Ph., G.AdC
PORTRAIT DE LA FEMME QUI NE SAIT QUE FAIRE DE SA VIE
Quelle tristesse que d’être nerveuse comme aujourd’hui
sans les pommes qu’Ève aurait pu dévorer
tout ce que j’ai fait était si banal
si capricieusement ordinaire.
Mes vêtements ne dissimulent pas les ossements
d’antiques accoucheuses.
Dans mon ventre des générations se sont succédé
mortes de mort précoce et paisible
cependant dolente dans les jardins
j’ai déploré le venin des fleurs.
J’ai des relations merveilleuses avec les étoiles
et je me souffle à l’oreille un mot essentiel :
tu es une femme.
Je me vois floue dans les contrées du rêve
quand on crie je reste sans réaction
car je suis un être en apparence distrait
mais sous mon épiderme rôde l’inquiétude des chats.
Étrange sensation que de se sentir un animal
et de reconnaître que nous sommes un dessin bâclé de la nature.
Je n’ai pas honte de crouler sous les doutes
et j’ai tenté de me noyer dans la mer par une fière journée.
J’ai joué avec les maladies
Et quand je tousse trop je suis la consolation de l’hypocondrie.
Mais si meurt un ami je déchire ma vie dans mon miroir.
Aimer, c’est me secouer le visage
écrire pendant des heures des nuits entières
toi comme il n’en existe aucun autre sur aucune planète
homme imaginaire lentement destiné
quand tu arriveras serais-je vieille et ennuyeuse ?
Devant cet inventaire je suis surprise par l’indécence
des destins superflus et des triomphes malvenus.
Quelle tristesse d’être là non conforme
amulette perdue de guerriers médiévaux .
Quelle tristesse d’avoir son café froid
et encore moins le temps pour le dessein de la vie. »
Zoé Valdés, Une Habanera à Paris, Poèmes d’Anthologie, Gallimard, Collection Du monde entier, 2005, pages 18-19. Traduit de l’espagnol (Cuba) par Claude Bleton.
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"J'ai gardé les yeux clos une demi-heure, peut-être plus, à la recherche de ton visage diffus, les paupières tremblantes devant la silhouette qui se profilait dans ma mémoire. Je songeais à ce que j'allais t'écrire dans cette lettre. Rien de digne, ni de beau, ne me venait à l'idée. Mon esprit, vide de souvenirs, glacé, avait tout d'une éponge racornie. J'ai mis trente ans et des poussières à tenter de percer ton mystère. Mais peut-être n'y en a-t-il pas. Nous sommes restés trop en retrait tous les deux. De mon côté, je crois qu'à présent je peux franchir le pas, sans heurts, en me mentant à moi-même sur mon enfance, pour laisser plus de chance au pardon.
Il reste bien peu de choses de la petite fille qui désirait plus que tout ta présence. Juste une femme meurtrie par l'incertitude, les traces d'une enfant qui n'eut pas à regretter les remontrances de son père, car nul ne regrette ce qu'il n'a jamais connu. La fille d'une femme, plus que celle d'un homme. Je n'ai jamais perdu mes illusions à ton sujet. Et j'attends ardemment ta réponse…"
Zoé Valdès, "Je t'en prie, papa, réponds à cette lettre" (extrait), in Toi, mon père, Albin Michel, 2002, page 90.
Rédigé par : Marielle | 28 avril 2005 à 10:46
Je ne connaissais pas ce texte de Zoé Valdès. Mais il me bouleverse aux larmes. Partout les mêmes blessures, partout les mêmes failles, partout les mêmes appels restés sans réponse. On se croit original, différent et il n’en est rien. Chacun de nous porte les marques de semblables souffrances. Que seule l’écriture permet de transcender ! Mais n’est pas Rilke qui veut, ni Zoé Valdès, hélas !
Quelle force, ce texte qui parle d’amour impossible et de désarroi inguérissable. Quel aveu et quelle attente ! Ardente et interminable. En suspens !
Comme celle que je porte en moi qui n’ai pourtant aucune demande de pardon à formuler à l’égard du père. Un père trop tôt disparu, qui me manque chaque jour. Un père à qui j’aurais tant de choses à dire aujourd’hui, à commencer par mon amour. Un père pourtant, dont je vois, à l’instant même où je suscite en moi son image, les traits et les sourires, les mimiques et les gestes, dans toute leur précision, comme s’il était mort hier. C’est étrange, d’ailleurs, comme je revois avec une netteté incroyable les visages de ceux qui peuplent mon cimetière intérieur, là où ceux des vivants s’estompent dès que je m’éloigne.
Peut-être ne suis-je vraiment capable d’aimer que par-delà la mort ?
Rédigé par : Angèle Paoli | 28 avril 2005 à 13:38
La suite de cette lettre de Zoé Valdès à son père est tout aussi belle et violente. Je te l'envoie par courrier dans sa version intégrale.
Rédigé par : Marielle | 28 avril 2005 à 15:42