Le 3 juin 1937, ouverture de la première exposition Henri Michaux, galerie-librairie de la Pléiade (Paul-Magné) à Paris. Exposition de vingt gouaches, pendant vingt jours. Une série sur fond noir. Qui signe l’acte de naissance du poète à la peinture.
Jean Dubuffet Monsieur Plume plis au pantalon (Portrait d'Henri Michaux), 1947 Collection Tate, Londres Source Deux ans plus tard, en 1939, Michaux publie chez GLM [Guy Lévis Mano], avec un avant-propos de Louis Cheronnet, un ouvrage intitulé Peintures. Dans ce recueil, l’auteur reprend certaines des gouaches de 1937. En tout seize illustrations accompagnées de sept poèmes : « Tête », « Clown », « Paysages », « Dragon », « Combats », « Couché ». Et « Prince de la nuit », l’une des gouaches les plus fascinantes de cette époque. Sur fond noir. Ce noir, d’où jaillissent de surprenantes apparitions, des silhouettes minuscules qui gesticulent en tous sens. Mais aussi des masques inquiétants, d’exubérants paysages. Peintures dont la force plastique est en relation étroite avec la force psychique qui en constitue le moteur. En 1943 se précise dans Exorcisme l’une des idées clés du poète-peintre. Michaux voit en l’acte d’écrire ou de peindre un acte d’exorcisme, qui permet de conjurer les forces mauvaises à l’œuvre dans l’homme. Dès lors, cette « attaque de bélier » qu’est l’exorcisme… « est le véritable poème du prisonnier ». Expérimenté à travers de nombreux voyages et des voyages au pays de l’écriture. Un exorcisme que Michaux cherche à travers un « nouveau langage ». Dans le dessin d’abord, puis dans la peinture. Il ne s’agit nullement pour lui d’accompagner ses œuvres de redondantes illustrations mais bien plutôt d’expérimenter un moyen d’accéder à une expérience de la vie plus directement que par les mots. Chargés de dénotations qui constituent autant d’obstacles à la « libération » recherchée par le poète. « Je cherchais des noms et j’étais malheureux. Le nom : valeur d’après coup et de longue expérience. Il n’y en a que pour les peintres dans le premier contact avec l’étranger ; le dessin, la couleur, c’est tout et se présente d’emblée », écrivait déjà Henri Michaux dans Ecuador (1929). Gouaches, et aquarelles surtout, occupent une place de plus en plus importante dans la réflexion de Michaux. « Le "flash", les couleurs qui filent comme des poissons sur la nappe d’eau où je les mets, voilà ce que j’aime dans l’aquarelle. Le petit tas colorant qui se désamoncelle en infimes particules, ces passages, et non l’arrêt final, le tableau… Eau de l’aquarelle, aussi immense qu’un lac, eau, démon-omnivore, rafleur d’îlots, faiseur de mirages, briseur de digues, débordeur de mondes… » « C’est pour m’avoir libéré des mots, ces collants partenaires, que les dessins sont élancés, presque joyeux. » Le dessin occupe dans l’esprit de Michaux la place privilégiée qu’occupaient jadis en lui les mots. Il est pour le poète-peintre un « moyen de vivre » qui lui permet d’explorer plus à fond ses « propriétés », cet « espace du dedans » qu’il essaye d’atteindre et de percer. Pour cela, il lui faut tenter de se débarrasser des oppressantes contraintes du dehors. Tentative poussée jusque dans ses extrémités, puisque, dès 1955, le poète-peintre expérimente les effets de la mescaline sur sa créativité. Un moyen pour Michaux de poursuivre sa réflexion jusque dans les limites de ce « misérable miracle ». Là où les dessins de la mescaline frappaient par la prolifération du répété, le langage, poussé jusque dans ses retranchements extrêmes, est contraint de prendre en charge le brisement final. Jusqu’à l’ultime effacement.
