
Ph., à gauche, angèlepaoli.
Ph., à droite, Angèle Paoli par Sabrina
Déserts déserts de pierres interminables défilés défilés rouges qui montent arides entre les mesetas blocs volcaniques
taillées à vif   dalles de schiste noir ravines d’invisibles torrents ruissellements immobiles de roches concassées arrêtées dans leurs courses au ras des pentes roches abruptes remparts de pierre blocs en suspens sur d’autres piliers solennels déserts chauffés à blanc à l’aplomb du soleil silence de l’espace infini qui dresse ses formes hostiles sur les tables rases du ciel Bleu Blanc Bleu d’un bleu aveuglément blanc Sans nuage Pas même un filament zébrant l’uniforme étendue blanc-bleu Nulle trace d’humaine présence Ciel blanc désaffecté des hommes laissé à sa virginité première Ciel tremblé pareil à la terre éclatée qui frémit sous la lumière arasante dansant au ras du sol Lequel du ciel ou des plateaux trace les contours de l’espace
Traces traces régulières de pas laissées dans la poussière éphémère du chemin menus noyaux d’olives délestés par les chèvres chapelets de noix muscades huilées de noir cocons de vers à soie herbus nervurés blanchis séchés sous le soleil parfaits ovales calcinés abandonnés là par les dromadaires pas lent et noble de la caravane tracés fragiles qui étirent leurs lacis inlassables dans la plaine en contrebas   asséchée mortellement décimée par les vents des sables traces passages de l’oued qui roule son lit de cailloux par temps d’imprévisibles orages présence de l’eau absente vénérée introuvable enfouie perdue en des réseaux insolubles vestiges de puits anciens depuis longtemps vidés de leur substance vive arrondis réguliers des canaux d’irrigation fruit de l’acharnement inlassable des hommes mystérieux quadrillages rendus à une abstraction sans retour et dans la plaine le long de l’oued oublié la trace plus émouvante encore du plus ancien témoignage des hommes antilopes éléphants chevaux gazelles ouroboros labyrinthes spirales et flèches serpents gravés à même les blocs de grès jetés pêle-mêle dans leur alignement de braise traces multiples insoupçonnées de ces signes du temps

Ph, Sabrina
Quelle trace la tienne dans cet espace infini où tu ne fais que passer si ce n’est tes larmes versées silencieuses salées sur ces formes oubliées des hommes eaux secrètes asséchées aussitôt que jaillies de tes propres déserts
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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En devinant la prière du crépuscule_________________
Le trouble dans l'esprit de Donatello fulgurait la moindre activité. Rien n'ajustait l'impossible inanition de l'espace funéraire. Le parcours de ces vestiges oubliés par la lenteur des siècles ôtait aux corps défunts le moindre repos possible. Pour lui, en cet instant, le spectacle de la mort dissolvante était scandaleux. La chaleur des ruelles, les hurlements diurnes du deuil féminin avec leurs voix retentissantes, les teintures multicolores répandues de maison en maison, le ciel blanc parcouru d'arabesques araignées, tout appelait la mort dans un destin funeste de l'humanité tout entière. Tout ce luxe de pacotille, toute cette fausse ancienneté de la mort esthétisée moquait les antiquaires nécrophages marchandant malicieusement leur samovar de cuivre martelé. Les boutiques dans leurs décors bibliques, pleuraient la royale décadence avec des accents de récitants aveugles. Ils exaltaient un chant religieux extrayant des profondeurs de l'âme la cruelle plainte des peuples refusant l'amnésie. Le dessillement des regards américains bardés d'objectifs photographiques jetait sur cet univers mystique une cécité hurlante de voix percutées d'abandon coranique. En foulant parcimonieusement la poussière du souk, les touristes puants, insensibles par asepsie à la beauté des kiosques ottomans, méprisaient les encorbellements majeurs de la culture Chérifienne.
A l'hôtel, Angela l’attendait immobile, mélancoliquement alanguie sur le lit de la chambre. Donatello ferma la porte à double tour et éteignit le ventilateur. Angela écoutait le grésillement fragile des insectes brasillant dans le soir. L'air se consumait lentement. Par la porte-fenêtre du balcon, la vie des terrasses se déployait à perte de vue en une multitude de coupoles mamelons aux tétons en croissants dorés. Sa chevelure dénouée autour de son visage l'encadrait de splendeur. Cette toison abondante répandait sur le lit des méandres confus qui se dévidaient comme les inlassables et incantatoires courbes ondulées de l'oued. La blancheur de ses seins contrastait avec le noir au reflet bleuté de ses cheveux. Ses paroles faites de demandes pesantes s'amoncelaient dans l'espace de la chambre en un amas de mots, en un fatras de ruines merveilleuses. En se dévêtant, Donatello la devinait à peine, la pénombre flasque striée de lumière pâle, jouait avec la chaleur et s'infiltrait dans les mailles des moucharabiehs entrebâillés.
Elle releva sa jupe légère avec un rire adolescent et un regard assoiffé de tendresse. Donatello pensa à la poussière ocre avortée des ruelles, aux collines saupoudrées de couleurs, au minaret vestige de la Koutoubia, à tout ce qui dans l'air malgré le tumulte de l'Orient l'avait abasourdi. Dans le flou des yeux mouillés d’Angela, il devinait la prière du crépuscule. Il s'hérissait des couleurs répétées de la terre millénaire comme une parole insensée, une vision secrète, une danse lascive. Les bras d'Angela accueillants, déployés, amples comme un fronton de brisure, parlaient d'un renoncement acquis, d'un échec, d'une fuite, des frontières naturelles qui annonçaient imperceptiblement la fin de la cité et le commencement du désert.
D'un coin à l'autre de la chambre, Donatello arpentait le carrelage noir et blanc. Il s'épuisait à attendre le sommeil en évoquant des souvenirs à demi-mots. Il parcourait mentalement un vaste chantier peuplé d'emphase, envisageant d'un regard meurtri les échafaudages, les meubles recouverts de linceuls blancs. Le corps d‘Angela étendue, endormie maintenant, était immobile comme une morte, une noyée, une momie. Voilà qu'en se dressant dans son ombre, le trépas l'invitait à le suivre. Cette visite instantanée de la mort ne le surprit pas. Sa lucidité courait tout entière sous l'œil du gouffre et lui donnait la force requise pour étouffer l'agression d'une descente dans le sommeil de la terre. Il n'avait ni faim, ni soif, ni désir de kefta, ni de thé à la menthe, il creusait en lui-même les profondeurs du vide, les richesses de la lourdeur d'être, la nébuleuse des sentiments flous.
Dans le couloir, l'ascenseur brinquebalait, dans le jardin les parterres s'étaient fait lunaires, la luxuriance nulle. Il était presque minuit, aux grilles de l’hôtel les librairies locatives avaient fermé leurs stores, la ville, les ruelles, la nuit, partout les parures de la mort prenaient le dessus.
Extrait du Journal d’un piètre séducteur, auteur inconnu …
Amicizia
Guidu ___________________
Rédigé par : Guidu | 03 mai 2005 à 19:47