LE GUÉ
« L’absence, une donnée constante de leur histoire … Un vide à franchir sans cesse par ces gués que sont les petits cailloux. »
En relisant pour elles à mi-voix cette phrase qui leur parle de leur absence, une image surgit de sa mémoire, immédiate, vive, auréolée de la lumière crue des montagnes. Elle se demande pourquoi cette image-là, précisément ! Il y en a tant d’autres possibles ! C’est le mot « gué » qui a suscité en elle aussitôt la résurgence de cette lumière. Elle revoit les sommets enneigés, leurs pics de schiste argentés qui grésillent sous le soleil. Les sentiers qui longent des escarpements hasardeux. Elle marche, attentive au moindre caillou. Elle s’arrête pour respirer le parfum d’un cyclamen sauvage, pour se rafraîchir à l’eau d’un torrent qui déboule en travers du chemin. Elle peine à le suivre, lui qui marche devant elle d’un pas rapide. Au passage, elle salue les vaches sereines, pareilles à celles de son enfance, celles qui rentraient le soir de l’alpage, de leur pas nonchalant. Elle reconnaît le tintement régulier de leurs sonnailles. C’est un monde qu’elle aime, qui n’est pourtant pas le sien. Ce jour-là justement, c’est au Lac des Vaches qu’ils montent. La pente est rude, la chaleur dense. Elle a soif. Elle voudrait bien boire un grand verre de lait, frais et mousseux, encore tiède du pis d’où il a été tiré. La dernière montée est rude. Au détour d’une courbe, enfin, elle découvre, éblouie, le spectacle grandiose du Lac des Vaches. Un lac gris argent, comme la roche qui l’enserre. Un miroir d’eau et de ciels mêlés. Paisible, immobile. Que traverse d’une rive à l’autre un gué de pierres plates qui trace ses pointillés. Au ras de l’herbe, au ras de l’eau. Et dessine dans le paysage un sentier qui va en s’étrécissant, là-bas, de l’autre côté du lac.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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