Ph. D.R. Source LOVE TRAIN Ils ont pris le train de nuit. Le train pour Rome. Le Palatino. Ils s’installent dans leur T3. Luxe et fébrilité ! Une couchette pour chacun. Toi, toi, et moi. Elle prend le haut. Il prend le bas. Elle prend la couchette intermédiaire. Ils n’en finissent plus de s’installer. Livres et journaux étalés. Plus quelques victuailles dépaquetées. Ils parlent et rient. Enivrés par les mystères de l’horizon nocturne. Le train vient à peine de s’ébranler que déjà s’esquissent dans leurs œillades des baisers gourmands. La targette est-elle tirée ? Oui, elle l’est, mais le contrôleur peut ouvrir toutes les portes et entrer comme il le veut. Elle en a l’expérience. Les murs grisailles de Paris défilent à contre-courant. Les rideaux sont glissés. Les voilà tous trois coupés du monde. Enclos dans leur cocon de nuit. Le rythme s’accélère. Celui de leurs langues emmêlées aussi. Heureusement pour eux, la nuit tombe vite en février. Le ciel bas et noir répand sur leur complicité son invisible lumière. Ils sont seuls. Lancés à pleine vitesse. Bus par l’encre de la nuit. Une rêverie idyllique répand ses ombres sur leur compartiment. Ils se laissent bercer par cette effusion ineffable. Soudain, emportés par une secousse plus forte, ils chavirent. Roulent l’un sur l’autre. La banquette du bas les reçoit, qui grince de tous ses essieux. Ses tressaillements rejoignent les sursauts secrets de la machine. Là, tout près. Juste sous eux. Elle sent les moindres trépidations du serpent de nuit l’envahir. Sa rage secrète se mêle à la sienne. Ils se dévêtent en un silence bruissant de rythmes. Un pantalon, un pull-over, une chemise à gros carreaux, un jean, un velours côtelé, un gilet prune à grosses mailles. Zippé. Les chaussures s’entassent pêle-mêle. Les fringues gisent alentour, délestées de leurs formes. Un courant d’air indiscret s’est glissé par l’interstice de la porte. Le même frisson parcourt leurs dos dénudés. Elles se glissent sous la pelure de la SNCF. Là, dans leurs embrasements, elles retrouvent leur chaleur originelle. Il campe nu près d’elles. Sa silhouette en partie avalée par la bouche béante de clairs-obscurs imprévus surgissant de la nuit. Elles s’arc-boutent l’une sur l’autre dans une étreinte convulsive. Elle se cherchent, s’empoignent, se prennent. Se délivrent. Un cri monte. Puis d’autres. Qu’il faut étouffer. Empêcher d’envahir le compartiment, le wagon, le train. Les notes s’enchaînent emportées par la houle de fond qui monte des essieux. Elles roulent sur la portée de nuit, puis s’esquivent par les fissures de la fenêtre, glissent au dehors, vers le paysage glacé. Disparaissent. L’onde frissonnante se déplace de l’une à l’autre, les enveloppe de ses caresses, les submerge par plissements hercyniens successifs. Lui les observe à la dérobée. Absorbé dans sa fascination. Il écoute monter leur chant. Puis se joint à nouveau à elles. Immerge son corps entre leurs corps de femmes. Leurs jeux dessinent de nouvelles formes. De nouvelles figures surgissent dans le noir. Elle, elle donne tout ce qu’elle possède. Elle aime leur relation amoureuse. Elle se sent complète. Enfin. Comblée. Enfin. Au petit matin, ils s’effondrent. Ivres d’avoir lutté toute une nuit. Un bien-être indicible coule dans leurs veines tendres. Ils se laissent sombrer dans un sommeil sans rêve. Elles dorment enroulées l’une à l’autre. Elle ne sait plus où commence son corps et où finit le sien. Elles sont lianes qui entrelacent leurs arabesques. Le roulis tangage du train s’est noyé lui aussi dans les tréfonds endoloris de leur conscience. Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli |
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que de désirs mêlés,entrecoupés de souffle de vie
la lecture est, allez, je vais oser, jouissive...
beau texte sur les "taires" des femmes...
Rédigé par : ludecrit | 29 mai 2005 à 12:21
Merci Elisanne. En vous lisant, me reviennent à l'esprit ces paroles de Claudine Bohi que beaucoup de femmes devraient lire ou relire pour se retrouver :
"Vous êtes ce lac tremblant
sous la morsure des vents
cette eau profonde et désirée
que vous cherchez ailleurs
dans le bruit de la mer
Vous êtes ce à quoi
vous n'osez pas croire"
Vous, Le dé bleu, 2004, page 77.
Rédigé par : Angèle | 29 mai 2005 à 16:35
Merci pour ce joli texte "love train" et cette magnifique photo qui l'accompagne.
Y'aurait-il moyen d'en savoir un peu plus sur l'auteur (Ph. D.R.) de la photo s'il vous plait?
Peut-on le contacter?
Merci.
Rédigé par : Olivier | 08 juin 2007 à 01:54
Non, Olivier, personnellement je ne sais rien sur l'auteur de cette photo, sauf qu'il est bulgare. Je ne peux que vous inciter à chercher sur le très beau site bulgare photo-forum.net. Merci de votre visite.
Rédigé par : Angèle Paoli | 08 juin 2007 à 13:01