Le 30 mars 1983, à vingt heures trente1, meurt au Haut-de-Cagnes (Cagnes-sur-Mer) Suzanne Rocher, dite Suzy Solidor, chanteuse de cabaret et égérie des années 1930. Descendante du corsaire Surcouf par son père2, Suzanne Rocher (née Suzanne Marion) était née dans le lieu-dit de La Pie, près du bourg de Saint-Servan (Ille-et-Vilaine), à proximité de Saint-Malo, le 18 décembre 1900. Suzy Solidor est le prototype de « la garçonne» et le symbole incarné de l’émancipation féminine des Années folles.
Huile sur panneau de bois, 46 x 37,5 cm Château-Musée Grimaldi de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) [Autre version] D.R. Ph. L'AMIRALE Débarquant à Paris à l'âge de vingt ans pour y devenir mannequin3, la blonde et sculpturale Suzanne Rocher est découverte par la célèbre « demoiselle antiquaire » du 20 de la rue du Faubourg Saint-Honoré, Yvonne de Bremond d’Ars (1894-1976). Elle défraie très vite la chronique du « tout-Deauville », station balnéaire qui fait fureur dans les années 1920 et où Yvonne possède un petit manoir. Les deux belles garçonnes forment un couple très en vue et dans « l'air du temps », à la « une » de Vogue, Harper's Bazaar, Jardin des Modes ou Femina, traquées par les photographes de l'élégance (les Séeberger) dans leurs costumes de bain « excentriques » signés Jenny. Devenue onze ans plus tard, en 1931, Suzy Solidor, en souvenir de la tour malouine de Saint-Servan au pied de laquelle elle s'était « forgée » dans son enfance, la chanteuse à la voix hâlée (Cocteau4) et de houle caressante fait ses débuts officiels5 à « L’Européen » le 12 mai 1933. Année où elle vient d'ouvrir, près du Palais-Royal, au 12, rue Sainte-Anne, « La Vie Parisienne », un des premiers cabarets lesbiens de Paris. Ce qui n'empêchera pas Suzy de devenir l'amante passionnée de l'aviateur Jean Mermoz (1901-1936). Outre des chansons de marin et du « grand large » (qui la font surnommer « L'Amiral »), Les Filles de Saint-Malo (1934, Valandré/Jacqueline Batell), Escale (1938, écrite par Marguerite Monnot et Jean Marèze [1903-1942], frère de Francis Carco), La Chanson de la belle pirate (1938, Sundy/Villemarque), Suzy Solidor dit des poèmes de Verlaine, de Rilke, de Cocteau ou de Francis Carco et chante des textes sulfureux où elle affirme ouvertement sa bisexualité (Obsession, Ouvre). Dans les années 1940, en plein « Gross Paris », elle continue à régner en grande prêtresse dans son cabaret et y crée notamment la version française de Lili Marleen (Lily Marlène, 1942, chanson créée en 1938 par la chanteuse berlinoise Lale Andersen, puis interprétée en 1941 par Marlene Dietrich6), participe à des émissions de Radio-Paris et à quelques galas de propagande. Mais c'est surtout d'avoir chanté sur Radio-Paris, dans l'émission de Jean d'Agraives, Au 31 du mois d'août qui lui vaudra une interdiction de chant d'un an et, en 1946, un blâme du Comité national d'épuration, une humiliation qui la contraindra à céder son cabaret de la rue Sainte-Anne, en 1946, à Colette Mars et la convaincra de prendre quelque temps le large vers l'Amérique. À son retour, elle rachète l'ancien cabaret de Jean Rigaud, « La Boite à Sardines », 4, rue Balzac, près de l'Etoile, à Paris. Cabaret qu'elle rebaptise tout aussitôt « Chez Suzy Solidor » à l'occasion de sa réouverture en février 19497. Suzy Solidor a été immortalisée en « amazone » dans le portrait qu’a fait d’elle (ci-dessus) Tamara de Lempicka (1898-1980), peintre Art Déco la plus en vue de son époque. Tamara de Lempicka ne fut pas la seule à faire le portrait de Suzy, puisque, au dire de sa biographe, Marie-Hélène