Laure Pigeon,
Collections du Musée de l'Art brut, Lausanne
L'ART SPIRITE
Notre siècle sera-t-il celui du spiritisme? Alors que l'on aurait pu penser que l'avènement de l'idéologie capitaliste allait ranger au placard toute considération occultiste ou paranormale, force est de constater qu'il n'en est rien, bien au contraire. Comme si le besoin de chercher ailleurs ce que nous ne trouvons pas dans ce monde que nous nous sommes créé pour notre bien-être matériel se traduisait par un recours à des manifestations longtemps considérées comme relevant de l'obscurantisme.
Michel Thévoz décrit le spiritisme comme une croyance ou une pratique médiumnique spécifique, datée, doctrinale et ritualisée, admettant généralement le principe de la réincarnation. On peut y voir la substitution d'un « paradis réellement terrestre à l'éternité éternellement différée des religions instituées » (Michel Thévoz, Le Règne des revenants, in L'Art spirite, Musée de l'art brut, Lausanne, 2005, page 7).
Ce n'est pas du spiritisme à proprement parler que j'ai envie de m'entretenir ici mais de l'art qui en découle, simplement baptisé « Art spirite ». Un art dont on parle peu et qui fait encore trop souvent défaut dans les anthologies artistiques. Pourquoi donc ? A mes yeux, il relève pourtant entièrement de l'art moderne, qui requiert que l'on travestisse (ou subvertisse) les apparences visuelles, que l'on s'éloigne des sentiers de la représentation classique, au profit d'une réalité répondant à des critères plus symboliques et moins réglementés.
Sur ce point, Michel Thévoz, toujours, évoque le grand rôle joué par le spiritisme, grâce à une entité propre nommée le périsprit, à savoir une enveloppe survivant au trépas de certaines personnes, tantôt visible, tantôt tangible, sorte de figure en souffrance qui se prête volontiers à la création et à la déformation graphique, une figure hautement plastique et malléable, harmonieusement évanescente. Il est permis de tout représenter. La matière et l'esprit ne connaissent plus de limites, les artistes spirites réussissent là où d'autres ont échoué: représenter le vide. En se détachant de toute volonté et pensée consciente, ces œuvres sont le fruit d'un automatisme mental qui repousse naturellement les limites de la création artistique.
Parmi les artistes appartenant à ce mouvement, les plus connus sont Augustin Lesage, Laure Pigeon, Fernand Desmoulin, Jeanne Tripier, Madge Gill, Joseph Crépin, Marguerite Burnat-Provins, Hélène Smith, Josef Kotzian, Léon Petitjean, et d'autres… personnes a priori éloignées de toute activité artistique et qui ont commencé à dessiner, peindre et écrire sous une impulsion dictée de l'extérieur.
Ces artistes affirment être en contact avec un autre monde, celui des défunts, des êtres qui leur donneraient une marche à suivre. En examinant de plus près le parcours de certains de ces artistes spirites, quelques constantes se dégagent: ils affirment entrer en contact avec l'au-delà, ils se lancent dans un processus créatif fébrile, proche dans quelques cas de la transe, ils exécutent leur travail de manière spontanée et rapide, sans jamais hésiter sur le geste à accomplir. Cela donne des résultats étonnants, pour ne pas dire époustouflants. Le trait est sûr, net et précis. L'élégance et le raffinement sont au rendez-vous, la maladresse qui peut apparaître n'est jamais perçue comme un manque de talent. Si, la plupart du temps, ces créations sont abstraites, on y retrouve cependant régulièrement des compositions florales, des animaux ou des humains, occupant tout l'espace soumis à la main de l'artiste.
L'Art spirite s'intègre à merveille dans ce que l'on appelle l'Art brut, un art pratiqué par des personnes ayant échappé pour diverses raisons au conformisme social et au conditionnement culturel, et qui produisent des œuvres sans tenir compte des règles, de la mode ou de la tradition. En y regardant de plus près, on relève assez vite un élément particulier que des historiens d'art cherchent encore à comprendre et expliquer: la féminisation de l'art spirite. Composé et représenté par une majorité de femmes. Un fait à souligner, car étonnant si l'on le replace dans un ensemble plus vaste constitué de tous les courants artistiques à travers le monde.
Quel lien dès lors établir entre spiritisme, art spirite et féminité ? La question reste ouverte et je compte sur votre collaboration pour m'aider à y répondre !
