Ph, G.AdC JE TRAVAILLE ET JE VOIS, APRÈS Je travaille et je vois, après. Je travaille sans voir – je vois parce que je travaille. Je travaille. A force, je vois un peu, parfois. Il ne faut pas en demander trop. Extrême lenteur. Labour. Je laboure et vois après ce qui a été retourné – terre, ciel, morts, vifs, mots… Labeur. Je retourne toujours les mêmes mots ou peu s’en faut, comme si j’avais besoin d’aller au bout de ça, comme si je pouvais en finir. Je pose le mot ciel, le mot sang : je le pose là, je l’aligne et le laisse posé jusqu’à ce qu’il se défasse, pourrisse, poudroie et ne laisse rien que cendre, poussière, sable de ciel et de sang. Travail... Dans la cendre du mot, je ne vois plus, plus loin ; je ne peux pas tisonner cela. Le travail est alors fini. Avant, j’ai besoin de voir dans la terre labourée du mot. Besoin de lancer dans la langue comme un tracteur lent, besoin De cette épaisseur empierrée, caillouteuse, pas facile, besoin peut-être de cette résistance de la terre pauvre. Les mots, la terre, comme compactée de sens à force de passages. Je commence quand je laboure – quand je sens dans la langue une sorte de masse tassée de nerfs possible – c’est difficile à dire – une sorte de masse de possibles sans fin et le poème ne sera qu’une suite de connexions dans ce trop de possibles. C’est comme ça. Beau temps clair ici – plein bleu et immobilité des branches. Comme bien plus de silence. Toujours ce sentiment de décalage violent entre dedans et dehors. La mort dans l’âme. L’âme ? » Antoine Emaz, Lichen, lichen, Éditions Rehauts, 2003, pp. 46-47. |
ANTOINE EMAZ D.R. Ph. Dominique Houyet ■ Antoine Emaz sur Terres de femmes ▼ → Cambouis → « Le faiseur » → Un lieu, loin, ici (poème extrait de Personne) → Plaie, XV → Poème des dunes → Poème-lettre → La poésie ? → Soirs |
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et, elle revoit les champs, les tracteurs qui peinaient sur les terres arides et accidentelles de son village corrézien, et, elle se revoit une houe à la main entre les sillons des légumes ou du tabac, et elle entend encore le bruit de la terre qui se fend sous l'impact de la houe et elle se souvient..
Clem
Rédigé par : clem | 30 juillet 2005 à 13:13