Un printemps 2004
« L’enfance est mon pays natal » (Joël Vernet)
IVRESSE DU RETOUR
Une voix l’appelle, la tire brutalement de son rêve. Elle a du mal à recouvrer ses esprits. Où est-elle ? Au village. Dans la grande maison de Corse. Dans sa chambre.

Portail. Hameau de Vignale.
Ils sont arrivés hier sous la bourrasque. Par une nuit noire sans étoiles. Elle devine des formes, des ombres estompées, celles des maisons du hameau, des murets, des eucalyptus, tapis dans l’obscurité. Elle aime surprendre cette vie suspendue par-delà l’abîme des ténèbres, être éveillée lorsque tout dort. Comme si, dans la pénombre, elle participait d'un mystère. Elle n’a pas le temps de s’appesantir sur ces impressions fugitives. Il lui faut amorcer la descente, porter toute son attention sur les marches disjointes, détrempées et glissantes. Usées par les ans.
Toute une griserie d'aventure est ramassée dans ce petit périmètre qu’elle connaît comme sa poche. Dans ses moindres recoins, mais de l’intérieur. Chaque dalle recèle son secret, ses chausse-trapes. Et chacune d’elles requiert une attention particulière. Comme un dû. Après la descente précautionneuse, hésitante, la petite voûte. Le noir se fait plus dense encore d’être ainsi enclos entre les pierres. Elle ferme les yeux pour mieux en percevoir le murmure silencieux. Les belles dalles du carrughju sont encore bruissantes de la pluie de fin d’après-midi.
Les voilà enfin massés devant la lourde porte en châtaignier, cherchant la serrure à tâtons. Pas un bruit, pas âme qui vive. Le hameau semble désert. La porte pivote et grince sur ses gonds. Puis s’efface. Des murs s'échappe un flot d’odeurs indicibles. Qui les submerge, les enveloppe. Ils abandonnent en vrac sacs et valises dans l’entrée. Il fait bon dans la maison. Elle descend jusque dans les caves pour faire le tour du propriétaire. Puis chacun rejoint sa chambre. Elle, la sienne, celle de sa grand-mère Jeanne. Dont l’odeur lui rappelle les exhalaisons des vieilles lettres enfouies sous la poussière.
Avant de se coucher, elle ne peut résister au désir d’ouvrir tous les tiroirs de la vieille commode. Elle libère les vêtements abandonnés là à la fin de l’été. Elle retrouve aussi des vestes chaudes qui feront bien l’affaire si le temps ne s’améliore pas. Elle aime exhumer les traces d'époques lointaines, blotties parmi ses souvenirs. Une enveloppe jaunie, un coquillage, un cahier d’écolier, un collier de perles, un maillot de bain brûlé par le sel. Elle aime se couler entre les draps un peu frais de son lit. Elle s’endort, l’oreille à l’affût des rumeurs de la nuit. Elle sombre, épuisée par le voyage. Épuisée, mais ivre du bonheur d’être là. Dans l’épaisseur de ses murs. Ivre de la promesse des jours à venir.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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C'est magnifique, ces quelques lignes que j'ai lues sont d'une authenticité profonde et tout cela me rappelle la Corse de mon enfance, et mes vacances d'été à Nonza, village voisin de Canari.
Rédigé par : Juliette | 18 septembre 2007 à 13:26
Chère Juliette, merci de ces mots qui me touchent. Nonza, c'est aussi un peu le village de mon enfance. J'y ai passé des vacances avec ma grand-mère Angèle. Mais c'est aussi le village d'où sont originaires mes ancêtres Baldassari. Mais je n'ai pas retrouvé de documents pour le moment. Je sais qu'ils étaient propriétaires d'une très grande maison dans le "fossu".
Rédigé par : Angèle Paoli | 18 septembre 2007 à 23:02
EMISSION Hors-Champs, France-Culture, Mardi 6 avril 22h15, entretien Laure Adler/Joël Vernet
EMISSION Du Jour au Lendemain, France-Culture, Jeudi 15 avril 23h50, Entretien Alain Veinstein/Joël Vernet
BEAU Printemps!!!!
Rédigé par : Joël Vernet | 03 avril 2010 à 16:59