Le multiple me dépèce
malmené down pf pf pf Paix dans les brisements, Paris, Karl Flinker, 1959, page 41.
Prince de la nuit, 1937 Aquarelle sur fond noir, 33 x 24 cm Musée national d'art moderne-Centre de création industrielle, Centre Georges-Pompidou, Paris - Don du fonds DBC, 1976 © Adagp, Paris 1997 et Editions du Centre Pompidou Source Prince de la nuit, du double, de la glande
aux étoiles du siège de la Mort, de la colonne inutile, de l'interrogation suprême. Prince de la couronne rompue, du règne divisé, de la main de bois. Prince pétrifié à la robe de panthère. Prince perdu Peintures, Paris, G.LM. [Guy Lévis Mano], 1939 (33 ff. non paginés).
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HENRI MICHAUX Source ■ Henri Michaux sur Terres de femmes ▼ → 24 mai 1899 | Naissance de Henri Michaux → 28 décembre 1927 | Henri Michaux embarque pour l’Équateur → Mes Propriétés (extrait) → 12 février 1965 | Rétrospective Henri Michaux → 19 octobre 1984 | Mort de Henri Michaux → La Ralentie ■ Voir aussi ▼ → (sur remue.net, collectif littérature) Flottement d’Henri Michaux rue Saint-Benoît à Paris (6e), par Dominique Hasselmann |
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"Je peins comme j'écris. Pour trouver, pour me retrouver, pour trouver mon propre bien que je possédais dans le savoir. Pour en avoir la surprise et en même temps le plaisir de la reconnaître. Pour faire ou voir apparaître un certain vague, une certaine aura où d'autres veulent ou voient du plein."
HENRI MICHAUX
Extrait du catalogue Moments of Vision,
Rome–New York Art Foundation, Rome, 1959
Chère Angèle,
je vous en prie, ne faites aucun rapprochement, aucune comparaison avec ce qui suit :
LE VENT NE TOURNE PAS SOUVENT ICI_____________
J'écris toujours comme un drapeau flotte au vent
Toujours dans le même sens,
Vers le point que je regarde,
Le soupirail d'où je vois poindre
Un rayon de lumière épais,
Epais par la poussière qu'il contient.
Car un jour j'ai cru rencontrer
Sous un soleil éclatant
Un sourire triste
Sur une bouche de pierre
Durcie par le hasard,
Le hasard qui regarde toujours dans le même sens,
Le même sens que le vent,
Le vent qui ne tourne pas souvent ici.
Amicizia
Guidu __________
Rédigé par : Guidu | 03 juin 2005 à 21:06
une phrase de Michaux qui depuis des années trotte dans ma tête, moi amoureuse du désert
"le désert n'ayant pas donné de concurrent au sable, grande est la paix du désert"
Rédigé par : ludecrit | 03 juin 2005 à 23:04
Cette citation de Guidu me gêne, parce qu’elle est entachée, à mon sens, d’une coquille qui entraîne une erreur grave d’interprétation des propos de Michaux. Voire un contresens sur la pensée du poète-peintre. Il faudrait suggérer la correction suivante au webmestre du site du musée d’Art et d’Histoire de Genève, d'où est issue cette citation : « Pour trouver, pour me retrouver, pour trouver mon propre bien que je possédais sans [et non pas dans] le savoir ».
Cette préposition utilisée à mauvais escient a une conséquence fondamentale : « dans le savoir » suggère que Michaux, pour construire son œuvre, s’appuie avant tout sur des présupposés. Présupposés dont, tout au contraire, il tente de se détacher. Afin de pouvoir dépasser les obstacles de la conscience et atteindre ce qui relève de son inconscient (« sans le savoir »).
