Ph, G.AdC
VOLUTES
La cuisine contiguë à la gatouille. La lampe à festons qui monte et descend en tirant le fil. Contrepoids en porcelaine. Oblong et blanc. Bruit cranté de crémaillère. Équilibre difficile. Incertain. La lampe qui menace de s’effondrer sur la table ronde, circulaire ou de fuir vers le plafond.
La table ronde-circulaire. Sa toile cirée à petits carreaux rouges et blancs assortis à ma jupe. Les buffets campagnards remplis de vaisselle insolite et d’objets inutiles.
Ciseaux
bouts de ficelle et marabouts
capsules et bouchons
tapettes à mouches multicolores
colle crayons élimés canifs
anti-monte lait, ENCORE, rond et lisse,
couvercles en papier festonné.
Le buffet. Une partition d’Eddie Constantine. « Dis Monsieur, pourquoi donc je ne peux m'envoler dans le vent ? » La blague à tabac
de caoutchouc rouge du père
boursouflée
avachie – abandonnée
mollesse inconvenante
blague abandonnée là – incongruité du provisoire –
à sa flaccidité.
Abandonnée là, à côté du cendrier maison Du-Dubon-Dubonnet
cendrier de céramique kitsch où repose la pipe. La pipe de bruyère rouge. Saint-Claude. Auvergne. Fourneau brun et lisse. Le paquet de tabac. Saint-Claude aussi. Bleu. Le petit matériel de ciseaux et de cure-pipe qui se déplie en fonction de l’usage. Curer la pipe. Bourrer la pipe. Les gestes familiers du père qui tire tranquillement des bouffées silencieuses. Volutes de fumée odorante qui grimpe vers l’abat-jour. La pipe du père. Ses lunettes à foyer épais. Sa robe de chambre d’intérieur à carreaux marron et blancs (plus tard, bien plus tard, j’ai acheté dans une boutique de L’Île-Rousse une chemise rustique de la même facture, je viens de le découvrir à l’instant).
Le journal plié sur le fauteuil. Les mots croisés, repris, abandonnés. Le silence concentré du père cherchant ses mots. La table. Les jeux du soir, à la veillée. Loto. Jeu de l’oie. Petits chevaux de couleurs. Damiers. Dés. Parties acharnées. Disputes.
Le visage de la mère. Absente totalement de ces réunions du soir. Pourtant là. Mais où donc ?
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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Réponse de l'ermite
« […]
Et c'est le soir les fleurs de jour déjà se closent
Et les souris dans l'ombre incantent le plancher
Les humains savent tant de jeux l'amour la mourre
L'amour jeu des nombrils ou jeu de la grande oie
La mourre jeu du nombre illusoire des doigts
Seigneur faites Seigneur qu'un jour je m'énamoure
J'attends celle qui me tendra ses doigts menus
Combien de signes blancs aux ongles les paresses
Les mensonges pourtant j'attends qu'elle les dresse
Ses mains énamourées devant moi l'Inconnue [...]»
Apollinaire, « L’ermite », Alcools, Poésie/Gallimard, page 79.
Rédigé par : YvesT | 21 mars 2005 à 20:08
oui, elle était là présente, sa présence nous enveloppait et pourtant son regard grave était lointain, loin de nous tous qui la regardions de temps en temps et qui attendions un sourire, une participation, et, elle ne participait pas, elle était ailleurs dans un autre monde que nul ici ne connaissait et qu'elle seule connaissait et parfois j'aurais voulu lui demander la clé de son monde, son monde qui paraissait sortir de son regard si grave, aussi grave que le ciel qui s'assombrit un soir d'hiver et, elle nous enveloppait de sa présence et elle était absente, elle était absente mais présente dans son monde si grave.
clem.
Rédigé par : clementine | 02 juillet 2005 à 01:46
Le buffet, quand on l'ouvrait, sentait bon la cire d'abeille. Le bric-à-brac qu'il contenait était organisé par villages : le village de la vaisselle (celle de tous les jours, car celle du dimanche était à part, dans le vaisselier de la salle-à-manger), le village de la farine et du sucre, le village de l'huile et du vinaigre, le village des ustensiles en retraite ou qui n'avaient pas trouvé de place ailleurs : ces derniers ne se gênaient pas pour faire des incursions au-delà de leurs frontières, et on les retrouvait parfois, incongrus, chez l'huile ou chez la farine. Et l'anti-monte-lait, dont on croyait autrefois qu'il s'écrivait, je ne sais pas, antimontlé ?... Lui n'avait le droit de sortir qu'une fois par jour, le matin, et encore ne le lassait-on pas toujours assez longtemps pour qu'il puisse tressauter au fond de la casserole, alors pour se venger, il se cachait. Sous les serviettes de table, par exemple.
Rédigé par : amour cuisant | 28 juillet 2006 à 15:18
Quel bonheur de vous lire, amour cuisant. Je ris de vos villages, c'est absolument ça! Vous n'avez rien oublié des parfums, des petites organisations ménagères qui ont empli l'esprit de notre enfance. Et le stratagème de disparition de l'"antimontlé" est désopilant. Merci, je me réjouis de votre visite !
Mais alors, vous êtes un dinosaure, vous aussi !
Rédigé par : Angèle | 28 juillet 2006 à 18:35
Angèle, c'est à nous, vos lecteurs, de vous remercier de nous permettre de lire vos si beaux textes.
P.S. Un dinosaure ? Moi ? Vous mériteriez de retourner faire un petit tour dans le jardin du restaurant de votre premier récit :-)
Rédigé par : amour cuisant | 29 juillet 2006 à 11:20