Chroniques de femmes - EDITO
Connaissez-vous Théodore de Neuhoff ? Un aventurier audacieux qui se dit un beau jour roi de Corse. Ni plus ni moins !
Théodore de Neuhoff serait né à Cologne le 24 août 1694, contrairement à ce qu'il affirme dans son testament politique ("Je vins au monde… au mois de janvier 1690"). Léopold de Neuhoff, son père, est capitaine de la garde de l'évêque de Münster; il s'exile en France au lendemain d’une disgrâce et obtient la protection de la Duchesse d'Orléans, qui lui offre également le commandement d'un fort à Metz.
Lorsque son épouse meurt, ses trois enfants (Théodore, Henry-Guillaume et Margherite) reçoivent à leur tour la protection de la duchesse, qui pourvoit à leur éducation en France. C'est ainsi que Théodore obtient le grade de lieutenant et mène une carrière assez obscure jusqu'à ce qu'il entre au service de Louis XIV et de l'armée française. Peu de temps après, notre lieutenant décide de rentrer à Cologne et d'offrir ses services à son pays natal. En 1714, il reçoit le commandement d'un régiment d'infanterie de l’empereur Maximilien de Bavière et participe en 1717 au siège de Belgrade. À la suite d’un duel raté, Neuhoff fuit vers l'Espagne en 1718 et se met au service du roi. De là, il prend la route de l'Angleterre dans le but de rétablir les Stuart sur le trône. Il échoue à nouveau, la discrétion n'étant pas son fort, et rentre à Madrid. Un poste de diplomate lui permet de sillonner l'Europe et d'errer de cour en cour.
C'est alors que notre pauvre Neuhoff, désoeuvré, croise la route d'un chanoine, Erasimu Orticoni, venu solliciter la protection de la cour espagnole en faveur de la Corse, révoltée contre Gênes. Un curieux projet germe alors dans la tête de Théodore de Neuhoff. Et s’il devenait roi de Corse ? S’il aidait cette population à chasser les occupants et autres oppresseurs ?
Le 20 mars 1736, Neuhoff débarque à Aleria avec canons, fusil et liquidités. Il vient en conquérant et le fait savoir:
« Je suis ici pour vous aider, pour aider le royaume de tout mon pouvoir et pour me consacrer moi-même à vos intérêts. Ma promesse de faire tout le nécessaire pour libérer la Corse de l’esclavage génois, je la remplirai scrupuleusement pourvu que de votre côté vous fassiez votre devoir envers moi. Je ne veux et ne demande qu’une chose : que vous me choisissiez pour Roi et me permettiez d’accorder la liberté de conscience à tous ceux qui voudront venir d’autres pays habiter en Corse afin d’en accroître la population. »
Le 13 avril, les dés sont lancés, Théodore de Neuhoff est élu roi de Corse lors d'une assemblée constituante; il est sacré roi le 15 avril face à une foule en délire, un rôle qu'il va prendre très au sérieux.
Très rapidement, il accorde des amnisties, réforme l'armée, édicte des règlements financiers et judiciaires, frappe monnaie et décide de se bagarrer avec quiconque, en Corse, soutient les Génois. Si quelques villes corses pro-génoises tombent rapidement, il n'en va pas de même partout et une certaine résistance s'organise. D'autant plus que Théodore de Neuhoff, considéré comme un roi de pacotille par les cours européennes, voit celles-ci lui refuser aide et assistance. Qu'à cela ne tienne, il n'en fait qu'à sa tête et modifie, par exemple, plusieurs fois son lieu de résidence au gré des victoires et des défaites, de quoi déboussoler les armées ennemies, mais aussi ses propres généraux qui finissent par lui demander, gentiment mais fermement, de se « caser » une bonne fois pour toutes et de laisser le travail belliqueux aux militaires, formés pour cela.
Mais Théodore de Neuhoff est têtu et ne s'en laisse pas conter. De l'aide, il en veut et il en aura ! Il s'embarque pour l'Europe avec quelques alliés solides et confie le gouvernement provisoire de l'île à un Conseil de Régence composé de trois hommes forts: Paoli, Giafferi et d'Ornano. Oui mais voilà, la Corse a beau jurer fidélité et loyauté au nouveau roi, celui-ci ne montre plus guère le bout de son nez dans la région. Il va de capitale en capitale, rencontre chefs d'État et autres monarques, envoie de temps à autre argent et munitions en Corse, rien de plus. Le temps passe, les insulaires attendent et apprennent avec stupeur que leur roi a été arrêté à Amsterdam pour dettes. Et qu'il a proposé ses droits sur la Corse au roi des Deux-Siciles en échange de son aide.
