Dessin de Xavier Gorce,
La Chapelle Sextine
Ph. angèlepaoli
EROTIC SEXTIN
La Chapelle Sextine. Que voilà un ouvrage oulipien réjouissant !
Avec illustrations taillées dans le vif des décors, à même la chair des personnages ! Un petit livre d’images à ne pas laisser choir entre toutes les mains ! Oulipien, oui, car fondé sur la complexe combinatoire des couples. Qui se font se défont pour copuler. "Ainsi font, font, font..." Un ouvrage érotique alors ? Oui, terriblement ! Mais répétitif ? Ennuyeux ? Pas du tout. Réjouissant au contraire. Empli d’humour et de plaisir. Un exercice de style, à la fois léger et vertigineux. Sur l’art de la répétition et de la variation.
Treize femmes, treize hommes. Ils sont 26 en tout. Mais les multiples combinaisons aboutissent à 156 échanges. La plupart des partenaires reviennent six fois. Anna, Galata, Katia. Ou Dennis, Johann, Laurent. Chaque fois avec un partenaire différent. Certains, plus désavantagés, ne se livrent que quatre fois. Pauvre Ben, pauvre Irma ! Il faut bien qu’il y ait une inégalité quelque part dans cette machine à combiner les couples.
Ils font l’amour. Parfois avec brio. Parfois la tête ailleurs, en pensant à autre chose. Peu de sentiments, pas d’effusion. De l’improvisation, de la hâte, de l’inconfort. L’ascenseur, la baignoire, la voiture, le parking, la tente, la douche, le train... sans oublier la table de cuisine façon Jessica Lange dans Le facteur sonne toujours deux fois. Et des décalages qui émaillent le texte et font sourire. Et rire, même. Car La Chapelle Sextine est un livre drôle.
Les textes sont brefs, très condensés. Six lignes, dix lignes. Rarement au-delà. Le temps que durent la rencontre, les échanges, le partenariat. Les orgasmes. La roue tourne. Ça valse. Premiers en piste, Anna et Ben. Derniers à fermer le bal, Philippe et Anna. On remarque déjà l’alternance horizontale rigoureuse : une fille, un garçon. Un garçon, une fille. Alternance que chaque texte respecte d’un bout à l’autre du livret. Le chiasme est bouclé.
Comment ça fonctionne ? Toujours en duetto. Mais la valse se fait en trois temps. 25/25/27. Le premier changement s’effectue avec Yolande et Zach/ Zach et Anna. Le second avec Mina et Terence/ Terence et Anna. Anna qui occupe les points stratégiques du livre : début, milieu et fin.
À la fin de chaque sextine érotique, un aparté en italiques. En décalage avec le texte principal. Comme dans la sextine des troubadours, il faut faire vibrer la dernière corde. En la mettant en contact avec ce qui précède. Il faut aussi lire le livre d’un seul tenant, sans s’arrêter pour ne pas perdre le tempo. Et faire résonner le jeu des variantes et des répétitions.
Un ouvrage jubilatoire que cette Chapelle Sextine. Avec schémas cabalistiques à la Michel-Ange pour clore le tout. Qui ne tient qu’en quatre-vingt six pages ! Un record !
Hervé Le Tellier, La Chapelle Sextine, Estuaire. Collection Carnets littéraires, 2005. Dessins de Xavier Gorce.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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le plus joli texte que j'ai lu sur ce que nous avons fait, volupté de vous sentir proche de ce que nous avons voulu présenter. Merci
Rédigé par : Xavier Gorce | 12 mai 2005 à 01:43
Rien à ajouter au commentaire de Xavier, qui m'a signalé votre blog. Juste quelques remarques : Irma et Ben reviennent eux aussi vingt-six fois dans la ronde, et il n'y a pas lieu de les plaindre. Si Anna ouvre et ferme, c'est qu'elle est palindromique. Et la règle de la sextine d'Arnaut Daniel s'applique doublement sur les lieux, les parties du corps, etc. (avec une adaptation pour arriver à 78 et non 72). Merci à vous.
Rédigé par : Hervé Le Tellier | 12 mai 2005 à 02:04
Merci à tous deux de vos appréciations et remarques. C'est vrai, j'avais oublié le palindrome. Bien entendu, j'avais aussi compris et vu que votre travail de jeux d'emboitements ne portait pas seulement sur l'aspect purement formel. Et qu'il fallait aussi s'intéresser à d'autres types de combinatoires.
Rédigé par : Angèle Paoli | 13 mai 2005 à 11:56
Soirées de Princes____
de Pierre Delanoë
J'ai donné des soirées à étonner les princes
Dans cette chambre usée par trois siècles d'amour
J'ai dans l'oreille encore le vieux parquet qui grince
Et nos chansons d'ivrognes à la pointe du jour
J'ai donné des soirées à étonner les princes
Avec une poignée de copains troubadours
Ils arrivaient tout droit de leur vieille province
Le duc de Normandie et Du Pont de Nemours
J'ai donné des soirées à étonner les princes
Les hommes les idées et les cœurs étaient neufs
Le buffet il est vrai était peut-être mince
Mais nous n'avions pas peur d'être deux pour un œuf
Les filles nous offraient leurs yeux comme une source
Où nous pouvions trouver les soirs de mauvais sort
Un courage nouveau pour reprendre la course
Et leurs cheveux dorés valaient mieux que de l'or
J'ai donné des soirées à étonner les princes
Dans cette chambre usée par trois siècles d'amour
J'ai dans l'oreille encore le vieux parquet qui grince
Et nos chansons d'ivrognes à la pointe du jour
Le duc est reparti vers sa ville normande
Le comte de Châlons doit être pharmacien
Du Pont près de Nemours compte ses dividendes
Et de ma vieille chambre il ne reste plus rien
Amicizia
Guidu___
Rédigé par : Guidu | 30 mai 2008 à 11:40