ENTRELACS
Vivre vivre
le labyrinthe de ta vie
te glisser docile dans les entrelacs
de tes fibres murs à briser
silences à enclore te couler
dans le moule rassurant
des mots tu tisses ta toile
t’enveloppes t’enroules volutes
spirales la fumée fond autour de toi
tu en éprouves les formes fugitives
effeuiller les membranes de l’opacité
cellule après cellule
de tes ongles meurtris
tu grattes tu écales paroi après paroi
les dures écorces de la réalité
surfaces lisses murs glabres
tu procèdes par ordre tes mains nues
caressent palpent roulent et raclent
les rideaux volatils
s’effacent te cèdent le passage
tu cueilles au hasard de ta marche hésitante
les coquillages nacrés des arbres
les algues des branches plient ploient et t’enserrent
de leurs membres le silence est tien
comblé de volupté le lacis du sentier
se déroule sous toi aux frontières absentes
confins inaccessibles limites repoussées
frontières élargies hors du temps de l’espace
la confiance t’emplit plénitude rondeur
anémone légère tu ondules
sur les tracés à venir
démarche éclatée mais sûre alentie
tu t’élèves fluide par-dessus le damier des jours
inextricabilité vaincue enchevêtrements élagués
tu te faufiles t’enhardis au-delà des mystères
les lianes se défont de leurs nœuds sous tes doigts invisibles
écheveaux de cheveux
déliés sous tes pas tu t’enfonces pénètres glisses
ondoiements silencieux
rien ne craque ne brise verre désagrégé
aussitôt que perçu
portes dégondées seuils franchis
tu déambules bulle d’air
et d’eau ivre de solitude conquise
tu affrontes sans ciller le cliquetis des couleurs
les canaux en quinconce duo de noir et blanc
losanges d’Arlequin aux multiples facettes
les pistes se chevauchent se brouillent s’enchevêtrent
s’accélèrent les lignes en fuite
fuseaux de fibres durs dédales de cristal
métallique glacé treillis de vitres
reflets infinis des miroirs biseautés
tu te cherches là-bas
aux confins du réel
éclaté
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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L’horizon dégondé
pour toi
Ta vie comme une éponge
Qui a jeté l’éponge à cet endroit ?
Tu absorbes le sel et sa poussière
Le rebut des marées a durci ton image
Tout ce brimballement
affale tes distances
Rester au fond d’un rêve
est contraire au ressac
Pour autant
ne pas sortir de l’eau !
Réapprendre l’apnée ?
M.P.
Rédigé par : M.P. | 28 mars 2005 à 22:10
Le chemin ardu, semé de périls, de toute création, ne fait que répéter l’acte cosmogonique premier. Égarements dans le labyrinthe. Comme Phèdre "tout entière à sa proie attachée ?" Difficultés de celle qui, confrontée à la fois à l’éphémère et à l’illusoire de la réalité, et au silence glacial de l'éternité, cherche le chemin vers le soi, en quête d’une régénérescence primordiale. Seul l’Ouroboros peut répondre à son attente.
Rédigé par : Angèle Paoli | 28 mars 2005 à 22:46
Céline et Julie vont en bateau ? Où est le ponton de débarcadère ? Finalement, je vais suivre les conseils de Tsvétaïeva à Pasternak ("la vie est une gare. Je vais bientôt partir, je ne dirai pas où") et me plonger moi aussi, comme Linda Lê, dans La Persuasion et la rhétorique de Carlo Michelstaedter, qui s'est suicidé à 23 ans après avoir assisté à un concert de Beethoven.
Rédigé par : YvesT | 28 mars 2005 à 23:01
L'ŒUVRE DE SIMON F.______________
Manuscrits trouvés dans le lit de la mère morte
Prolégomènes de Psyché errant sur le canal.
Amicizia
Guidu______________
Rédigé par : Guidu | 28 mars 2005 à 23:38
Superbe ! Images et mots. Deux passages vont me revenir à l'esprit, qui sait pourquoi ? "Portes dégondées" et "les lianes se défont de leurs noeuds". Aurais-je fait un rêve...?
Rédigé par : JC-Milan | 29 mars 2005 à 08:43
"Les blessures comme le feu
semblent finir par s'endormir
Tromperie
Dans leurs ventres laiteux
Elles roulent des incendies
Chaque matin
Livrée au feu et aux bêtes sauvages
Aux termites anthropophages
Qui me dévorent à grand bruit
Et me laissent en vie
Dans une mort sans fin
[...]
Comme les voyageurs s'en vont
Pour ne plus revenir
Comme les papillons
Regagnent pour mourir
Les grands vergers mûrs des étoiles
Je pars vers le flamboyant rien
Vos chants ne m'auront pas trompée
Oiseaux vous seuls
Merci de m'avoir entraînée
Trop loin"
Anne Perrier, Le Livre d'Ophélie, Editions Payot, Lausanne, 1979, pp. 34-35-72.
Rédigé par : M.P. | 29 mars 2005 à 08:54
« Il observe son fils. Il regarde le petit garçon circuler dans la pièce et écoute ce qu’il dit. Il le voit jouer avec ses jouets et l’entend se parler à lui-même. Chaque fois que l’enfant ramasse un objet, pousse un camion sur le plancher ou ajoute un bloc de plus à la tour qui grandit sous ses yeux, il parle de ce qu’il est en train de faire, à la manière du narrateur dans un film, ou bien il invente une histoire pour accompagner l’action qu’il a engagée. Chaque mouvement engendre un mot ou une série nouvelle de mouvements et de mots. Tout cela n’a pas de centre fixe (« un univers dans lequel le centre est partout, la circonférence nulle part ») sauf peut-être la conscience de l’enfant, elle-même le champ en modification constante de perceptions, de souvenirs et de formulations. Il n’est pas de loi naturelle qui ne puisse être enfreinte: les camions volent, un bloc devient un personnage, les morts ressuscitent à volonté. L’esprit enfantin navigue sans hésitation d’un objet à un autre. Regarde, dit-il, mon brocoli est un arbre. Regarde, mes pommes de terre sont des nuages. Regarde le nuage, c’est un bonhomme. Ou bien, au contact des aliments sur sa langue, levant les yeux, avec un éclair malicieux : « Tu sais comment Pinocchio et son père ont échappé au requin ? » Une pause, pour laisser descendre la question. Puis, chuchoté : « Ils ont marché doucement tout le long de sa langue sur la pointe des pieds. »
A. a parfois l’impression que les démarches mentales de son fils en train de jouer sont l’image exacte de sa propre progression dans le labyrinthe de son livre. Il a même imaginé que s’il arrivait à représenter par un diagramme les jeux de son fils (une description exhaustive, mentionnant chaque déplacement, chaque association, chaque geste) et son livre par un autre, similaire (en élucidant ce qui se passe entre les mots, dans les interstices de la syntaxe, dans les blancs entre les paragraphes - en d’autres termes, en démêlant l’écheveau des connexions), les diagrammes seraient identiques : il se superposeraient parfaitement. »
Paul Auster, Le Livre de la mémoire, in L’Invention de la solitude, Actes Sud/Babel, 1992, pp. 259-260.
Rédigé par : Angèle Paoli | 29 mars 2005 à 12:50