Albrecht Dürer
Autoportrait au chardon, 1493
Musée du Louvre, Paris
PORTRAIT DE JEUNE FILLE AU BONHEUR-DU JOUR
La jeune fille est là. Assise devant sa table de travail. Sérieuse. Le visage incliné sur sa feuille. Tout imprégné de concentration intérieure.
Elle l’observe à la dérobée.
Parfois elle se mord les lèvres dans un moment d’intense réflexion. Ou repousse d’un geste léger une mèche folle qui s’échappe de sa chevelure. Elle a de longs cheveux savamment coiffés. Mais étrangement aussi. Certaines mèches rebelles s’écartent du front et flottent à l’entour du visage.
Cela lui rappelle quelque chose ou quelqu’un. Plutôt quelqu’un, mais quelque chose aussi. Mais quoi ? Mais qui ? Elle ne sait plus. Cela ne lui revient pas.
Elle a noué une partie de ses cheveux en toupet au sommet de son crâne. Un toupet qui s’enroule autour d’une barrette ou d’un nœud. Invisible sous la masse imposante de sa chevelure. Le tout est agencé en un savant désordre.
Elle l’observe, de biais, debout en diagonale, le dos appuyé au mur. Elle admire l’ovale parfait de son visage. Ce nez si fin. Cette bouche sensuelle et fraîche qui mordille sans y penser le bout d’un crayon. Et ces yeux dont elle perçoit la forme mandorlée que souligne le dessin soyeux des sourcils.
Elle écrit. Sa main longue et fine hésite, comme la sienne. Sur les mots. D’autres mots sans doute. Elle a posé sa tête sur son coude et son menton a rejoint sa main. Elle rature, d’un geste lent. Elle pointe son index sur un mot dont le sens lui échappe. Cette lenteur ! Cette langueur !
Elle réfléchit.
Où a-t-elle croisé ce visage ? Ce minois au teint clair ? Ce toupet fourchu flanqué au sommet du crâne ? Jamais encore elle n’avait perçu à ce point qu’elle connaît tout cela. Qui lui vient d’un ailleurs dont elle ne parvient pas à identifier ni à cerner les contours.
Elle porte une écharpe rose fuchsia enroulée autour du cou.
Ce visage, d’où le tient-elle ?
Lentement remonte des méandres de sa mémoire une autre image qui vient peu à peu se superposer à celle vivante de la jeune fille réfléchissant. Cette image surgit d’une toile. Elle refait surface. Elle la voit. C’est un autoportrait. Un des tout premiers autoportraits de la Renaissance. Le premier du genre sans doute. C’est à cet autoportrait que l’ovale de ce visage de jeune fille la renvoie. Elle se rapproche d’elle pour l’observer de plus près. Pour la voir sous un autre angle.
Sa chevelure coule sur ses épaules en ondulations mordorées. Le toupet, savamment agencé, s’achève en piques folles qui échappent à l’ensemble. Elle se souvient de la couleur pervenche de ses yeux en mandorle. Qu’elle est jolie !
Elle sait maintenant. Elle a devant elle, sous ses yeux, un portrait vivant de Dürer. L’autoportrait au chardon. Réincarné sous les traits de la jeune fille au bonheur-du-jour.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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