Ph, G.AdC
FEUX DE JARDINS
Elle revoit les jours de grands retours de vacances. De valises abandonnées dans le couloir. La maison noyée d’ombre, les fenêtres que chacun s’empresse d’ouvrir tout grand pour accueillir la lumière. Le bonheur de retrouver l’univers familier de la maison, du jardin, après plus de deux très longs mois d’abandon. Elle fait coulisser les portes de la véranda, hume l’odeur de septembre. Une odeur particulière, de rumeurs de tramway, de feuilles tombées dans les caniveaux. De poussière de la ville grillée par l’été. Odeur de feuilles de platane roussies et « dessiquées », amoncelées au pied de l’arbre. Il va falloir ratisser. Elle le fait. Elle aime bien le crissement du râteau sur le gravier. Maman dit qu’il faut d’abord arroser pour éviter de soulever trop de poussière. Elle aime bien arroser aussi. La sonorité drue de l’eau qui remplit le vieil arrosoir. Elle asperge les feuilles, avec solennité. Mais à peine, sinon le feu ne prendra pas. Le feu, ce n’est pas elle qui va s’en charger. Elle est bien trop jeune et c’est trop dangereux. Non, c’est le voisin du haut qui va venir, dès que les tas seront prêts. Le voisin, c’est un vieux monsieur, un peu insipide, mais sa fille, elle, c’est autre chose ! Elle se met en culotte et en soutien-gorge sur le balcon. Elle se fiche pas mal de leurs rires à eux et de leurs commentaires à peine grivois. Tout de même, elle n’est pas gênée !
Son père descend. Il a mis sa salopette de jardinier, son « bleu », qu’elle ne connaît qu’à lui ! Ah, non, justement ! Il y a aussi le monsieur du Petit Remorqueur, celui de la Collection « Un petit livre d’or » qui en a une comme celle-là ! Il porte aussi un nœud papillon. Comme c’est étrange ! Ce nœud papillon et cette salopette de travail !
L’homme à la salopette les fait s’éloigner un peu, ils sont trop près. Ça y est ! Le feu a pris et les flammes montent. Denses, serrées. Elles lèchent même les feuilles qui sont encore accrochées à l’arbre. Pourvu qu’il ne prenne pas feu lui aussi. Danse des flammes autour du tronc. Le puzzle étrange de l’écorce. Les ocelles du platane ! Ça crépite. Ça fume. Ça pique les yeux. Odeur de feuilles brûlées, jusque dans les vêtements et les cheveux. De cendres et de flammèches qui retombent sur le gravier en voletant. De l’amas de feuilles, il ne reste presque rien. Un tas noirci.
Il faut terminer le travail, remplir le seau à charbon en prenant soin de ne pas éparpiller la cendre. Elle ratisse à nouveau. Soudain, elle sent quelque chose de dur qui vient buter contre les dents de fer. Qu’est-ce que cela peut-être ? Elle a peur de se brûler. Mais curieuse, elle draine cette pierre dure qu’elle ramène à la surface. Elle pousse un cri d’effroi ! C’est sa tortue ! Zoé ! Qui gît calcinée à ses pieds !
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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et moi en lisant cela j'ai vu Gabriella à l'arrêt du bus Marcau à côté des platanes et Gabriella qui a lu le carnet d'Angèle s'est dit qu'elle ne pourrait jamais ratisser et faire brûler les feuilles des platanes qui tombaient pèle mèle, là à ses pieds, et, qui formaient un tapis d'or et Gabriella assise sur le banc en bois tout près des platanes de l'arrêt du bus, s'est dit que sous les feuilles se cachait peut-être une petite tortue et Gabriella a déposé le joli carnet d'Angèle Paoli sur le banc en bois, et, Gabriella s'est levée du banc et elle s'est approchée du tapis de feuilles dorées sur le trottoir de l'avenue de la république, et, elle s'est baissée et a soulevé les feuilles dorées des platanes et Gabriella s'est vite relevée et elle a couru vers Jean-Christophe Olive qui l'attendait en lisant lui aussi le carnet d'Angèle Paoli et, Gabriella a demandé à Jean-Christophe Olive de voir, là, sous les feuilles dorées, une jolie salamandre.
clem.
Rédigé par : clementine | 02 juillet 2005 à 01:38