Entré dans la clandestinité sous l’Occupation, Robert Desnos est arrêté le
22 février 1944 par la Gestapo et jeté dans le camp d’internement de Royallieu, à Compiègne. Il y rédige une ébauche de ce qui deviendra le sonnet intitulé « Printemps ».
PRINTEMPS
Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres
Dans un printemps en proie aux sueurs de l’amour,
Aux parfums de la rose éclose aux murs des tours,
à la fermentation des eaux et de la terre.
Sanglant, la rose au flanc, le danseur, corps de pierre
Paraît sur le théâtre au milieu des labours,
Un peuple de muets d’aveugles et de sourds
applaudira sa danse et sa mort printanière.
C’est dit. Mais la parole inscrite dans la suie
S’efface au gré des vents sous les doigts de la pluie
Pourtant nous l’entendons et lui obéissons.
Au lavoir où l’eau coule un nuage simule
A la fois le savon, la tempête et recule
l’instant où le soleil fleurira les buissons.
Desnos
6.4.44
19 rue Mazarine
Paris VI
Robert Desnos, Destinée arbitraire, Gallimard, Collection Poésie, 1975, page 215.
Robert Desnos par Kiki de Montparnasse
Il y a tout de même un copain que je ne peux passer sous silence, d’abord parce que c’est une figure de Montparnasse et ensuite et ensuite parce que c’est un grand ami.
On ne discute pas Robert Desnos ! On l’aime ou on ne l’aime pas. Il est trop entier, trop personnel pour qu’on puisse éprouver un sentiment vague envers lui.
Desnos est le type que vous voyez toujours courir ! On croirait qu’il se dépêche de vivre !
À la vérité, s’il court tellement, s’il est pressé quand vous le rencontrez, c’est qu’il va rendre service à quelqu’un. Et il se donne un mal inouï pour procurer des places, trouver de l’argent pour un ami.
Quant à lui, il s’en fout royalement ! De l’argent, il en a rarement, et celui qu’il a est pour ses copains.
En lui, rien n’est banal.
Te souviens-tu, vieux Robert, de cette chambre où tu logeais, si minuscule que tu devais te déshabiller sur le palier avant de te coucher.
Ça a duré comme ça assez longtemps ! Il a casé bon nombre d’amis mais il s’oubliait !
Heureusement qu’un beau jour il s’est aperçu que l’amour lui emboîtait le pas ; il se présente sous l’aspect d’une splendide fille intelligente, qui pensait comme lui, avait à peu près les mêmes goûts et avait le plus poétique des noms :
« Youki », ce qui veut dire :
« Fleur de neige ».
Vous pensez, ce grand poète, quel coup ça a dû lui faire quand il a murmuré ce nom de rêve.
Kiki de Montparnasse, Souvenirs retrouvés, José Corti, 2005, page 215.
Le portrait de Kiki est touchant
Rédigé par : JC-Milan | 08 juin 2005 à 12:35
Ce sonnet de Desnos résonne douloureusement. Et le destin de son auteur, mêlé à "la vie éparse de Rrose Sélavy" , le couvre de résonances encore plus étranges, secrètes et souffrantes.
J'ai fait un tour (beaucoup trop rapide) dans vos "appartements" et y trouve un goût de la Souvenance, de l'Anniversaire - bref de la Mémoire - qui tend à rapprocher les rivages de mon "Mémorial de la Rue d'Où-suis-je?" de vos Terres de Femmes. Je suis heureux, lorsque posant la main en visière sur le front, j'aperçois les côtes de vos terres très directement sur l'horizon. Comme quoi, quand on veut : on en voit des choses d'une simple fenêtre !!!
Bises maritimes et beaux embruns.
Nota : toujours pas eu le courage d'affronter une nouvelle chronique de mon côté. Ca viendra. Pour l'instant : il fait beau : je vais dans les collines.
Rédigé par : dibrazza | 09 juin 2005 à 10:21