Controsole. Plage du Crotoy. Janvier 2005. VILLA BELLE PLAGE Cinq étés de suite, à compter de juillet 1906, Colette séjourne au Crotoy dans la villa Belle Plage que loue son amie Missy : Sophie-Mathilde-Adèle de Morny, marquise de Belbeuf, fille du duc de Morny, demi-frère de Napoléon III. C'est avec Missy que Colette vit le plus clair de son temps de 1906 (année de sa séparation définitive d’avec Willy) à 1911 (année où elle devient propriétaire de la maison de Rozven [en Bretagne] que lui a offerte Missy, et se lie à Henry de Jouvenel qu’elle a rencontré en décembre 1910 au journal Le Matin, et qu’elle épousera en décembre 1912). C’est au Crotoy (1907-1908) qu’elle écrit plusieurs chapitres (« En baie de Somme », « Partie de pêche », dédiée à son ami Léon Hamel) et met au net le manuscrit des Vrilles de la vigne, qui paraissent en novembre 1908 sous la signature de Colette Willy dans La Vie parisienne. C’est aussi au Crotoy (1909) qu’elle commence à écrire La Vagabonde. Le 3 janvier 1907 a lieu la création (houleuse) au Moulin Rouge de Rêve d’Égypte (une pantomime de Georges Wague, Emile Vuillermoz et Willy) où jouent Colette et son amie Missy. Le 15 février 1907, Colette signe son premier vrai contrat d’auteur avec Alfred Vallette, directeur du Mercure de France pour La Retraite sentimentale (publication le 23 février). L’été 1907, Willy et sa maîtresse Meg (Marguerite Magniez, qu’il épousera en 1911) sont également installés au Crotoy, mais dans la villa voisine de celle de Missy. Angèle Paoli EN BAIE DE SOMME Ce doux pays, plat et blond, serait-il moins simple que je l’ai cru d’abord ? J’y découvre des mœurs bizarres : on y pêche en voiture, on y chasse en bateau […] Étrange, pour qui ignore que le gibier s’aventure au-dessus de la baie et la traverse, du Hourdel au Crotoy, du Crotoy à Saint-Valery ; étrange, pour qui n’a pas grimpé dans une de ces carrioles à larges roues, qui mènent les pêcheurs tout le long des vingt-cinq kilomètres de la plage, à la rencontre de la mer… […] le soleil peut se coucher tranquillement au-delà de la baie de Somme, désert humide et plat où la mer, en se retirant, a laissé des lacs oblongs, des flaques rondes, des canaux vermeils où baignent les rayons horizontaux… La dune est mauve, avec une rare chevelure d’herbe bleuâtre, des oasis de liserons délicats dont le vent déchire, dès leur éclosion, la jupe-parapluie veinée de rose… Les chardons de sable, en tôle azurée, se mêlent à l’arrête-bœuf, qui pique d’une épine si courte qu’on ne se méfie pas de lui. Flore pauvre et dure, qui ne se fane guère et brave le vent et la vague salée […] Pourtant, çà et là, verdit la criste-marine, grasse, juteuse, acidulée, chair vive et tendre de ces dunes pâles comme la neige… […] La baie de Somme, humide encore, mire sombrement un ciel égyptien, framboise, turquoise et cendre verte. La mer est partie si loin qu’elle ne reviendra peut-être plus jamais ? Si, elle reviendra, traîtresse et furtive comme je la connais ici. On ne pense jamais à elle. On lit sur le sable, on joue, on dort, face au ciel, jusqu’au moment où une langue froide, insinuée entre vos orteils, vous arrache un cri nerveux : la mer est là, toute plate, elle a couvert ses vingt kilomètres de plage avec une vitesse silencieuse de serpent. Avant qu’on l’ait prévue, elle a mouillé le livre, noirci la jupe blanche, noyé le jeu de croquet et le tennis. Cinq minutes encore, et là voilà qui bat le mur de la terrasse, d’un flac-flac doux et rapide, d’un mouvement soumis et content de chienne qui remue la queue… Un oiseau noir jaillit du couchant, flèche lancée par le soleil qui meurt. Il passe au dessus de ma tête avec un crissement de soie tendue et se change, contre l’est obscur, en goéland de neige… Colette, « En baie de Somme », « Partie de pêche », Les Vrilles de la vigne, Romans, récits, souvenirs (1900-1919), Robert Laffont, Collection « Bouquins », I, pp. 673-674. |
