Le
30 juin 1961, le Teatro Nuovo de Spoleto (Italie) présente
Salomé, drame musical de
Richard Strauss. D’après la pièce en un acte d’Oscar Wilde. Sur une mise en scène et des décors de
Luchino Visconti.
L’histoire de Salomé, personnage du Nouveau Testament, a inspiré de nombreux artistes. Depuis les sculpteurs et graveurs du Moyen Age. Jusqu’aux peintres, poètes et musiciens contemporains. Chaque artiste, reprenant et modifiant à son gré la légende biblique, brodant autour des différentes figures qui le composent, selon sa propre interprétation. Mais c’est avec les artistes symbolistes et décadentistes du XIXe siècle (Stéphane Mallarmé pour la poésie, Gustave Moreau pour la peinture) que le mythe prend toute son ampleur et toute sa force.
Quelques versets à peine suffisent à faire de la fille d’Hérodiade une figure mythique. Sa danse, commandée par Hérode le Grand, son beau-père, et exécutée par la jeune fille devant la cour du tyran, est immédiatement suivie de la mise à mort de Jean-Baptiste. Le chef sanglant du prédicateur sera servi sur un plateau à la belle insouciante. Sous le regard satisfait de sa mère et au grand dam d’Hérode, contraint d’exécuter le désir de celle dont il s’est épris. Tout entière contenue dans douze versets (évangile de Matthieu) c’est une sombre histoire de famille que celle de la petite Salomé (dont le nom signifie « paix » en hébreu !). Une histoire tissée de passions, de jalousies, de vengeances et de sang.
Pour Oscar Wilde, qui destine sa pièce (1899) à Sarah Bernhardt, la légende de Salomé prône la victoire du désir sur la mort. Frappée d’interdit en Angleterre, la pièce triomphe en France.
En 1905, Richard Strauss s’empare de la légende de Salomé pour composer un opéra en un acte. L’œuvre musicale, par la violence du sujet et de la composition, heurte les sensibilités et déclenche le scandale. Elle finit pourtant par s’imposer sur les grandes scènes d’Europe et de New York. Le mythe de Salomé a la vie dure. La princesse juive ne se résigne pas à mourir. Le 30 juin 1961, le rideau s’ouvre à nouveau pour elle. Sur la scène du Teatro Nuovo de Spolète, pour la première d’une brillantissime trilogie : Wilde, Strauss, Visconti.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
« Le rideau se lève lentement, le décor apparaît dans toute la richesse de son architecture biblique. Sur un fond fabuleux se détache une tour de Babel opaque et mythique. À gauche, en plein ciel, la lune menaçante, énorme, impudente, comme dans le poème d’Oscar Wilde, allusive ou moqueusement romantique. Elle deviendra sanglante lorsque Salomé, dans son obsession satisfera ses désirs en baisant la bouche de Yokanaan (Jean-Baptiste). À droite s’élève le royaume d’Hérode. D’une architrave puissante jaillit un long escalier. En haut, à la frontière du royaume, sur une petite colline, un soldat monte la garde. Son bouclier fait face à la lune. Au milieu du décor, dans une lueur verdâtre et maléfique, la grille cache la prison souterraine de Yokanaan. Se détachent le rouge de tuniques, le blanc et noir des mantilles et des capuchons à la mode orientale. Précédée d’esclaves torses nus qui portent des torches, Salomé (Margaret Tynes) apparaît en haut des marches. Très belle, diabolique, la jeune fille surgit dans sa fulgurante nudité. Devant l’audace de Visconti, dans la pénombre de la salle, on sent la stupeur du public. Salomé n’a pas le moindre voile. Elle est protégée d’un grand manteau, rose à l’intérieur, noir à l’extérieur, un manteau très long qui ne la recouvre pas. Au cours de la célèbre danse, la princesse, au lieu de retirer ses sept voiles, les met l’un après l’autre. »
Erasmo Valente, L’Unità, 1er juillet 1961.
Dessin de Aubrey Beardsley pour Salomé d'Oscar Wilde,
publié par Elkin Mathews et John Lane, Londres, 1894
Source
EXTRAIT
Les esclaves éteignent les flambeaux. Les étoiles disparaissent. Un grand nuage noir passe à travers la lune et la cache complètement. La scène devient tout à fait sombre. Le tétrarque commence à monter l’escalier.
La voix de SALOMÉ : Ah ! j’ai baisé ta bouche, Iokanaan, j’ai baisé ta bouche. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Est-ce la saveur du sang ?… Mais peut-être est-ce la saveur de l’amour. On dit que l’amour a une âcre saveur. Mais qu’importe ? J’ai baisé ta bouche, Iokanaan, j’ai baisé ta bouche.
Un rayon de lune tombe sur Salomé et l’éclaire.
HÉRODE, se retournant et voyant Salomé : Tuez cette femme.
Les soldats s’élancent et écrasent sous leurs boucliers Salomé, fille d’Hérodias, princesse de Judée.
Wilde (Oscar), Salomé, Paris, Gallimard, 1996.