Ph, Fabiola Narváez Ojeda
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LE MASQUE
« J’écris toujours avec un masque sur le visage;
Oui, un masque à l’ancienne mode de Venise,
Long, au front déprimé,
Pareil à un grand mufle de satin blanc.
Assis à ma table et relevant la tête,
Je me contemple dans le miroir, en face
Et tourné de trois quarts, je m’y vois
Ce profil enfantin et bestial que j’aime.
Oh, qu’un lecteur, mon frère, à qui je parle
À travers ce masque pâle et brillant,
Y vienne déposer un baiser lourd et lent
Sur ce front déprimé et cette joue si pâle,
Afin d’appuyer plus fortement sur ma figure
Cette autre figure creuse et parfumée. »
Valery Larbaud, A.O. Barnabooth, II, Poésies, Bibliothèque de La Pléiade, Éditions Gallimard, 1958, page 47.
Autoportrait dans les miroirs du sommeil
"Quand je saignais
dans la blessure du parler,
je notais:
"que de crayons
je taille
pour écrire un poème!"
Aujourd’hui
je suis blessure et signe
retraduit dans les miroirs du sommeil.
je suis cerné par un cancer de rêves.
Mort tuée par une autre mort,
je ne m’agenouille que dans
les miroirs du sommeil.
Le temple de l’expiation est un vêtement
que n’a pas atteint
mon corps.
Etranger à la brûlure des masques
créés par le péché."
Valeriu Stancu, Autoportrait avec blasphème, édition bilingue français-roumain, Amay, L'Arbre à Paroles, 2001, page 8.
Rédigé par : Marielle | 07 juin 2005 à 17:23
Le masque étouffant du vice et de la vertu
Florence, 1537. Alexandre de Médicis règne en maître sur la ville. Avec l’appui de l’empereur d’Allemagne et du pape. Lorenzo le débauché s’est insinué à la cour d’Alexandre, son cousin, pour l’entraîner avec lui dans les vices qu’il s’est choisis, le séduire et finalement le tuer. Par cet assassinat, Lorenzo veut fournir au parti républicain de Toscane, représenté par Philippe Strozzi, l’occasion de libérer la ville du tyran. Mais le rêve de Lorenzo n’est qu’un leurre. Qui conduit le prince à douter du sens même de son dérisoire héroïsme.
« Lorenzo. – Suis-je un Satan ? Lumière du Ciel ! Quand j'ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne, je marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie du vice comme un enfant de dix ans dans l'armure d'un géant de la Fable. Je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au front. J'avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un masque étouffant ; ô Philippe ! j'entrai alors dans la vie, et je vis qu'à mon approche tout le monde en faisait autant que moi ; tous les masques tombaient devant mon regard ; l'humanité souleva sa robe et me montra, comme à un adepte digne d'elle, sa monstrueuse nudité. J'ai vu les hommes tels qu'ils sont, et je me suis dit : Pour qui est-ce que je travaille ? Lorsque je parcourais les rues de Florence, avec mon fantôme à mes côtés, je regardais autour de moi, je cherchais les visages qui me donnaient du coeur, et je me demandais : Quand j'aurai fait mon coup, celui-là en profitera-t-il ? J'ai vu les républicains dans leurs cabinets ; je suis entré dans les boutiques ; j'ai écouté et j'ai guetté. J'ai recueilli les discours des gens du peuple ; j'ai vu l'effet que produisait sur eux la tyrannie ; j'ai bu dans les banquets patriotiques le vin qui engendre la métaphore et la prosopopée ; j'ai avalé entre deux baisers les larmes les plus vertueuses ; j'attendais toujours que l'humanité me laissât voir sur sa face quelque chose d'honnête. J'observais comme un amant observe sa fiancée en attendant le jour des noces.
Philippe. - Si tu n'as vu que le mal, je te plains ; mais je ne puis te croire. Le mal existe, mais non pas sans le bien, comme l'ombre existe, mais non sans la lumière.
Lorenzo. - Tu ne veux voir en moi qu'un mépriseur d'hommes : c'est me faire injure. Je sais parfaitement qu'il y en a de bons ; mais à quoi servent-ils? Que font-ils ? Comment agissent-ils ? Qu'importe que la conscience soit vivante, si le bras est mort ? Il y a de certains côtés par où tout devient bon : un chien est un ami fidèle ; on peut trouver en lui le meilleur des serviteurs, comme on peut voir aussi qu'il se roule sur les cadavres, et que la langue avec laquelle il lèche son maître sent la charogne à une lieue. Tout ce que j'ai à voir, moi, c'est que je suis perdu, et que les hommes n'en profiteront pas plus qu'ils ne me comprendront.
Philippe.- Pauvre enfant, tu me navres le cœur ! Mais si tu es honnête, quand tu auras délivré ta patrie, tu le redeviendras. Cela réjouit mon vieux cœur, Lorenzo, de penser que tu es honnête ; alors tu jetteras ce déguisement hideux qui te défigure, et tu redeviendras d’un métal aussi pur que les statues de bronze d’Harmodius et d’Aristogiton.
Lorenzo.- Philippe, Philippe, j’ai été honnête. La main qui a soulevé une fois le voile de la vérité ne peut plus le laisser retomber ; elle reste immobile jusqu’à la mort, tenant toujours ce voile terrible, et l’élevant de plus en plus au-dessus de la tête de l’homme, jusqu’à ce que l’ange du sommeil éternel lui bouche les yeux.
Philippe.- Toutes les maladies se guérissent ; et le vice est aussi une maladie.
Lorenzo.- il est trop tard. Je me suis fait à mon métier. Le vice a été pour moi un vêtement ; maintenant il est collé à ma peau. Je suis vraiment un ruffian, et, quand je plaisante sur mes pareils, je me sens sérieux comme la mort au milieu de ma gaieté. Brutus a fait le fou pour tuer Tarquin et ce qui m’étonne en lui, c’est qu’il y ait laissé sa raison. Profite de moi, Philippe, voilà ce que j’ai à te dire ; ne travaille pas pour la patrie. »
Alfred de Musset, Lorenzaccio, III, 3, 1834.
Rédigé par : Angèle | 12 juin 2005 à 22:00