David Camus, Les Chevaliers du Royaume
Regards croisés d’une femme sur Les Chevaliers du Royaume de David Camus
Les Éditions Robert Laffont ont publié le mois dernier un roman tonitruant et flamboyant, Les Chevaliers du Royaume, annoncé tambour battant (sous le titre de Miles Christi) dès l'automne dernier. Roman dont il est attendu un "franc et massif" succès populaire, comme le laissent entendre l'imposante mise en place de l'ouvrage en librairie et la campagne de presse actuelle. Ce roman, vaste fresque politico-religieuse à caractère épique, est le premier roman d’un romancier de trente-cinq ans : David Camus.
Grand amateur de science-fiction, auteur d’une nouvelle parue en 1998 dans la revue Galaxies, sous le titre : « La nuit des petits hommes verts », David Camus, sous ses dehors calmes et sérieux, aime les grands frissons et rêve probablement d'en découdre ! Mais déjà, longtemps avant de se plonger dans l’écriture (mais aussi dans la traduction, l’édition, la réalisation cinématographique... et le référencement de sites), il avait indirectement participé, sous pseudonyme, à la scénarisation de jeux de rôles moyenâgeux. Jeux qui lui ont fourni, quelques années plus tard, la trame toute trouvée de son futur roman. Une épopée tout entière ancrée dans la période qui annonce le début de la troisième croisade. Pour les chrétiens, la plus cruelle des croisades, celle qui a suivi la prise de Jérusalem et qui a marqué la « Terre Sainte » des stigmates de la haine.
Dès les premiers chapitres de cette somme (vingt-cinq chapitres en tout, sans compter le prologue et l'épilogue), le lecteur est plongé tout vif dans le « bruit et la fureur » de la bataille d’Hattīn (près du lac Tibériade, en Galilée), menée par Saladin contre les croisés et les soldats du Christ. Nous sommes au XIIe siècle (4 juillet 1187). Saladin le sunnite sortira vainqueur de ce tumulte qui sème la déroute au cœur des armées franques, entraîne la prise de Jérusalem (le 2 octobre) et provoquera la troisième croisade (proclamée le 29 octobre 1187 par le pape Grégoire VIII).
L’action du roman débute in « medias res ». C'est-à-dire, ici, en pleine bataille. Une bataille décrite avec une joviale maestria par son auteur, dont la devise personnelle est : « N’écris que ce que tu vois ». Avec un réalisme visionnaire (?) qui n’a rien à envier aux descriptions de la bataille d’Eylau dans Le Colonel Chabert de Balzac (dont David Camus est un avide lecteur), ou à la déroute de la Bérézina dans Guerre et paix de Tolstoï.
Voilà donc le lecteur errant, non pas dans Césarée, mais au milieu des cadavres en putréfaction qui jonchent le sable du désert. Sous un soleil de plomb. Enseveli sous les corps mutilés, les armures démantibulées et les cervelles fumantes de ses compagnons d’armes surgit Morgennes, moine hospitalier, blessé à mort. À qui reste pourtant suffisamment de force et de vivacité d’esprit pour s'enquérir auprès du malheureux évêque d’Acre, Rufinus, de la situation des croisés. Le moine hospitalier renaîtra pourtant de ses cendres. Fin prêt à s'engager, gonfanon en avant, dans de nouveaux combats. Avec l’aide de la miraculeuse Crucifère (étymologiquement « la porteuse de croix »), sa redoutable et vaillante épée, héritée de Baudouin IV et du roi Amaury. D'ailleurs fort convoitée. Quant à Rufinus, il ne fera pas long feu, et son chef, transformé en une ricanante relique, sera lui aussi très prisé. Outre l’épée Crucifère et la tête de l’évêque, d’autres objets-signes se relaient allégrement dans le récit, dessinant d'étranges « arabesques » que les aficionados du genre se réjouiront assurément de décrypter.
Les personnages, fort nombreux (il faut, comme dans les romans de Balzac ou les romans russes, se constituer son lot de fiches pour y retrouver ses petits) sont, pour la plupart, historiquement campés. Tant du côté des Sarrasins que du côté des chrétiens. Dans ce champ clos essentiellement viril, les femmes ont parfois leur rôle à jouer. Un rôle majeur, affirme David Camus. En particulier, la belle et noble Cassiopée. Dont les derniers chapitres dévoileront enfin tous les mystères.
