[UN’AQUILA SI TIENE NEI MIEI OCCHI]
Un’aquila si tiene nei miei occhi
che se guarda la gente
io vedo i loro corpi cosi soli
a scaldare le soglie della vita
e come stanno buoni nella pena,
quanta paura trema in ciò che vive
e tutte quelle voci di animali che sanno
di morire
sembrano belle ancora nella mente
come comete dalla lunga scia
e se ne sente una anche più debole
venire avanti e diventare mia.
Mai fissare l’aquila allo specchio ―
vede solo lontano, abissalmente,
ogni suo sguardo ti scaglia da se stesso
nel paesaggio, al posto tuo:
i deserti dei quali si fa parte
da cui si torna solo col pensiero.
Aquila mia, remota mia figura
con tutto il mondo che le gira intorno
e con il vuoto che vaga intorno al mondo,
centro di me che dentro non resiste,
che nascondo nei nomi che conosco
eccomi ancora qui, la testa china
come una che non riesce e si vergogna ―
sento d’essere tua, senza capire
lascio che qualche mia parola ti accontenti,
che tutto questo accada un’altra volta.
Silvia Bre, “L’argomento”, in Marmo, Giulio Einaudi Editore, 2007 [ebook 2014], pp. 10-11. Premio Viareggio-Rèpaci 2007.
[IL Y A UN AIGLE DANS MES YEUX]
1. Il y a un aigle dans mes yeux
et lorsqu’il regarde les hommes
je vois leurs corps si seuls
ranimant les seuils de la vie
et comme dans la peine ils sont radieux,
tant de peur tremble dans ce qui vit.
Et toutes ces voix des animaux qui savent mourir
semblent belles encore dans ma tête
comme des comètes au long sillage
et même lorsqu’on en entend une plus fluette
qui s’avance et devient mienne.
2. Ne jamais mettre l’aigle au miroir ―
sa vue est lointaine, abyssale,
chacun de ses regards te jette hors de toi
dans le paysage, à ta place assignée :
ces déserts dont nous sommes une part
et dont on ne revient qu’avec la pensée.
3. Mon aigle, ma figure cachée
avec le monde entier qui tourne autour de lui
et avec tout le vide qui erre autour du monde,
mon centre qui en moi ne résiste pas
et que je cache dans les noms que je sais
c’est encore moi qui, la tête penchée
comme celle qui n’y arrive pas et en a honte ―
sens bien que je t’appartiens sans comprendre
et je fais tout pour que mes mots te plaisent, quelques-uns
et que tout cela se produise encore une fois.
Silvia Bre, « L’argomento » (poème extrait de Marmo, Einaudi, 2007), Po&sie, numéro 110, Trente ans de poésie italienne, 1975-2004, vol. 2, Belin, 2005, pp. 351-352. Traduction de Tiphaine Samoyault.
NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE
Silvia Bre, née à Bergame en 1953, vit aujourd’hui à Rome. Traductrice de textes scientifiques et littéraires, elle a entre autres traduit deux anthologies d’Emily Dickinson, Centoquattro poesie (2011) et Uno zero più ampio (2013), ainsi que Il Canzoniere de Louise Labé (Mondadori, 2000) et Il giardino de Vita Sackville-West (Elliot, 2013). Lauréate en 2010 du prix Cardarelli per la poesia, elle a publié quatre recueils de poésie : I riposi (Rotundo, 1990), Le Barricate misteriose (Einaudi, 2001 ; prix Montale), Marmo (Einaudi, 2007 ; prix Mondello, prix Penne, prix Frascati 2007, prix Viareggio 2007) et La fine di quest’arte (Einaudi, 2015). Elle publie en revue depuis le début des années 1980, dans Braci, Prato pagano, Nuovi Argomenti, Poesia.
Sans être à proprement parler philosophique, la poésie de Silvia Bre manifeste une forte préoccupation existentielle. Les Barricades mystérieuses, dans ce titre qu’elle emprunte à Couperin, sont les bornes spatio-temporelles qui enferment la vie tout en donnant le sentiment d’un dehors : des voix, une lumière, les bribes d’une foi vacillante font trembler l’existence, déstabilisent le vers. Chaque poème révèle, aux sens photographiques et religieux du terme, une harmonie lointaine ou un sens caché, en même temps qu’il accueille les petits événements du quotidien, les gestes ordinaires. La poésie de Silvia Bre est moins une poésie du mot qu’une poésie des contraires, inspirée sans doute des grands textes de la mystique. En dépassant les oppositions, en les dépliant dans le poème, il s’agit de faire entendre un chant inaudible, de faire voir une réalité qui s’était perdue sous la terre, « parmi les graines qui fleuriront peut-être ».
Silvia Bre est aussi la co-auteure (avec Carlo Lodoli) d’un roman policier : Snack-Bar Budapest (Bompiani, 1987 ; traduction française : Les Allusifs Editions, mars 2010). Roman adapté au cinéma en 1988 dans un film éponyme de Tinto Brass.
(d’après une notice de Tiphaine Samoyault)
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Note d’AP : Silvia Bre (sans accent sur le e, comme elle me l’a précisé le 17 juillet 2009 sur Facebook), est aussi l’auteure d'un poemetto théâtral, Sempre perdendosi, publié au printemps 2006 par Nottetempo, collection "I Sassi".
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