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Une précision pour ceux qui chercheraient l'emplacement de la villa Belle Plage où a séjourné Colette au Crotoy : cette villa n'existe plus aujourd'hui, mais se trouvait rue du Capitaine-Guy-Dath. Et, toujours à propos de la Baie de Somme (qui fait la "une" de Côté Ouest ce mois-ci), le célèbre poème "Oceano Nox" ("Oh ! combien de marins, combien de capitaines..."), daté de juillet 1836 , porte aussi la mention de Saint-Valery-sur-Somme. On sait aujourd'hui que ce poème ne date pas de 1836 et qu'il n'a pu être écrit à Saint-Valery-sur-Somme, que Hugo a bien parcouru, ainsi que Le Crotoy, mais en août/septembre 1837. Pourquoi Hugo a-t-il souhaité présenter ainsi ce poème ? Y a-t-il un Hugolien parmi vous qui pourrait nous répondre ?
Rédigé par : Y | 13 février 2005 à 22:32
Je prends connaissance ce jour du courrier personnel d'une aimable lectrice, "crotelloise d'adoption et passionnée d'histoire littéraire" qui m'informe que la maison de Colette "existe toujours", et que "l'entrée est toujours rue du Capitaine Guy-Dath et donne sur la digue promenade (face à la baie de Somme)" mais qu'elle est "aujourd'hui insérée entre deux immeubles." Quant à Oceano Nox et Saint-Valery-sur-Somme, cette même correspondante m'indique qu'il s'agirait de Saint-Valéry-en-Caux. Ces informations contredisent celles que fournit Jean Estienne (ancien directeur du service des Archives du département de la Somme) dans l'ouvrage Balade dans la Somme. Sur les pas des écrivains, publié en 2003 aux Editions Alexandrines. Débat à suivre.
Rédigé par : Angèle Paoli | 27 février 2005 à 19:41
Dans une communication au groupe Hugo (Université Paris VII) en date du 15 janvier 2005 « Marc Hovasse : La lettre à Louis Boulanger du 6 août 1835 », on peut lire : « En tout cas, c’est du même mois de juillet 1836 que l’on peut dater la naissance de la véritable inspiration maritime dans sa poésie, car les promenades en mer pendant la nuit, les églises visitées sur le littoral et enfin une tempête essuyée à Saint-Valéry-en-Caux aboutiront au célèbre « Oceano Nox » des Rayons et les ombres [39].[...]
Note 39 : C’est vraisemblablement à la suite d’une confusion que ce poème, bien daté de « Juillet 1836 », porte comme une épigraphe le lieu de « Saint-Valery-sur-Somme ».
Mon commentaire : Reste à savoir s’il s’agit d’une confusion due aux typographes (dont s’était peu avant plaint Victor Hugo), ou d’une confusion de Victor Hugo lui-même. Quant à la date de juillet 1836, elle est contestée par Jean Gaudon, celui qui a établi la Correspondance de Hugo.
Pour ce qui concerne Colette, ma source est bien Jean Estienne. Enquête à poursuivre effectivement. Il semblerait qu'il y ait un spécialiste de ces questions à Noyelles-sur-mer : Mr Jean Caron.
Rédigé par : Yves | 27 février 2005 à 20:14
Une photo de Colette, Missy et de trois de leurs amies au Crotoy en 1907.
Rédigé par : Yves | 22 juillet 2006 à 21:02
Je n'avais pas remarqué (ou avais oublié !) ce passage des Vrilles de la vigne lors de ma lecture, trop ancienne, on dirait. Colette donne ici tout son talent dans le vocabulaire riche et évocateur choisi pour décrire les couleurs et les textures avec le sens aigu de l'observation qui est le sien, et sans jamais se départir d'une forme d'humour pas toujours inoffensif.