On peut imaginer que Les Chevaliers du Royaume, qui baigne tout au long dans une encre scénaristique, donnera prochainement à voir dans les salles obscures une gigantomachie sanglante sur écran panoramique. « Du grand spectacle, en technicolor, du Chrétien de Troyes scénarisé par Hollywood ,» comme le souligne Jean-Claude Perrier dans Livres Hebdo. Un écran sur lequel il sera d'autant plus aisé d'identifier, en plein carnage et étripage, ces hypocrites trognes barbares que sont les méchants chrétiens. Gonflés des certitudes et dogmes sur lesquels ils fondent leurs méfaits et pour lesquels ils guerroient si ardemment.
Car le roman, hors quelques figures chrétiennes emblématiques qui incarnent la voix de la sagesse, celle de Guillaume de Tyr par exemple, est pour l'essentiel assez manichéen. Et donne de surcroît l’entier avantage aux figures sarrasines. On pourra toujours rétorquer que David Camus respecte en cela les faits historiques. Mais, par-delà l’Histoire événementielle, pourquoi faire si peu de cas des données psychologiques et des mentalités propres à une époque ? Et, à lire David Camus, l’impression qui domine est que, dans le contexte précis de la guerre sainte, seuls les Sarrasins sont justes et loyaux. Une simplification qui n’est pas sans entraîner, du moins à la lecture de ce texte, un oppressant malaise. Voire une poussée de révolte ou de fièvre. Car, même si David Camus se déclare profondément athée, on est en droit de s'étonner qu'il tienne pour négligeables - ou du moins non signifiantes - des sensibilités et croyances qui sont pourtant au coeur de son propre héritage culturel. On en vient du coup à imaginer que l’auteur s’ingénie (plus ou moins consciemment) à raviver de vieilles cendres toujours en activité et à jeter de l’huile sur le feu. Brûlot qui ne peut que contribuer à enflammer des conflits larvés. Mais, si je m’en tiens à la seule lecture en filigrane du communiqué éditorial présenté à la dernière Foire du livre de Francfort, la maison d’édition de David Camus privilégie sans doute le pactole qu’elle imagine pouvoir retirer de ce produit (une fresque cinématographique à la Oliver Stone ?), et de ses produits dérivés, outils marketing déclinables à volonté ! Sans trop s'encombrer d'éthique religieuse ni s'inquiéter des joutes qu'un tel roman risquerait de susciter. Business oblige !
Si les recherches historiques, inspirées des travaux du médiéviste Jean Flory (auteur de Guerre sainte, jihad, croisade, violence et religion dans le christianisme et l’islam, Points/Seuil, 2002), ont abondamment nourri le travail de l’auteur, les péripéties romanesques doivent également beaucoup au merveilleux et au fantastique médiéval propres aux romans de Chrétien de Troyes. Et à Perceval, son infatigable héros. Dont les aventures ont pris fin, on le sait, avec la mort de leur auteur. Qu’à cela ne tienne ! David Camus relève le gant et s'engage à fournir une suite au roman de Chrétien de Troyes. Sur le thème de la disparition de « La Vraie Croix ». Un mystère à ce jour non élucidé par les historiens. Encore moins par l’auteur lui-même. Peut-être lui sera-t-il « donné la grâce » de découvrir ce mystère dans les opus prévus pour 2007 et les années suivantes. Car, selon lui, les pistes qu'il reste à explorer sont nombreuses... tout comme les filons à exploiter !
Les Chevaliers du Royaume, que David Camus se défend (ou craint) de présenter comme un roman violent, est indéniablement à mes yeux un roman où prédomine la violence. En première ligne. Même si cette violence est épisodiquement mâtinée de tendresse. Celle que véhiculent amour et amitié. Un roman dont la teneur risque cependant de déborder la pensée et les intentions de son auteur. Et partant, d’alimenter et de raviver des braises incandescentes. Un roman qui pourrait à terme faire couler beaucoup d’encre !
Le jeune écrivain n'hésite pas à s’interroger à voix haute: « Comment peut-on se battre au nom du Christ ? » Un bel aplomb qui relance à lui seul une polémique potentielle, sur laquelle David Camus a très sûrement bien affûté ses arguments !
David Camus, Les Chevaliers du Royaume, Robert Laffont, 2005.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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