Chroniques de femmes - EDITO
U Mulinu di Pendente Canari (Haute-Corse)
Rares sont les personnes qui, tombées amoureuses du village de Canari, ont néanmoins réussi à réellement s’y implanter et à y faire leur vie. Aussi intégralement et insolitement. Julian Searle Page fait vraiment figure d’exception dans le paysage communal. Ce sympathique et chaleureux original, ancien ingénieur aéronautique chez Alsthom (ayant participé à la construction du Concorde) et neveu du philologue et helléniste Thomas Ethelred Page, a délaissé depuis trente ans les terres d’Albion pour celles de Kallistè. Et, entre tous les villages, élu celui de Canari. Âme du silence, excentré et excentrique, ainsi que se définit volontiers Julian quand on le sollicite, le savant longiligne, dans la lignée du Barry Lindon de William Thackeray, a jeté son dévolu sur un vieux moulin en ruines, u Mulinu di Pendente, sis à la frontière de deux communes: Canari et Barrettali. Il suffit de passer le pont pour basculer de l’une à l’autre. Là, à l’entrée ou à la sortie de l’arche qui enjambe le Furcone, torrent en abrupt sur les pentes du Cuccaru, le Mulinu, havre d’eau et de fraîcheur, blottit ses lignes dans les enchevêtrements de lianes et de liliums. À la jonction de deux versants. Depuis 1975 (date de son arrivée en Corse), Julian a pris le temps qu’il fallait pour rassembler toutes les parts du moulin, les racheter et en restaurer minutieusement les antiques ruines. Avec des lauzes de l’île et des pierres de Brandu. Matériaux nobles côtoient poulies et cordages. Les poutres imposantes de châtaigniers, les paysages à la Gainsborough, les partitas de Bach ou les lieder de La Belle Meunière de Schubert grand ouvertes sur un pupitre, la flûte à bec et la vieille machine à écrire Underwood, les rayonnages de la bibliothèque en vigie-mezzanine, avec passerelle ajourée, font osciller le moulin entre cabine de voilier et cabinet de curiosités. C’est là que vit notre Érasme, naviguant haut et fier, même au cœur de l’hiver. Entre poésie, musique et aménagement raffiné de son territoire. Dans le moulin solitaire, longtemps baptisé le « moulin de l’Anglais ». Tapi au cœur d’une nature exotique d'une exubérance baroque qu’en jardinier et esthète exigeant, Julian soigne avec goût et talent. Ce qui fait trembler Julian ? Ni les sangliers qui labourent ses terres ni la solitude dense et sombre qui hante ces lieux. Mais, dévalant la montagne, les rochers sauvagement drossés par les bouillonnements du torrent. Qui roulent dans la nuit d’encre leurs grondements cyclopéens. Ci-dessous, une sextine de ma main traduite par Julian Searle Page à mon intention en ce mois de juillet 2005. La difficulté de cet exercice réside surtout dans le fait que les règles formelles de la sextine ont été strictement respectées dans la traduction. Sestina DRIFTING WAVES Mournful she flees into a dreamless night a hard knot muzzles her soul of silence her throat holds back that drifting tear sufficient then a springtime of gloom so that at last is silent the knell of her lost love in her soul muted through the fulness of the day oh how many a somber day that her song of tears could find respite that stops abrupt the knell of her lost love she that heels listless in her rage of silence bound in the mourning of the springtime of doom that binds her to that shore of many a tear held back from the drifting conch by fear aware of what requites the orb of day that ends her sepulchral spell by no means soon that sees her engulfed in a dreamless night lost and drowned in her rage of silence a tearful somber prey to her lost love a listless prisoner prey to her lost love she falls benighted her rage that knows not mere bewailing free her pangs of silence that then bounds forth in the fulness of the day the web once broken dreams she by night banished far her springtime of gloom and stops abrupt the nowness of her gloom departing too the laughs of love a slumber woven full of dreams by night two together flowing from mere to mere finding again their joyful sunlit day unfolding ever more far from tears of silence unfolding ever more beyond her rage of silence leaving forever her sepulchral room to knot again their joyous sunlit day ceasing to languish in enshrined lost love free from the desire of her rage that knows not mere on the waves of dreams to once again alight far from tears of silence and looks of gloom abandoned to play of water light and love as newfound dreams by night of drifting waves endear Traduction de mon ami Julian Searle Page. VAGUES EN DÉRIVE (sextine) Douloureuse elle fuit dans une nuit sans rêve un nœud étroit musèle ses entrailles muettes sa gorge tient serrés les sanglots en dérive il aura donc suffi d’un printemps ténébreux pour que se taise enfin le glas du désamour dans ses entrailles sourdes à la pleine lumière il en aura fallu des journées sans lumière pour que son chant de pleurs se résigne à la trêve pour que cesse soudain le glas du désamour elle git alanguie dans ses rages muettes enfermée dans le deuil d’un printemps orageux qui la garde attachée sanglotante à la rive elle se tient à l’orée de sa conque en dérive attentive aux rigueurs de la pleine lumière que finisse à jamais ce séjour caverneux qui la vit s’abîmer dans un sommeil sans rêve se perdre et se noyer en des rages muettes en proie aux affres noirs du sanglant désamour prisonnière alanguie en proie au désamour elle se livre en aveugle à sa rage en dérive et brame à la volée sa souffrance muette pour que surgisse enfin dans la pleine lumière la trame interrompue du tissé de ses rêves et que s’exilent au loin les printemps orageux que finisse aussitôt ce séjour ténébreux que s’éloignent avec lui les rires de l’amour que se tisse à nouveau un sommeil plein de rêves et qu’ensemble tous deux coulant de rive en rive ils puissent retrouver leurs jeux vers la lumière évoluer sans fin loin des larmes muettes s’envoler à jamais loin des rages muettes et quitter pour toujours ce séjour caverneux afin de renouer leurs jeux dans la lumière et finir de languir dans un pieux désamour libéré du désir de la rage en dérive se couler à nouveau dans les vagues du rêve loin des larmes muettes et regards orageux s’adonner aux lumières, aux jeux d’eaux et d’amour dans les rêves nouveaux de vagues en dérive Angèle Paoli D.R. angèlepaoli |
Retour au répertoire d'août 2005
Questo preludio di JSB è un perfetto sottofondo musicale alle bellezze che vai descrivendo.Non conosco abbastanza l'inglese per poter apprezzare appieno la tua traduzione, peccato! Ma ugualmente sosto volentieri tra versi e fotografie.
Rédigé par : farouche | 03 août 2005 à 21:53
bonjour ANGELE vraiment très belles photos de la CORSE pays de mes ancêtres.......
ce blog est très intéressant je le parcours ce soir pour la première fois
j'adore LEONOR FINI
les poèmes pleins de sensibilité et de sensualité.........
MERCI
Rédigé par : MARCHI Marie | 21 janvier 2007 à 23:38