Dalle funéraire de Vittoria dei Gentili
Marbre blanc sculpté en bas-relief (apr. 1590)
Église paroissiale San Francescu (fondée en 1506)
Canari (Haute-Corse)
Ph. angèlepaoli
Ci-gist la tres noble dame espouse de messer Horatio Santelli Cenci Seigneur dans la piéve de Canari du Cap Corse
dame estreinte en sa coiffe rigide scellée dans les roides plis de sa robe
enclose sous sa dalle de marbre pur si jeune encore elle a emporté son enfant nouveau-né dans la mort
en l’an de grasce mille cinq cent quatre-vingt-dix
un samedi de juillet
immortelle et sereine
elle dort au sein de sa blanche enveloppe
gisante silencieuse
couchée sous les pas desdaigneux
qui sans fin la froslent
insensible
elle veille
les vivants
cesciteulx
Plus loin, ailleurs, sur la même terre, dort une autre dame de même nom.
Sa fière descendante peut-être ? Mais celle-ci est est presque hors d'accès. Il faut d’abord franchir une enceinte de pierres car la grille est fermée. Rouillée depuis longtemps. Se frayer aussi un passage parmi les ronces. Et les enchevêtrements de chèvrefeuille. Ce n’est qu’au prix d’égratignures et de trébuchements qu'elle peut enfin parvenir jusqu’à elle. Jusqu'au mausolée qui lui est consacré. Les murs racontent l’essentiel de la vie de la dame, « a signora ». Emportée elle aussi par la mort en son jeune âge. Originaire de Nonza, le village voisin de Canari. Où repose son ancêtre pareille.
Celle-ci dort seule, perdue dans un caveau immense et noir. Impossible de s'en approcher davantage. Sa tombe est scellée dans la pierre, invisible. Elle dort cernée et auréolée de brisures de verre, de pots de fleurs défraîchies, de branchages épars. Tout est signe d’abandon éternel. Les cyprès pourtant montent la garde auprès d’elle. Seuls témoins frissonnants d'une splendeur et d'une grandeur oubliée. À proximité, sur une vaste esplanade de verdure, San Michele de Murato se dresse, toute en damiers blanchâtres et vert sombre. Impassible serpentine. Merveille de l’art romano-pisan d’inspiration byzantine.
À la fin du mois d’août de l'an passé, beaucoup plus loin encore, sous d’autres cieux moins durs, loin de la terre natale de ces lointaines épousées, une autre femme est morte. De la même origine. Même lignée et même nom. Dans l’encadré d’un grand quotidien, à la rubrique « deuils », elle lit son nom. Elle en est bouleversée.
Peut-être dans la nuit les trois dames échangent-elles leurs larmes entremêlées.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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