Carbonel8, pas moins de 220 portraits ont été dénombrés (certains peintres ayant réalisé plusieurs versions). Les riches collections privées de Suzy Solidor (qui ne comprenaient pas que des portraits) ont d'ailleurs été mystérieusement dispersées par des héritiers de la dernière heure, même si une petite partie d'entre elles a fait l'objet de mises en vente aux enchères très prisées en juillet 1983. Enchères qui furent toutefois précédées, du vivant de Suzy Solidor (1973 et 1979), d'une donation partielle au Château-Musée Grimaldi du Haut-de-Cagnes. C'est dans le vieux bourg de Cagnes-sur-Mer en effet, qu'au début des années 1960, Suzy Solidor s'était retirée et avait ouvert un cabaret (« Chez Suzy » en août 1960) puis un magasin d'antiquités, dans l'ancienne maison (rachetée en 1959 et revendue en viager en 1968) de la femme de lettres Claire Charles-Géniaux. Au 12 de la place du Château. Suzy Solidor est aussi l’auteur de quatre romans : Térésine (1939), Fil d'or (1940), Le Fortuné de l'Amphitrite (1941, rééd. sous le titre Fortune, marin de l'Amphitrite, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2001 ; 2006), La vie commence au large (1944). Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli
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■ Suzy Solidor sur Terres de femmes ▼ → (sur Terres de femmes) Suzy Solidor, Escale (1938) ■ Voir | écouter aussi ▼ → (sur le site de Paul Dubé) une notice consacrée à Suzy Solidor (extraits musicaux + une vidéo [Les nuits de Notre-Dame]) → (sur YouTube) Suzy Solidor | Le fin voilier → (sur YouTube) Suzy Solidor | Ouvre (Edmond Haraucourt - Laurent-Rualten [Léo Laurent], 1933) + un extrait d'Escale → (sur YouTube) Suzy Solidor | Obsession (Chaque femme je la veux) (Edmond Haraucourt - Laurent-Rualten [Léo Laurent], 1933) → (sur YouTube) Suzy Solidor | Les Filles de Saint-Malo (Valandré [Valérie-Andrée Sinave] - Jacqueline Batell,1934) → (sur YouTube) Suzy Solidor | La fille des bars (1934) → (sur YouTube) Suzy Solidor | Amour, désir, folie (décembre 1934, quatuor Léo Laurent, disque Odéon 166.866)[vidéo censurée par YouTube] → (sur YouTube) Suzy Solidor | Nuit tropicale (C.M. Carbet - Nady - Val) - Pathé PA 1331 (novembre 1937) → (sur YouTube) Suzy Solidor | Escale (1938) → (sur YouTube) Suzy Solidor | Mon secret (1938) → (sur YouTube) Suzy Solidor | Lily Marlène (1942) → (sur le site de la collection en ligne du Centre Pompidou - Musée national d’art moderne) plusieurs photos de Suzy Solidor par Man Ray (1929) [1] [2] [3] [4] → (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes) le Portrait de Suzy Solidor par Guidu → (sur Terres de femmes) une biographie de Tamara de Lempicka et le Portrait réalisé par Guidu |
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Ci-après des extraits du commentaire de Marie-Jo Bonnet sur le Portrait de Suzy Solidor par Tamara de Lempicka. Paru dans Lesbia magazine, en septembre 1994.
"Tamara de Lempicka retrouve le secret de sa force plastique : braver un interdit en mettant sa culture au service de la provocation. Non seulement elle lui dénude le sein, mais elle place le modèle sur le devant de la scène pourrait-on dire, dans un jeu d'obliques qui structurent et architecturent l'espace d'affirmation de soi. Le buste de Suzy Solidor s'intègre à la ville tout en s'en détachant, dans une saine provocation qui n'a évidemment rien à voir avec cet "ingrisme pervers" dont la qualifia Arsène Alexandre après avoir vu ses premiers nus. Il revint d'ailleurs sur cette expression dans un article paru dans La Renaissance de 1929. [...]".