Pour éclairer ces propos, qui datent de 1959, on peut ajouter ceux-ci, antérieurs de deux ans (1957), et dont André Passeron rend compte dans un article intitulé « Conscience et peinture » in Cahiers de l’Herne, 1966, p. 396 :
« Michaux - dépassant le récit, le poème et enfin la langue parlée - n’a mis aucun préjugé de doctrinaire, aucun talent de simulateur dans la prospection de cette parole intime… Dans un article de 1957, il écrit : "Au lieu d’une vision à l’exclusion des autres, j’eusse voulu dessiner les moments qui bout à bout font la vie, donner à voir la phrase intérieure, la phrase sans mots, corde qui indéfiniment se déroule sinueuse, et dans l’intime accompagne tout ce qui se présente du dehors comme du dedans. Je voulais dessiner la conscience d’exister et l’écoulement du temps."»
« Vitesse et tempo », Quadrum, n° 3, 1957, p. 15.
Rédigé par : Angèle Paoli | 04 juin 2005 à 12:09
J'entre à pas feutrés dans votre univers, guidée par un lien ami. J'aime vos mots.
Rédigé par : la fille d'à côté | 04 juin 2005 à 12:27
Vous êtes la bienvenue , "la fille d'à côté". Je crois savoir quel est le lien ami qui vous a conduite jusqu'à moi.
Pour vous, ces mots de Michaux :
"Dès que j'écris, c'est pour commencer à inventer" (Passages). Inventer aussi de nouveaux espaces de passage et de partage...
Rédigé par : Angèle | 04 juin 2005 à 12:48
Très beau texte. L'oeuvre d'Henri Michaux inépuisable, l'écriture et la peinture sont indissociables.
Je ne résiste pas au plaisir de citer un extrait de "Clown"
"Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour, j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien.
Je lâcherai ce qui paraissait m'être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D'un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons
et enchaînements "de fil en aiguille".
Vidé de l'abcès d'être quelqu'un, je boirai à nouveau l'espace nourricier.
A coups de ridicules, de déchéances, par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j'expulserai de moi la forme qu'on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes mes semblables..."
Henri Michaux par René Bertelé, in Poètes d'aujourd'hui, Editions Seghers, Paris, 1957, 1969.
Par ailleurs, dans Henri Michaux, Peinture et poésie, d'Henri-Alexis Baatsch, Editions Hazan, Paris, 1993, je note dans la biographie en l'année 1937, première exposition (galerie Pierre, Paris).
Dans Henri Michaux, Peindre, composer, écrire, sous la direction de Jean-Michel Maulpoix et Florence de Lussy, Bibliothèque nationale de France/Gallimard, 1999 dans repères biographiques, p. 235 : 3-23 juin 1937 = Première exposition de gouaches, la plupart sur fond noir, à la galerie Paul Magné.
Puis dans Henri Michaux, Peintures, Alfred Pacquement avec un essai de Raymond Bellour, Editions Gallimard, 1993, p. 302 : 1937 = première exposition (Galerie Pierre, à Paris)*.
* Michaux fait erreur sur la date de l'exposition Galerie Pierre qui a lieu en novembre 1938.
Alors que dire !
MCS
Rédigé par : mcs | 04 juin 2005 à 21:31
Merci, mcs, pour cette contribution. De nombreuses chronologies font en effet la confusion entre la galerie Pierre et la galerie Paul-Magné (librairie-galerie de la Pléiade). La date de 1937, elle, n'est pas contestée, pour ce qui concerne la première exposition. René Bertelé, lui, dit en clair dans son article "Notes pour un itinéraire de l'oeuvre plastique d'Henri Michaux" (Cahiers de l'Herne, consacré à Henri Michaux, page 360) : "C'est en 1937 qu'aura lieu sa première exposition à la galerie de la Pléiade à Paris".
Rédigé par : Angèle Paoli | 04 juin 2005 à 22:23
Prince de la nuit, du double, de la glande
aux étoiles
du siège de la Mort,
de la colonne inutile,
de l'interrogation suprême.
mcs
Rédigé par : Marie-Christine | 29 septembre 2008 à 18:00