Marielle Lefébure
D.R. Texte Marielle Lefébure
Retour au répertoire de mai 2005
Je ne connaissais pas l'art spirite, mais, ayant vécu cinq ans à Munich, j'ai fréquenté Kandinsky et Paul Klee. Le premier, en particulier, considérait ses premières oeuvres abstraites une sorte d'oeuvre spirite.
Je teste en même temps ma capacité à faire des commentaires!
Rédigé par : JC-Milan | 02 mai 2005 à 21:54
ET CA MARCHE!!!!
Rédigé par : JC-Milan | 02 mai 2005 à 21:54
Bon, je vois, Giulia, que tu as accepté sans rechigner d'aller en première ligne. Du coup, le terrain est enfin dégagé. Le bug a pris du large.
Rédigé par : Yves | 02 mai 2005 à 22:13
Le Mazzerisme___________
J’espère n’être pas hors sujet avec ce qui suit
… Il y a en Corse un monde invisible qui double le nôtre et dont tout un peuple sent la présence…
La suite ICI
Amicizia
Guidu__________
Rédigé par : Guidu | 02 mai 2005 à 22:31
Je ne crois pas, Guidu, que tu sois si éloigné que cela du sujet. Tu sais bien qu'en Corse la transmission de certains savoirs occultes se fait par les femmes. Rappelle-toi l'extrait de l'ouvrage d'Hèlène Bresciani qu'avait choisi Angèle concernant le malochju, « le mauvais œil ».
Rédigé par : Yves | 02 mai 2005 à 23:58
Cette transmission par les femmes a toujours me semble t-il été à double tranchant. Facteur d'union, de cohésion pour des femmes en butte à la violence des hommes, il permettait (permet) aussi de maintenir les jeunes générations dans une sorte de dépendance vis-à-vis de celles qui "savent". Avec parfois une véritable violence à l'égard des brebis galeuses.
La rationnelle que je suis a beaucoup de mal à "croire" dans ce lien avec les morts.
Je peux "comprendre" un lien avec l'environnement global, la nature, les éléments, mais avec les morts ?
Pour ce qui est de l'art spirite, un peu comme pour l'écriture automatique, j'avoue être sceptique, est-ce que les psys ne parleraient pas de névrose ?
Rédigé par : hecate | 03 mai 2005 à 11:15
Moi qui ai beaucoup de mal avec le rationnel et des rebiffades permanentes contre lui, j'ai tendance à absorber les forces en jeu dans le "spiritisme". Je suis même obligée de me tenir un peu au large, si je veux me préserver de ses tentations. Car j'aurais sûrement été (en tant que fille aînée) un peu sorcière, si j'avais longtemps vécu, comme Guidu ou comme Hélène Bresciani, dans les terres reculées de nos montagnes corses. Il est vrai que le "mazzerisme" est moins présent sur les côtes déchiquetées du Cap Corse que dans les terres de l'intérieur. Mais, si le mot est typiquement corse, les pratiques, elles, existent un peu partout en Méditerranée. Et renaissent de leurs cendres, dès que le rationalisme ambiant veut imposer sa loi.
Méditerranée, terres et mer de rebelles ? Rebelles aux "Lumières" de la pensée ? Sans doute. Même si Jean-Jacques Rousseau a fait de la Corse son île de prédilection pour se livrer à une étude politico-sociale qui lui a inspiré l'ouvrage fondamental intitulé Du contrat social. Publié en 1762.
Entre les deux forces, mon coeur hésite, comme toujours. Et je n'arrive pas à trancher définitivement en faveur du rationalisme ou des forces occultes. Je ménage l'un et puis l'autre, dans un perpétuel mouvement de balancier.
Mon dialogue avec les morts est quotidien. Je le cultive avec soin depuis l'enfance. Ce qui me vaut parfois des rêves prémonitoires, dont certains sont à la lettre "chavirants".
Rédigé par : Angèle Paoli | 03 mai 2005 à 12:55
Je ne sais pas si, comme le souligne Hecate, on peut réellement parler de névrose à l'égard des "artistes spirites". Pour avoir encore récemment visité le Musée de l'Art brut à Lausanne, je suis partagée. Les artistes relevant de ce courant "Art brut" sont des êtres n'ayant aucun lien, de quelle que nature que ce soit, avec le milieu artistique, bien au contraire. En consultant leurs biographies, il apparaît que ce sont souvent des simples d'esprits ou des personnes ayant vécu des événements extrêmement traumatisants les ayant conduits dans un autre monde, des personnes "borderline" qui ne s'épanouissent que dans un art la plupart du temps compris d'eux-seuls.