[...] comme le remarquait Michèle Brun [...] si Tamara de Lempicka se réfère à l'art du passé, ce serait plutôt à la sculpture antique, qu'elle découvrit lors d'un voyage en Italie dans les années 1926-27, notamment à l'Amazone blessée d'après Phidias [Musée Capitolino, Rome] qui se protège des coups en levant le bras droit, exactement comme le fait Suzy Solidor dans le portrait. Cette double affirmation de fragilité et de présence guerrière correspond bien au personnage de la chanteuse qui n'a pas peur de vivre ouvertement ce qu'elle est. Tamara théâtralise cette position sociale, tout en introduisant l'émotion dans les volumes et dans sa façon de découper l'espace. Rien de plus sensuel que ce buste à demi dénudé face à une femme qui aime le corps des femmes."
Rédigé par : Yves | 02 avril 2005 à 23:16
J'ai retrouvé sur Wikipedia un commentaire fort intéressant de Marie-Hélène Carbonel, la biographe de Suzy Solidor, dans une discussion autour de l'article consacré à Suzy. J'en retranscris ci-dessous un extrait :
Ce n'est pas Lili Marlène qui lui vaut ses déboires à l'épuration mais une autre chanson! "Au 31 du mois d'août", fort bien connue des Bretons... Son procès "ubuesque" ressemble plutôt à un règlement de compte de la profession (se reporter à la Biographie Suzy Solidor, une vie d'amours où le procès dans son intégralité occupe un chapitre entier). Suzy et son succès gênaient beaucoup. De plus elle était bisexuelle et cela "se portait" moins bien que l'homosexualité masculine... Cocteau le grand ami de Suzy, ne sera pas inquiété à la Libération: il était cependant un ami de longue date d'Arno Breker et de l'ambassadeur Abetz et avait, un temps, trouvé asile chez Violette Morris qui ne cachait pas ses options collaborationnistes...
Rédigé par : Webmestre de TdF | 22 septembre 2008 à 01:36
J'adore ce personnage, Suzy Solidor est pour moi la représentation juste de quelqu'un qui s'assume. Il faut évidemment laisser les évènements dans leur contexte, assumer sa différence dans la France du début du XXe siècle n'est pas chose aisée, d'ailleurs en regardant de près, ceci a-t-il réellement changé dans le fonds ? La forme certes permet à ceux qui s'aiment autrement de se montrer, mais l'arsenal législatif les séquestre encore dans leur différence. Evidemment il est juste que certains aspects puissent se discuter, mais ouvrons le débat, sans passion, avec raison tout simplement.
Suzy Solidor était aussi une femme magnifique, avec une personnalité riche et une voix envoûtante. J'aurai toujours le regret de n'avoir jamais pu saluer cette femme exceptionnelle.
CYDRAH est l'anagramme de mon patronyme, j'y ai associé une devise :
Accepter la différence de l'autre c'est comprendre pourquoi nous sommes nés.
Merci d'avoir publié cette documentation.
Rédigé par : CYDRAH | 30 octobre 2008 à 17:00
Il n'y a pas que Suzy Solidor comme enfant illégitime de Robert Marie Joseph Surcouf. Il y mon grand père Monsieur ROBERT PINSARD (1916-2008), fils de Marie PINSARD et de Robert Marie Joseph SURCOUF. Qui a longtemps cherché ses origines !!!
MERCI
Rédigé par : marie gwénaelle LE ROY | 20 juin 2010 à 09:49
...........participe à des émissions de Radio-Paris et à quelques galas de propagande.
Mais c'est surtout d'avoir chanté sur Radio-Paris, dans l'émission de Jean d'Agraives, Au 31 du mois d'août qui lui vaudra une interdiction de chant d'un an et, en 1946, un blâme du Comité national d'épuration, une humiliation.............
Justement cette interprétation on ne la trouve pas
Elle ne semble pas avoir été enregistrée dans aucun de ses disques.
On doit cependant, forcément, la trouver quelque part
pourriez-vous m'aider ?
Merci
Salutations
Daniel Guyonvarc'h
Rédigé par : Guyonvarc'h | 07 octobre 2013 à 22:04
Pour en savoir plus, je vous suggère de prendre contact avec Marie-Hélène Carbonel, par le biais des éditions Autres Temps.
Bien cordialement
YT
Rédigé par : Le webmestre de TdF | 08 octobre 2013 à 06:09