Les initiales de Théodore, roi de Corse,
sur une pièce de cinq sols frappée sous son règne (1736)
Finalement, libéré mais malmené par les Espagnols, Neuhoff, qui était en Sardaigne, retourne en Hollande, puis en Allemagne. Tout en continuant à promettre monts et merveilles à ses sujets corses et à les assurer de sa plus grande estime. La royauté de Théodore est confirmée par le Conseil de Régence qui gère le pays en attendant le retour du souverain. L'armée française débarque, l'île est à nouveau divisée et en proie au conflit, quand survient l'arrivée tant attendue du roi Théodore. Désormais, les Génois ne sont plus les seuls ennemis à combattre, il faut compter avec les soldats français qui mènent la vie dure à Théodore et à son équipe, confisquant notamment son matériel, ses armes et son argent. Pas facile d'être roi !
Malgré son arrestation par les troupes françaises, Théodore de Neuhoff continue à bénéficier du soutien d'une grande partie des siens, mais la belle entente ne dure pas. Rejeté par sa population, incapable de gérer ce royaume auquel il tient tant, Théodore de Neuhoff reprend la route et quitte l'île. Il essaie bien ci et là d'obtenir soutien matériel et financier pour reprendre ses terres aux Français et aux Génois mais, si le cœur y est, la force n'est plus là et les nombreuses errances de Neuhoff entre Turin, Florence, Cologne et Amsterdam n'arrangent rien sur place. Il demeure bien quelques fidèles au roi mais ils se font de plus en plus rares. C'est que l'île doit continuer à vivre et à se défendre.
En 1752, une souscription est lancée à Londres en faveur du roi de Corse, emprisonné depuis 1749. Le succès n'est pas au rendez-vous. Criblé de dettes, Théodore de Neuhoff abandonne ses droits sur la Corse à ses nombreux créanciers. Il décède le 11 décembre 1756, épuisé par la prison et la maladie. Complètement oublié des siens en Corse. Un peu comme si l'île, fière et rebelle, pressentait déjà la naissance, quinze ans plus tard, sur ses terres devenues françaises, d'un autre chef, fils de Charles Bonaparte et de Maria Letizia Ramolino…
Marielle Lefébure
D.R. Texte Marielle Lefébure
Retour au répertoire de avril 2005
Je compte ici sur mes ami(e)s corses pour en dire un peu plus sur la République paoline.
Rédigé par : Marielle | 18 avril 2005 à 20:38
Merci Marielle pour cet article précis et amusant, même s’il relate une brève et sombre période de l’histoire de l’île. Il y en a eu d’autres bien plus sombres et bien plus longues…
Le problème pour la Corse c’est le dérisoire, le ridicule même, qu’elle suscite !
Voici entre autres ce que l’on peut consulter sur la toile :
PASCAL PAOLI Une étude historique
PASQUALE PAOLI Une biographie
PASCAL PAOLI ET L’ETAT CORSE Une conférence
Amicizia
Guidu ___________
Rédigé par : Guidu | 18 avril 2005 à 21:50
Merci Guidu pour ces liens. En effet, c'est un épisode assez sombre (et confus) de l'histoire corse que j'ai préféré aborder, sur conseil et en accord avec Angèle, avec une plume légèrement teintée d'humour, histoire d'alléger tout cela. Car en lisant la documentation réunie pour cette chronique, je dois avouer ma consternation devant ces sombres manipulations politiques et autres qui ont régné sur place pendant ces quelques années du règne théodorien.
Rédigé par : Marielle | 18 avril 2005 à 22:22
Je vais rajouter un lien à ceux de Guidu. Sur une femme qui a contribué à l'Histoire de la Corse. Et oui, il y en a. Danielle Casanova par exemple, dont on fêtera le 9 janvier 2009 le centenaire de la naissance.
Rédigé par : Yves | 19 avril 2005 à 00:13
Merci pour cette chronique instructive Marielle.
Sait-on si la Corse a, par la suite, rendu hommage à son défunt roi?
Rédigé par : Pauline | 23 avril 2005 à 21:48
merci pour votre article sur le roi Théodore, très intéressant; pouvez vous me donner le titre et l'auteur de la musique qui l'accompagne? Liszt? Merci.
MHM
Réponse du Webmestre : Debussy, Des pas sur la neige.
Rédigé par : marc massiot | 26 octobre 2013 à 19:48