Icônes de l’enfance (IX)
MAROUSSIA
De Maroussia, elle a gardé en mémoire l’image de ses longues tresses, couleur de blés mûrs. De son ample jupe en calicot rouge, bordée de croquet. De sa simplicité et de sa fraîcheur de paysanne russe*. De ce jeune moujik qui brûle d’amour pour elle. Et qu’elle attend. De l’orage qui les surprend dans la steppe. De la peur qui la fige. Du poignard que son fiancé tire du fourreau pour la défendre du soldat ennemi. Son rival, qui vient de surgir, qui sait d’où. De la lame qui étincelle sous les coups de la foudre. De Maroussia qui hurle de terreur et de désespoir à la vue de son fiancé foudroyé. Puis s’effondre, évanouie, aux pieds de son bien aimé.
Cent fois, elle a relu l’histoire de Maroussia. Mais elle ne sait pas tout à fait si l’image qu’elle a gardée d’elle est intacte. Longtemps la jeune fille aux cheveux d’or l’a laissée, comme elle, inconsolable. Elle lui inventait, pour la guérir de son chagrin, d’autres fiancés. Encore plus valeureux que celui qu’elle avait perdu de façon si cruelle. Elle a imprimé en elle le sceau de la traîtrise, celle des hommes et des orages.
Maroussia a aussi laissé dans son imaginaire et dans le corps, le goût des grands espaces inviolés. Le mystère des noms de ces pays sans limites dont elle parcourt, du bout du doigt, les tracés sur les cartes de son Atlas Géant. Elle l’accompagne dans ses rêves de voyages, bien au-delà des frontières du pays de Maroussia. De Moscou à Verskoïansk, de Vladivostok à Oulan Bator. Elle la conduit des confins de la Chine à la muraille de l’Himalaya, sur les traces de Gengis Khan. L’infatigable maître des steppes de l’Asie Centrale. Le terrible Loup Bleu. Qui rameute derrière lui des hordes échevelées de tatars et de mogols.
Maroussia s’est insinuée, à son insu, dans son univers d’enfant. Elle l’a guidée à travers le souffle épique des grands romans russes. Entraînée dans les batailles sanglantes et les flammes de Guerre et Paix. Les débâcles glacées de la Moskova. Ballottée dans les amours tumultueuses. D’Anna Karénine et de son amant, le beau et séduisant Vromski ! Que sa félonie amoureuse précipitera Anna dans le désespoir. Et le suicide !
Récemment encore, alors que les blés commençaient tout juste à ondoyer sous la brise de printemps, elle l’a croisée sur son chemin. Au détour d’un sentier de douaniers. Elle a laissé son nom, Maroussia, à une maison de Bretagne. Une maison modeste, sans doute, mais fraîche et candide. À l’image de son inspiratrice.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
* Note d'AP (à destination des puristes) : en réalité, Maroussia est ukrainienne, mais dans l'imaginaire d'un enfant, dont les connaissances en matière de géographie sont plus qu'incertaines, cela n'est pas pertinent. Cette note sur Maroussia n'est pas une note critique.
Source

Fac-similé de la première de couverture
de Maroussia dans l'édition Hetzel.
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Dans quel livre de Tolstoï le personnage de Maroussia apparait-il ? Peut-on le trouver en librairie ?
Merci de vos réponses
Rédigé par : Olivier | 22 février 2005 à 16:27
Maroussia est un ouvrage jeunesse de P.-J. (Pierre-Jules) Stahl, P.-J. Stahl étant le pseudonyme d’écrivain de Jules Hetzel (1814-1886), l’éditeur de Jules Verne. Il a été publié pour la première fois en 1878 chez Hetzel lui-même (dessins de Théophile Schuler). Une fois passé dans le domaine public, cet ouvrage a été souvent réédité, et notamment, dans les années quarante/cinquante, dans la collection Rouge et Or et dans la Bibliothèque verte de Hachette. Pour la rédaction de cet ouvrage, Jules Hetzel s’est inspiré d’une légende ukrainienne de Marko Wovzog. Il est quasi certain que Tolstoï, tant Léon qu'Alexis, devaient connaître cette légende. Je retrouve d'ailleurs à l'instant sur le Web ces propos d'Alexis Tolstoï : " Mon frère est arrivé d'Ukraine et en a apporté des motifs populaires enchanteurs. Ils m'ont ému. Aucun peuple ne s'est exprimé lui-même dans ses chants avec une telle beauté et une telle force que le peuple petit-russien. En les écoutant on comprend mieux le passé qu'en lisant Gogol."
En tout cas, pour ce qui me concerne, ce roman de Maroussia m’a effectivement tout droit conduite vers les grands romans russes, que j’ai lus… un peu plus tard.
Rédigé par : Angèle Paoli | 22 février 2005 à 17:52
Si émue de revoir la jaquette de Maroussia, là à l'instant, par hasard... un des rares livres qu'on m'ait offert dans l'enfance - mais ma gratitude est aujourd'hui encore immense -
Et ma mémoire enchaîne avec les Les Chevaux de feu, film de Paradjanov...
Merci Angèle, votre post de 2005 m'illumine ce soir.
Frederique
Rédigé par : frederique | 12 février 2009 à 18:01
Et voici Maroussia tellement aimée. Ce livre se trouvait dans la (petite) bibliothèque de l'école de Plufur que dirigeait ma mère... Oh ! Maroussia tant aimée. Pour moi aussi elle a été l'initiatrice de la lecture des romans russes, plus tard.
Oh! je reconnais la couverture de ce livre : les tresses blondes, etc.
Evidemment, j'étais "elle" !
Merci, car c'est un souvenir heureux...
Denise Le Dantec
Rédigé par : Denise Le Dantec | 12 février 2010 à 03:21
Oui, la Petite Maroussia, elle continue à nous faire rêver ! elle ressurgit d'une année l'autre et tisse ses liens mystères, en rouge et or !
Rédigé par : Angèle Paoli | 12 février 2010 à 12:48