« Je fais de mon mieux pour faire un portrait fidèle des gens que j'ai connus, pour qu'on pense encore à eux une fois qu'ils seront dans l'autre monde. Des gens passeront au-dessus de nos têtes; il se peut même que certains s'aventurent dans le cimetière où je repose; mais des gens de notre sorte, il n'y en aura plus. Nous serons là étendus et tranquilles et le vieux monde aura déjà disparu. »
Sayers Peig, Autobiographie d'une grande conteuse irlandaise, traduit de l'irlandais par Joëlle Gac, introduction de Pêr Denez, préface de Mícheál Ó Guithín, Éditions An Here, 1999, page 290.
Connaissez-vous Sayers Peig ? Peut-être pas. Son nom est pourtant inscrit au panthéon de la littérature irlandaise.
Née à Vicarstown en 1873, Sayers Peig a été élevée dans la péninsule de Dingle, à l'ombre des contes dont son père lui a fait le récit pendant les longues soirées hivernales. C’est tout le folklore des lieux qui défile chaque soir devant cette petite fille. Qui n'a de cesse d'emplir son esprit de ces merveilleuses histoires. De quoi lui faire oublier de temps en temps sa condition misérable et le travail pénible de domestique qu'elle exerce depuis l'âge de douze ans. Le temps passe, Sayers grandit sur le continent irlandais. À dix-huit ans, elle est donnée en mariage à Pádraig Ó Gaothín, un pêcheur des îles Blaskett. Elle emménage sur la Grande Blaskett qu'elle ne quittera plus. Sayers Peig donne naissance à dix enfants, dont sept survivront. À la mort du père, tous s'exilent aux États-Unis. Un seul rentrera au pays retrouver sa mère qui vit alors avec son beau-frère aveugle.
En dépit des difficultés de la vie, Sayers Peig garde intacte sa passion du conte. Et son goût pour les traditions est toujours vivant en elle. Vient alors son tour de raconter des histoires à ses enfants et à son entourage. Pour la plupart, des épisodes de sa vie rude ou des récits sur la condition sociale de l'époque. Ou sur le travail des femmes. Sur l’enfance ou la vie qui passe. Peu à peu, c’est toute l’histoire irlandaise que Sayers Peig distille dans ses pensées. En arrière-plan de son œuvre, des événements tels que la Grande famine, la partition de l'Irlande, les luttes indépendantistes, les combats agraires et sociaux…
C'est également un magnifique portrait de la vie insulaire que brosse Sayers Peig. Mais encore une fresque historique des Iles Blaskett. Iles qu'elle a appris à aimer plus que quiconque. Le destin de tout un peuple, mêlant événements socio-politiques et légende. Un monde qui nous semble aujourd'hui si lointain, issu d'un autre temps, d'une autre vie. Des rapports humains qui ont disparu, des conditions de vie précaires où le mot solidarité revêt alors tout son sens.
Les Iles Blaskett se sont peu à peu vidées de leur substance vive. Elles sont officiellement évacuées en 1957. L'archipel est aujourd’hui encore inhabité. Les habitants ont pourtant cru à un dernier sursaut lorsque le courant « Celtic Revival » s'est intéressé au folklore et aux conteurs du lieu. Mais cela n'a pas suffi.
Après l'abandon définitif de l'île, Sayers Peig se retire à Dingle où elle s'éteint en 1958, après un séjour de plusieurs mois à l'hôpital. Elle était la dernière survivante des trois grands écrivains des Iles Blaskett. Avec Tomás O Criomhthain (Thomas O'Crohan) et Muiris O'Súlleabháin (Morris O'Sullivan).
Son œuvre a survécu grâce à son fils Michael, qui notait chacune de ses histoires et tous les souvenirs qu'elle racontait à ses proches. Dernière grande conteuse des Iles Blaskett, Sayers Peig a également été une militante fervente au sein du comité de préservation du folklore irlandais. Elle qui ne savait pas écrire… elle maîtrisait plus de 80 000 mots de gaélique. Ce qui l’a conduite à être la traductrice des plus grands linguistes de son temps.
Les récits de vie de Sayers Peig sont tout à la fois riches et simples. Alternant humour et gravité. Il convient cependant de rester vigilant quant aux traductions proposées, tant certains termes gaéliques ont peu d’équivalents dans la langue anglaise… ou française. D’aucuns ont également ajouté leur touche personnelle à ces récits, y insérant des éléments biographiques concernant la vie de Sayers Peig dans les Iles Blaskett. On ne peut toutefois que se réjouir de l'excellente traduction de Joëlle Gac : Sayers Peig: Autobiographie d'une grande conteuse irlandaise (op. cit.). À cette étonnante autobiographie, il convient d'ajouter la lecture de An Old Woman's Reflections: the Life of a Blaskett Island Storyteller (Oxford University Press, 1977), recueil de souvenirs personnels de Sayers Peig et autres histoires témoignant de la tradition des Iles Blaskett.
Marielle Lefébure
D.R. Texte Marielle Lefébure
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Merci pour ce site que je découvre au hasard de mes recherches. Bien à vous. Barbara
Rédigé par : lezmy barbara | 02 septembre 2006 à 16:42
Bonjour,
Merci pour la chronique concernant Sayers Peig. Mon vieux fond écossais, malgré mon nom, s'est réveillé pour cette Irlande bien plus proche que l'Angleterre.
Au plaisir.
Rédigé par : Jean Heringer | 27 janvier 2007 à 22:26