Chroniques de femmes - EDITO
CROMAGNON ÉTAIT-IL MACHO ?
À y regarder de plus près, l'homme de Cromagnon (ou de Neandertal) ne correspond pas toujours à l'image que l'on s'en fait, particulièrement celle du macho brandissant dans une main un imposant gourdin et, dans l'autre, le chignon de sa compagne. Cette caricature semble être largement héritée d'une vision occidentale de la fin du XIXe siècle, profondément influencée par les valeurs de l'époque. Problème inhérent à nombre d'études ethnographiques, il est difficile, voire impossible, de faire abstraction du présent, et il en ressort que nos visions sont avant tout des projections.
Le concept d'égalité des sexes n'était certes pas aussi répandu dans la Préhistoire qu'il l'est aujourd'hui, mais il faut admettre que la place de la femme dans les sociétés dites "archaïques" est plus importante qu'il n'y paraît, entre autres dans les domaines de la chasse et de la cueillette, des activités que nos manuels d'histoire présentent trop souvent comme relevant de compétences exclusivement masculines. Monsieur chasse pour nourrir la famille, pendant que Madame élève les enfants ou prépare la soupe du dimanche. S’il faut reconnaître une spécialisation certaine - la maîtrise du végétal pour la femme et celle de l'animal pour l'homme, avec toutefois quelques nuances -, une grande cohésion et une parfaite complémentarité étaient indispensables à la survie du groupe. Hommes et femmes mélangeaient allègrement leurs activités. Polyvalence rime dans ce cas avec survie.
Cerner le statut de la femme dans la préhistoire n'est pas chose aisée. Si la différence entre hommes et femmes se traduit la plupart du temps dans les pratiques sociales, l'étude de la préhistoire, elle, se fonde avant tout sur des indices matériels. C'est dire si les scientifiques ont dû multiplier les prudents recours à des parallélismes avec des peuples chasseurs contemporains. Ce sont essentiellement des vestiges d'ordre artistique qui alimentent la représentation que l'on se fait de la femme dans la préhistoire. Sculptures pariétales, statuettes en terre, en os, en pierre... La plupart des représentations attestées, qu'elles soient bi- ou tridimensionnelles, rassemblent quelques points communs. Sont la plupart du temps schématisés les organes sexuels, tandis que sont largement mis en évidence les attributs féminins : les représentations les plus réalistes montrent des femmes gravides ou « stéatopyges » (à large bassin). La première conclusion longtemps tirée de ces témoignages a été que la fonction vitale de la femme était la maternité. Point sans retour à la ligne.
Depuis les années 1970, ethnologues et historiens tentent d'aller plus loin (sur ce point les États-Unis ont quelques longueurs d'avance sur nous) et rendent aux rapports hommes-femmes de la Préhistoire leur juste réalité. La fonction reproductive de la femme n'est certes pas niée ni minimisée mais son rôle dans d'autres champs d'action est plus clairement mis en valeur. La femme récupère les animaux morts et les découpe, les prépare. Elle s'occupe également de la cueillette et des petites récoltes, sans parler de la fabrication d'outils et d'ustensiles divers. De là à penser que l'art préhistorique (fresques, statuaire, vestimentaire, mobilier…) doit une grande partie de son existence à la femme, il y a un pas à franchir qui ne paraît pas insurmontable. Les informations abondent à ce sujet dans l'essai de Claudine Cohen La Femme des origines, publié chez Herscher en 2003.
Vénus de Willendorf
fin du gravettien (26 000-23 000 av. J.-C.).
Calcaire, hauteur : 11,25 cm
Naturhistorisches Museum, Vienne
Que conclure de tout cela ? Tout et rien. Pas de militantisme forcené ou de lutte pour l'émancipation de la femme. Simplement, un espoir placé dans l'évolution constatée de la perception des rapports entre hommes et femmes au fil de l'histoire. On avance. À petits pas. Même si, de temps à autre, un grain de sable enraie la machine. Comme la découverte récente de sept squelettes fossilisés sur l'île de Java, dont celui de l'Homo floriensis (« Homme de Flores »), qui est en réalité… une femme.
Marielle Lefébure
D.R. Texte Marielle Lefébure
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Et avec tant de siècles d'histoire, on en était encore à discuter de l'opportunité de la Galanterie, soit la politesse entre les sexes, dans un programme télé de Canal + aujourd'hui. O tempora...
Rédigé par : JC-Milan | 28 mars 2005 à 16:11
Je me demande si l’on ne devrait pas aborder cette question du masculin/féminin tout comme la problématique de l’être. Et, pour ce faire, commencer par méditer sur cette phrase de Hölderlin : « Nous ne sommes rien. C’est ce que nous cherchons qui est tout ».
Rédigé par : YvesT | 28 mars 2005 à 16:32
Suite à la rédaction de cette chronique et l'évocation fréquente de la femme en position gravide, j'ai eu un échange intéressant avec Adeline sur son blog à propos de la femme et sa fonction reproductrice. Le point de départ est une chronique dans le quotidien Libération de Marcela Iacub sous le titre "L'utérus artificiel contre la naissance sacrificielle" (http://www.liberation.fr/page.php?Article=285670&AG).
L'auteur fait référence à un ouvrage d'Henri Atlan, L'Utérus artificiel (Seuil) et s'interroge sur le rôle réel de la maternité dans le développement de la femme et sa liberté. Parallèle teinté d'un certain militantisme que je ne suis pas, pour ma part, préférant voir dans l'utérus artificiel une portée thérapeutique, essentiellement médicale, plutôt qu'une machine à acquérir de l'indépendance et de la liberté. Mais le débat est ouvert.
Un autre article consacré à "la machine à bébés" a également attiré mon attention (http://www.nouvelobs.com/articles/p2109/a266061.html), rédigé lui aussi par une femme, Catherine David, d'une sensibilité différente à celle de Marcela Iacub. Toutes les femmes ne sont pas du même avis et c'est tant mieux.
Rédigé par : Marielle | 12 avril 2005 à 18:01
Dans mon étude sur les peintures de Lascaux parue en 2004 sous le titre Lascaux et les mythes (Périgueux 2004, éd. Pilote 24), j’ai développé l’idée que ces peintures pourraient illustrer un mythe de fécondité axé sur le cycle du sang chez la femme. Que ces peintures illustrent un mythe quelconque et que la fécondité ait été au cœur des préoccupations des hommes préhistoriques, ces hypothèses ne datent pas d’hier. Mais qu’un mythe puisse être axé sur le cycle du sang chez la femme, voilà qui n’a encore jamais été envisagé, à ma connaissance.
Il me semble pourtant qu’un phénomène aussi troublant, malgré sa banalité, était plus que tout autre susceptible de stimuler l’imagination et de provoquer des tentatives d’explication. Il est donc étonnant qu’aucune étude n’ait été entreprise sur l’imaginaire du sang cyclique et sur les récits qu’il aurait pu inspirer.
Rédigé par : Thérèse Guiot-Houdart | 18 mars 2006 à 13:18
Bonjour !
J'ai récemment lu dans le National Geographic qu'il semblait que la femme de Néanderthal chassait, tout comme l'homme, et que la répartition des tâches selon le sexe soit le fait de Cro-Magnon...
Etonnant, non ?
Amicalement,
Tinky, préhistomaniaque. :-)
Rédigé par : Tinky | 21 décembre 2008 à 10:57