Vous hiboux, ténébreux hiboux, ne voyez pas,
Bien que fils des forêts, que les forêts sont vertes.
Comptez-vous comme nous sur l'éclair du trépas
Pour faire du réel l'entière découverte?
Quatrains pour crier avec les hiboux, Éditions Gérard Oberlé, 1984.
La poétesse Lucienne Desnoues s'est éteinte en 2004. J’ai le désir de lui rendre ici hommage, de l'évoquer en quelques lignes, de retrouver l'ivresse de ses mots et de son imaginaire.
Née à Saint-Gratien, dans le Val d’Oise, en 1921, Lucienne Desnoues est la petite-nièce du forgeron Desnoues qu’Alain-Fournier évoque dans Le Grand Meaulnes. Après avoir passé un quart de siècle en région parisienne, Lucienne Desnoues s'installe en Belgique en 1953. Elle épouse Jean Mogin, fils du poète bruxellois Geo Norge. Au début des années 1980, le couple déserte le plat pays pour le Lubéron. Mais Lucienne Desnoues perd son compagnon en 1986 et se retrouve seule. Sa famille la soutient. Lucienne s'adapte à cette nouvelle vie en savourant les plaisirs de la nature et la beauté du paysage. Une joie de vivre qu'elle transmet à ses textes poétiques, en les teintant d'une gravité qui leur confère une force si particulière.
Le café, ce beau ténébreux,
Brûlant, bouche à bouche, m’exhorte
À prendre doucement la porte,
La barrière et le chemin creux.
Sous la hêtraie ou le charmoy,
Dit-il, sur de sourdes pelouses,
M’attend, grandes Amours jalouses,
La chère, chère, chère moi !
Le bol de café, extrait, in Les Ors, Seghers, 1966.
Jardin délivré, son premier recueil, est publié à Paris en 1947 aux éditions Raisons d'Être. Préfacé par Charles Vildrac. Grâce à ce soutien, Lucienne est approchée par quelques écrivains. Parmi eux, Colette, qui reconnaît en elle un poète et se prend d'amitié pour ses vers. Colette à qui plus d’un connaisseur (dont Michel Mercier, un des auteurs des Cahiers Colette) compare Lucienne Desnoues. Pour ses exigences d'écriture, son souci permanent de parfaire, sa rigueur et sa subtilité. Mais aussi son « extraordinaire maîtrise artisane », qu’évoque Marcel Thiry dans la préface du recueil Les Ors (Seghers, 1966).
Dans l'œuvre poétique de Lucienne Desnoues, l'amour est omniprésent. L'amour de l’autre, l'amour porté à son compagnon de route, à sa famille, aux êtres qui lui sont chers mais aussi au monde qui l'environne : fleurs, arbres et oiseaux. Les mots virevoltent et explosent sous sa plume, ils chantent et dansent quand ils ne sont pas les éléments subtilement orchestrés d'une vraie symphonie poétique. À partir de termes simples, Lucienne Desnoues crée un opéra lyrique, obéissant toujours aux règles qu'elle s'est fixées, alliant le souci de la métaphore et une prédilection pour la richesse des rimes et allitérations. Une exigence qui la conduit à retravailler ses textes poétiques jusqu'à ce qu'ils se colorent de touche gourmande. Certains de ses détracteurs se gausseront de ses rimes qu’ils jugeront simplistes. Laissons cela de côté pour apprécier son inventivité, tant dans ses constructions que dans ses créations de mots-couples (l'amour-saumon, l'amour-gladiateur), qui en quelques lettres suggèrent l’essentiel.
Sans attendre et par le menu
Tout l’advenu, le survenu
Rebrûle et fume,
Et le Globe retourne en rond
Dans ce que nous fîmes, ferons,
Sommes et fûmes.
Terre, je me mets à genoux.
Je veux oublier ce que nous
Fûmes et fîmes
Hier à Nice ou Niamey
Et du mondial me calmer
Avec l’infime
L'enclos, extrait, in La Plume d'oie, Bruxelles, Jacques Antoine, 1971.