A mon tour, je me permets de vous livrer un de mes extraits préférés des Vrilles de la vigne, ce texte que j'avais appris à l'école primaire et qui m'accompagne toujours depuis :
Jour Gris -1908
"J'appartiens à un pays que j'ai quitté. Tu ne peux empêcher qu'à cette heure, s'y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts. Rien ne peut empêcher qu'à cette heure l'herbe profonde y noie le pied des arbres d'un vert délicieux et apaisant, dont mon âme a soif... Viens, toi qui l'ignores, viens que je te dise tout bas : le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs, qu'un fruit mûrit on ne sait où, - là-bas, ici, tout près, - un fruit insaisissable qu'on aspire en ouvrant les narines. Tu jurerais, quand l'automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu'une pomme trop mûre vient de choir, et tu la cherches, et tu la flaires, ici, là-bas, tout près...
Et si tu passais en juin, entre les prairies fauchées, à l'heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais, à leur parfum s'ouvrir ton coeur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber ta tête, avec un muet soupir...
Et si tu arrivais un jour d'été dans mon pays, au fond d'un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais, et tu t'assoirais là, pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie.
Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s'étire et flotte un fil de brouillard, un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de brume couché sur l'air humide... Animé d'un lent mouvement d'onde, il se fond en lui-même et se fait tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de chimère... Si tu restes trop tard penché vers lui sur l'étroite vallée, à boire l'air glacé qui porte ce brouillard vivant comme une âme, un frisson te saisira, et toute la nuit tes songes seront fous...
Ecoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d'un rose brûlant, tu croirais gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie... Le chant bondissant des frelons fourrés de velours t'y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton coeur, jusqu'à la forêt, là-haut, où finit le monde...
Rédigé par : Pascale | 11 septembre 2006 à 12:22
Merci, Pascale, pour ce très bel extrait, en écho à celui que j'avais choisi en février 2005, au cours d'un séjour au Crotoy. Je suis admirative de ce que ta maîtresse te donnait à apprendre... à l'école primaire de jadis. Allons, pas de nostalgie! C'est trop facile!
Oui, les forêts de Saint-Sauveur, parfums, couleurs et mystères, ou les blondes dunes échevelées de la Baie de Somme, pour Colette, c'est tout un. Quel que soit le lieu que la belle décrit, c'est toujours la même saveur qu'il nous est donné de goûter ; le même talent qui déplie son éventail de sensualités. Inépuisable Colette, sans cesse à redécouvrir. Merci à toi.
Rédigé par : Angèle Paoli | 12 septembre 2006 à 17:55
Que je te rassure, un (long) extrait, seulement. Pas de nostalgie, non, mais des souvenirs chauds et sensuels....
Rédigé par : Pascale | 13 septembre 2006 à 11:07
Je viens de passer une semaine en Baie de Somme!!
Et quelques jours d'une douceur infinie au Crotoy, je n'ajouterai rien de plus à tout ce que j'ai lu, si ce n'est que j'ai trouvé là-bas beaucoup de paix, celle qui manquait à une réflexion qui s'imposait à moi.
Merci Cara Angele et à toi Yves, pour tous ces partages profonds et multiples.
Lisa
Rédigé par : lisa | 16 août 2007 à 14:06
Foulques de Jouvenel, membre du conseil d'administration de La Société des amis de Colette, vient d'informer Terres de femmes de la mise en ligne de leur site : www.amisdecolette.fr.
Rédigé par : Webmestre de TdF | 07 juillet 2008 à 18:28
Votre blog est tout simplement magnifique, je ne crois pas vous l'avoir dit déjà. Merci à vous Angèle
Rédigé par : Gérard | 17 juillet 2009 à 13:02
Bravo pour votre réalisation. Je vais cet été au Crotoy que je vais découvrir et en tant que passionnée des textes de Colette je ne manquerai pas d'y retrouver peut être un morceau de l'inspiration qu'elle y a eu.
Rédigé par : kikilafrite | 04 juillet 2011 à 13:53