L'art spirite est quelque peu différent dans la mesure où les personnes y touchant affirment entendre des voix ou recevoir des contacts de nature diverses émanant d'un monde inconnu que l'on qualifie, sans doute de manière trop schématique, de monde des défunts. En pensant par exemple à Marguerite Burnat-Provins, je ne crois pas du tout qu'on puisse lui appliquer le terme de névrosée (encore faudrait-il définir ce terme, mais je ne suis pas spécialiste de ce vocabulaire).
L'idée du lien avec les morts ne me heurte en aucun cas. Je serais plutôt interpellée par la féministation de cet art, comme je l'indique à la fin du texte. Il existe bien entendu des hommes relevant de ce courant, mais la plupart du temps, les oeuvres les plus prolixes et les plus fortes émanent de femmes.
Rédigé par : Marielle | 03 mai 2005 à 17:41
N'étant pas moi même une spécialiste, j'avais donné au terme "névrosé" un sens très élargi: personne ayant subi un traumatisme et qui garderait ce traumatisme à fleur de peau, en surface, le laissant passer dans son art, quel que soit cet art.
Sur le dialogue avec les défunts, je crois que mon "opposition" vient surtout du fait qu'un tel dialogue me paraît dès le départ "injuste". Ceux qui nous parleraient seraient le plus souvent des proches, très proches: père, ami, mère, soeur, mère. Mais si on regarde les drames récents, le poids de ces morts devrait peser sur nous tous. Les millions d'enfants exterminés au cours du XXe siècle, ceux que nous laissons mourir aujourd'hui au Darfour, ou ailleurs, de la guerre, du SIDA, du palu, pourquoi ne nous interpellent-ils pas eux? Pourquoi leurs révoltes ne nous touchent-elles pas davantage? Pourquoi eux sont silencieux? Pourquoi ne viennent-ils pas peser davantage sur nos consciences aveugles et sourdes?
Questions absurdes peut-être, plus marquées par un sentiment de révolte que par un rebond sur les expériences décrites ici. Je ne sais pas. Et peut être aussi que ce silence-là, pour moi, dit clairement que la mort n'est ni un passage, ni un "renouveau", elle est une fin.
Rédigé par : hecate | 04 mai 2005 à 10:48
Regarde, ma chère Hécate, combien les mots peuvent être traîtres. "La mort est une fin". Comment puis-je aussi l'entendre au-delà ce que tu as pensé vouloir dire ?
Rédigé par : Yves | 04 mai 2005 à 14:07
La fin d'un voyage, d'une aventure, d'un drame, d'un calvaire. La dernière page, le dernier lien. Je ne sais pas.
L'image qui m'a toujours le mieux parlée de la mort, ce sont ces fileuses, les Parques dont l'une est chargée de trancher le fil. Celui ci tranché, il ne reste rien, qu'un souvenir qui lentement se défait dans le noir.
"LA" fin peut être plutôt qu'"UNE" fin ;-).
Rédigé par : hecate | 04 mai 2005 à 14:20
Cette notion de fileuses me fait penser à un beau film d'animation de Anders Ronnow-Klarlund, sorti en début d'année, Strings (rien à voir avec les fils fluo habillant les filles de ma chronique précédente!), qui porte en second titre Les fils de la vie. Des personnages ressemblant à des marionnettes de bois, retenus à la vie par des fils descendant du ciel. Quand la mort décide de les rappeler à elle, il suffit de couper le fil, rien de plus. Simple et rapide, effroyable d'efficacité.
Rédigé par : Marielle | 04 mai 2005 à 17:01
Une représentation symbolique des trois Moires de la mythologie grecque : Clotho (la fileuse des jours), Lachesis (celle qui rembobine les fils et procède au tirage au sort) et Atropos (celle qui tient les ciseaux et coupe les fils de la vie). La fin justifie les moyens. Remarque, Marielle, trois femmes... et ce n'est pas du Woody Allen !
Rédigé par : Yves | 04 mai 2005 à 17:19
Oui, c'est vrai Yves, trois femmes... Pourquoi? Serait-ce elles qui détiendraient les clés de tout?
Rédigé par : Marielle | 04 mai 2005 à 18:02
Et hop la boucle est bouclée, on revient au pouvoir des femmes, à leur "rôle" sur la question. ;-)
Bon weekend à tous.
Rédigé par : hecate | 04 mai 2005 à 18:05
Si j'avais le pouvoir des Parques, j'aurais aussi la clé de mon destin. Mais est-ce bien "nécessaire" ?
Rédigé par : Yves | 05 mai 2005 à 12:38