
Alors, elle se défait de ses voiles. Un à un, ils glissent à ses pieds. Elle les laisse s’éparpiller autour d’elle. Elle se délivre de ses bijoux, s’allège des derniers liens qui entravent sa marche. Les mains tendues devant elle, elle cherche dans l’air invisible les lianes impalpables qui lui tendent leurs fils. Elle s’arrime avec force à ces cordages aériens, s’enroule autour des volubilis mauves, les pieds d’abord, la taille ensuite. D’un coup de reins souple, elle se propulse au-dessus du sol. Au passage, elle cueille, suspendues à leurs branches, les coquilles Saint-Jacques nacrées de rose. Puis elle s’élance dans les airs qui la portent au-dessus des venelles. Les fortunes carrées s’éloignent en contrebas. Leurs chemins de toiles tracent encore dans l’infini labyrinthe de la ville des sillons aériens possibles. Elle suit un moment encore le quadrillage mystérieux de la médina. Puis s’élève, légère, dans les airs. Portée par des vagues soyeuses. Les caresses de l’air la libèrent de la pesanteur de la Terre. Elle vole. Etonnée et ravie de s’appartenir enfin.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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Cara Anghjula, ce rêve fantasmagorique est magnifique comme un samovar ottoman scintillant, ciselé comme un maroquin damasquiné, comme un cuivre martelé de beautés arabesques!
En échos, recevez ce commentaire qui veut vous dire l’émotion que j’ai ressentie en me glissant dans votre songe !
LAMES OR ________
L'orage sur la page dessine une ficelle,
Les taches maculent l'apparente candeur.
Travestie, parjure, succédanée, la corde s'agite.
Le geste ample,
Le fiel aisé,
La sépulture irradiée d'éclairs profanateurs
Adjure l'irrémédiable à plus de couleurs.
Désarmé,
La blason humilié,
L'art s'en vient hurler la stupéfaction.
Qu'il cesse ce scandale,
Qu'on dénonce l'imposture,
Que s'arrête enfin l'absurde.
Sous l'eau calme de l'étang
Les spasmes se préparent,
Le silence strident annonce déjà le fabuleux vacarme
Bientôt la résurgence, le jaillissement, le geyser,
Bientôt, l'art, l'art, l'art…
Amicizia
Guidu _____
Rédigé par : Guidu | 19 septembre 2005 à 11:29