Ph., G.AdC
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CLAUDE LOUIS-COMBET Source ■ Claude Louis-Combet sur Terres de femmes ▼ → Bethsabée à jamais → Celle par qui la ténèbre arrive (note de lecture d’AP) → Depuis le temps que la chair s’épure → Hiérophanie du sexe de la femme → [Il y avait la main] (extrait de Dichotomies) → Isula, insula → Mala Lucina → Noyau Central → Le Nu au transept (note de lecture d’AP) → Radeau de la première femme, III (extrait de Dérives) → Résurgences → Suzanne et les Croûtons (note de lecture d’AP) |
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" Il n'y a que le désert qui guérisse les désespoirs. Parce que le désert, c'est les espaces infinis, le silence des dunes, un ciel dans les nuits émaillé de milliers d'étoiles. Un environnement qui sans faute sauve les grands désespérés. Dans le désert, on pouvait pleurer sans crainte de faire déborder un fleuve."
Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Seuil, 1998, page 144.
Rédigé par : Marielle | 13 février 2005 à 13:40
Avec les mots de mon ami Joël VERNET :
"Le soleil s'en va mourir sous les pierres des ruines et, au loin, assise sur un rocher, j'aperçois une femme, le visage très beau d'une femme. Elle est celle qui vit au désert, mon amour depuis les premiers temps du monde. Je lui adresse un signe, qu'elle me retourne aussitôt de la main, dans le couchant du jour, debout dans ses haillons de sable et de vent. Je l'aime, je l'aime comme on peut aimer la terre, les très vieilles peintures des grottes de l'ouest de la France. Elle est venue là, dans ces ruines romaines, poussant son troupeau. Son fichu rouge brille sous le soleil. Bientôt elle rejoindra son campement et je ne la verrai plus. C'est pour elle que j'écris, pour toutes ces femmes dont j'ai aimé les silhouettes, qui m'ont donné leur vie dans ce passage si prompt. Pour leurs bêtes harassées, le silence des tentes, les mariages aux mauvaises manières, pour l'eau du puits absente. C'est pour tout cela que la route me dérobe mon propre chant. Il y a dans le couchant une merveille indicible, qui efface à jamais les tragédies des jours anciens. On ne vit plus que par le soleil, pour sa brûlure qui éclaire la nuit de toute vie. On est alors un peu un ange sur les routes. On s'arrête ici ou là. On dort n'importe où, où une main nous ouvre une porte, nous offre un toit. Notre coeur bat enfin à la mesure du monde. Pourtant, les paysages entrevus ne prennent aucune part dans cet élan du coeur. L'on aurait pu rester, le cul sur une chaise, dans une chambre du pays natal, à converser tout simplement avec les gens du voisinage. Mais il n'en fut rien. Notre vie a voulu aller frapper à l'horizon. Peine perdue. Néanmoins quelle joie ! L'air est frais sur nos tempes : cela nous suffit et nous contemplons le sillage des phrases qui ne nous attend plus. Aller, maintenant, tout droit vers le silence ? C'est une question que l'on jette dans ses propres flammes."
Joël VERNET, Visage de l'absent, L'Escampette Editions Récit, 2005, p. 44-45.
Rédigé par : M.P. | 13 février 2005 à 21:00
Et si l’on parlait aussi (par la voix du même Joël Vernet) d’un autre désert ? L’absence des Pères.
« On ne dira jamais assez le silence des Pères, l’absence sourde des pères, la dévastation produite par cette absence. L’étrange silence qui s’ensuit pendant des siècles. Leurs voix, pourtant, montent de dessous les pierres, de dessous l’oubli, du fond des fonds, des océans et des mers. Des plaines et des prairies. Montent et dévalent. Montent pour nous tous ; montent pour chacun. Et s’étiolent quand le terme nous échoit. Les morts nous parlent, sont parmi nous, c’est vérité. La nuit, ils sont des ombres dans nos rêves, des cauchemars dans la lumière que fait la nuit. Les morts veillent sur nos songes, sur nos mauvaises rêveries. Les morts sont comme des phares, sur la route au loin. De minuscules lueurs. »
Joël Vernet, François Augiéras, L’Aventurier radical, jeanmichelplace/poésie, 2004, page 5.
Rédigé par : Y | 13 février 2005 à 21:28
L'ECHO DES SABLES________________________
"Pour voir apparaître au loin un point
Pour qu'il se rapproche
Pour comprendre que c'est un homme
Un homme qui marche
Lentement avec détermination
Il faut être certain d'avoir envie de voir
Un point dans un paysage devenir un homme."
Cette parabole, Ali me l'a racontée, un soir sous la tente alors que le sirocco soufflait en faisant chanter les dunes, emplissant d'or les pans de laine de notre maison d'un soir. Dans son regard brûlant, toute l'exaltation des fils des sables crépitait aussi rageusement que sa voix devenue rauque à force de hurler de n'avoir jamais pu entendre son écho.
Il me parlait de son enfance dans le désert où rien jamais ne lui avait échappé. Rien de toutes ces choses si importantes qu'à la tombée du jour le crépuscule austral puisse révéler.
Souvent je pense à sa bien étrange histoire. Il me semble que son point dans le paysage a depuis lors gravé dans ma mémoire une curieuse trajectoire. Comment le désert si vaste, si semblable à lui-même, peut-il susciter chez ceux qui y languissent autant de réflexions ?
Aujourd'hui je le sais le désert d'Ali ressemble trop à la vie des vivants. Il a ses règles, ses normes, il ne faut pas les regarder à la légère.
Faire fondre un iceberg sur les dunes brûlées pour faire éclore des fleurs est aussi irréel que vouloir faire sourire un mulet, ou pleurer une pierre.
Amicizia
Guidu___________________
Rédigé par : Guidu | 13 février 2005 à 21:37
DESERT A L'ESSAI par Jean Grosjean
"Il s'est éloigné des villages. Vers le soir il a atteint le désert, il s'y est enfoncé. Il s'est livré au mutisme de l'espace. Il n'a guère dormi. Les constellations tournaient lentes. Puis toutes les veilleuses du ciel se sont éteintes dans la pâleur de l'aube.
Adossé à une pierre froide il a regardé naître la lumière. Il a senti monter une tiédeur, puis sourdement la fièvre. Ne pas manger.
La chaleur qui gagne. Les yeux offensés par l'éclat du jour. Il faut des creux d'ombre pour survivre, et changer de place suivant l'heure.
Jusqu'à ce que le soleil se fiche vibrant comme une flèche dans le zénith. L'azur blessé à mort. Le chaos du ciel prêt à tomber dans le puits d'en haut et l'âme dans l'inconscience.
Que d'instants à l'attache. Mais rien de changeant comme eux. Le scorpion sous la roche. Un souffle avec ses poids de poussière ou une lapidation de sable.
Et le soleil lassé de lui-même. Désarmée de rayons sa braise encore en suspens, puis tombée d'un coup.
Alors la nuit de nouveau avec sa froidure sous un ciel de pierreries tremblantes et le sillage des météorites.
L'insomnie jusqu'au petit matin, jusqu'à l'abîme d'un sommeil sans rêve et ne revenir à soi qu'au plein jour.
Devant moi l'étendue de l'avenir. Derrière moi infranchissables les parois du passé. Fermer les yeux. T'attendre.
Le silence. Ou presque. Ton pas est pourtant léger."
Jean Grosjean, Cantilènes, poème cité dans Anthologie de la poésie française du XX° siècle, nrf Poésie/Gallimard, p. 81-82.
Rédigé par : M.P. | 14 février 2005 à 08:53