Bibliographie poétique sélective
- Jardin Délivré, Raisons d’être, Paris, 1947. Préface de Charles Vildrac.
- Les Racines, Raisons d’être, Paris, 1952.
- La Fraîche, Gallimard, Paris, 1958.
- Les Ors, Seghers, Paris, 1966. Préface de Marcel Thiry.
- La Plume d’oie, Jacques Antoine, Bruxelles, 1971.
- Le Compotier, Vie Ouvrière, Paris-Bruxelles, 1982.
- Quatrains pour crier avec les hiboux, Gérard Oberlé, 1984.
- Dans l’éclair d’une truite, Gérard Oberlé, 1990.
- Anthologie personnelle, Actes sud, 1998.
Œuvres en prose
- L’Œuf de plâtre, récit pour enfants, Desclée-De Brouwer, Paris, 1964.
- Toute la pomme de terre, Mercure de France, 1978.
- L’Orgue sauvage et autres contes de Noël, Jacques Antoine, Bruxelles, 1980.
Marielle Lefébure
D.R. Texte Marielle Lefébure
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il y a aussi le très beau CD des poèmes de Lucienne Desnoues
chanté par Hélène Martin
pur bonheur
(collection poètes & chansons) EPM
cordialement
Rédigé par : marc Laumonier | 13 septembre 2006 à 20:22
Bienvenue, Marc, et merci à vous pour ce renseignement qui peut intéresser nombre de nos lectrices et lecteurs.
Rédigé par : angelepaoli | 13 septembre 2006 à 22:23
Lucienne Desnoues est une poétesse que je viens de découvrir. J'adore la fraicheur qui éclabousse ses poèmes et notre huleur! J'ai lu récemment le poème parlant des "primeurs". J'aimerais savoir de quel recueil il est extrait. Merci pour votre réponse. Cordialement.
Rédigé par : Alexia Donetti | 02 août 2007 à 09:37
Bonjour Alexia,
S'agirait-il du poème suivant ?
Primeurs
"On va déballer la fraîcheur du monde,
Les fruits, les primeurs, les cageots de fleurs,
Matin maraîcher, bombe et te débonde.
Halles et marchés, hissez vos couleurs !
L’aube des cités regorge de feuilles,
On va désangler les cressons puissants.
Sur leur dos carré – hisse !- les accueillent
Les forts du carreau, des donneurs de sang… "
J'ai transmis votre commentaire à Marielle.
Amicizia,
Angèle
Rédigé par : Angèle | 02 août 2007 à 12:42
Bonjour Alexia. Bonjour TDF que j'ai déserté depuis si (trop) longtemps!
Je n'ai malheureusement pas la réponse exacte concernant la source de ce beau poème "Primeurs". J'hésite entre le recueil Le Compotier (Vie ouvrière, 1982) et Les Racines (Raisons d'Etre, 1952), mais je n'en suis pas certaine du tout et je ne dispose plus sous la main de la belle anthologie publiée chez Actes Sud. Je vais poursuivre mes recherches ! Amicalement.
Rédigé par : Marielle | 10 août 2007 à 16:51
Merci beaucoup pour ces recherches.
Malheureusement il me faut très vite les bonnes références et j'ai l'impression que cela est vraiment difficile à trouver !
Je vais continuer à chercher.
Merci beaucoup!
Cordialement
Rédigé par : Alexia Donetti | 23 août 2007 à 09:48
Il est parfois des moments de magie où toutes les cloisons s'estompent ; même celles que dresse le trépas entre les encore vivants et les déjà partis ; tel est le cas de feu Lucienne Desnoues dont la poésie ne cesse de nourrir les poètes qui l'ont connue.
Rédigé par : el inani | 09 juillet 2008 à 10:21
Un spectacle existe sur les textes de Lucienne Desnoues, dits, jouées, chantés par une jeune comédienne-chanteuse, Aude marchand.
On peut se renseigner auprès de R.Dejasmin, 04 92 72 83 83.
Rédigé par : Régis Dejasmin | 01 juillet 2009 à 14:33