QUOI ? L’ÉTERNITÉ ? les mots, si on obéit à leur poussée […] nous font voyager partout, même en demeurant seul, immobile, à une table de rase campagne […] ils nous ouvrent au monde réel, à tous les mondes réels, comme à tous les autres. Ce sont des véhicules, des voitures à chevaux, des palanquins, des pousse-pousse, des brouettes, des bicyclettes, des lance-pierres, des planches à roulettes, des barques, des bateaux et, parfois des civières. On peut renaître d’un mot – le mot « clairvoyance », par exemple – et mourir d’un autre – le mot « Dieu », ou le mot « suicide », son presque synonyme, quand on le transforme en absolu. Les mots nous transforment, plutôt que nous les transportons. Ils nous réveillent, nous intriguent, nous aiguillonnent, nous provoquent, nous incitent souvent, mais pas toujours, au combat, nous sauvent en tout cas de la défaite et nous empêchent de nous satisfaire de n’importe quelle victoire. Ce sont, à cet égard comme à d’autres, de très utiles emmerdeurs. Car, dans l’empire sans frontières des mots de toutes les langues, aucune avancée, aucune victoire, aucune conquête, aucune liberté inventée ou retrouvée, n’est définitive. C’est pourquoi aucun livre, aussi « génial » soit-il par son nouvel agencement de mots, ne peut prétendre, ni à la vérité absolue, ni à l’éternité. Alain Jouffroy, « Les mots et moi », États provisoires du poème, Cheyne éditeur/Théâtre national populaire, 2003, pp. 103-104. |
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