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25 avril 2005

25 avril 1949/Julien Gracq au Théâtre Montparnasse

Éphéméride culturel à rebours



Le Roi pêcheur, pièce en quatre actes, publiée en 1948 et jouée pour la première fois le 25 avril 1949, se solde par un cuisant échec qui marque durablement l’auteur.



Roipecheur_1
Edition originale du Roi pêcheur,
José Corti, 1948



Inspiré de la légende chrétienne du Graal, Le Roi pêcheur est éreinté par la critique, notamment par les deux grands ténors de l’époque : Jean-Jacques Gautier dans Le Figaro du 29 avril et Robert Kemp dans Le Monde du 30 avril 1949. Il ne reste plus aux critiques littéraires des autres journaux qu’à emboîter le pas. La pièce, mise en scène par Marcel Herrand, avec des décors de l’artiste Leonor Fini, est attaquée de toutes parts. En dépit de la brillante distribution dont elle bénéficie : Maria Casarès, Lucien Nat, Jean-Pierre Mocky, Jacqueline Maillan et Monique Chaumette se partagent respectivement les rôles de Kundry, d’Amfortas, du roi Perceval et des suivantes. Alors pourquoi pareil insuccès ? Toutes sortes de motifs sont alléguées, qu’il serait trop long d’énumérer ici. Le plus important toutefois semble être celui du choix et du traitement du sujet.

Assez paradoxalement, les mythes engendrés par la matière de Bretagne n’ont pas, en France, la vitalité qu’on leur connaît en Allemagne. Wagner n’a-t-il pas su donner à son Parsifal toute la dimension mystique et chevaleresque qui tenaient Gracq en état de fascination ? On a également reproché à l’auteur de n’avoir pas su donner à ses personnages toute la densité dont ils avaient besoin pour paraître crédibles. Julien Gracq est-il taillé pour la dramaturgie ? La critique n’en est pas convaincue.

Très froissé par cet accueil, Julien Gracq rédige en 1950, pour la revue Empédocle, un essai critique intitulé La Littérature à l’estomac. Essai dans lequel le futur auteur du Rivage des Syrtes condamne de manière virulente les pratiques des milieux éditoriaux et médiatiques. À partir de ce moment-là, l’auteur fait le choix d’une indéfectible solitude qui s’harmonise parfaitement et irréversiblement avec une grande indépendance d’esprit.



Extrait de l’Acte III :

Amfortas

« […] Perceval, si les hommes se retournaient seulement une bonne fois, ils verraient se dresser derrière eux autant de Sodomes et de Gomorrhes levées de chacun de leurs pas et capables de les changer en statues de sel. C’est là ce que Montsalvage contemple, et c’est pourquoi tu trouves qu’il y fait nuit en plein jour. Tu as vu dans tes voyages de ces rochers qui gardent les pistes de bêtes fabuleuses qu’on ne voit plus nulle part. Ils étaient boue pour recevoir l’empreinte — ils se sont faits pierre pour la garder… Perceval ! quelque chose a passé ici il y a longtemps, dont Montsalvage a gardé l’empreinte, et rien n’a pu l’effacer, car Montsalvage est un lieu clos, car le temps et la vie n’y trouvent plus de prise, car Montsalvage pétrifie – et c’est ce qui fait de moi pour les passants une pierre de foudre au bord de la route, un fantôme en plein soleil, une tête de Méduse qui te fascine et que tu n’oublieras plus jamais de regarder, Perceval, parce que tu m as vu, parce que ce que j’ai fait tu pourrais le faire, et tu l’as désiré dans ton cœur, et que tu sais maintenant que je te ressemble. »

Julien Gracq, Le Roi Pêcheur, Troisième acte, Bibliothèque de La Pléiade, Gallimard 1989, p. 373.



« Le Roi pêcheur une merveille. Vous n’avez jamais rien donné d’aussi beau. L’atmosphère du drame est inouïe, le lieu est sublime, ce paysage-plaie annule tous les autres », écrit André Breton à Julien Gracq dans une lettre datée du 21 juillet 1948.
Et dans une autre lettre, datée du 16 mai 1949, soit au lendemain de la représentation :
« Je suis surpris de vous entendre parler d’échec du Roi pêcheur. Je maintiens que cette œuvre est la plus belle que je sache et que vous ne pouvez rien induire de l’accueil qu’elle a reçu - encore inespéré selon moi en raison de ses qualités mêmes. »


Lettre de Leonor Fini à Jean-Louis Leutrat

25 septembre 1969

Cher Monsieur,

Je vous ai écrit de Corse en juillet ou juin disant que je n’ai plus les maquettes du Roi pêcheur. Les théâtres gardent les maquettes et les perdent – les costumières aussi. Je suis moi-même très désordonnée.
J’ai un souvenir confus de ce spectacle. C’était une des premières fois, sinon la première, que je travaillais au théâtre. J’ai peu connu Gracq. Il était très discret, parlait peu, fut extrêmement gentil, reconnaissant à moi pour le travail.
Je me suis habituée petit à petit à cette atmosphère fiévreuse, provisoire des répétitions – du milieu théâtral. J’étais calfeutrée dans mes autodéfenses. Je n’avais pas encore participé à un spectacle. Je l’ai fait par admiration pour Gracq. Il y avait Camus aux répétitions. Je me rappelle qu’il a beaucoup ri lorsque j’ai dû m’apercevoir d’une couleur trop crue, criante d’un costume, et j’ai dit : « Vaporisez-moi le moine. »
[…]
Leonor Fini

Source : Cahier de L'Herne Julien Gracq, Livre de Poche, Biblio essais, pp. 249-250.




Voir aussi :
-
Julien Gracq, le site (José Corti)
- (sur Terres de femmes)
3 décembre 1951/Julien Gracq refuse le Prix Goncourt



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