(hommage à Hélène Cixous)
Cauchemar (2) : Sanaa
Elle est perdue dans Sanaa Elle erre dans le labyrinthe de la ville des sables Les ruelles à angles droits se coupent à l’identique Elle grimpe vers la citadelle C’est là qu’est le minaret C’est là qu’elle veut absolument se rendre Dans l’enceinte sacrée Elle sait que cela lui est interdit mais qu’importe au moins s’y sentira-t-elle protégée Elle croise en chemin deux femmes voilées qui lui disent qu’elle ne peut aller plus avant Que c’est un espace interdit aux femmes et encore plus aux étrangères Elle risque de se faire lyncher Elles sont gentilles Elles lui sourient Elles lui conseillent de sortir du quartier religieux et de se diriger vers l’extérieur Du reste c’est l’heure du couvre-feu Il faut qu’elle se dépêche si elle ne veut pas courir le risque de rester enfermée La nuit tombe vite Elle reprend sa course et tente de retrouver son chemin Elle débouche soudain au pied des remparts Les portes sont encore ouvertes Elle se rue vers l’extérieur et se heurte à un écran de soldats armés jusqu’aux dents Elle l’avait oublié c’est la guerre Les balles fusent de tous côtés Elle se couche sur le sol Une grenade roule dans sa direction Elle est perdue Elle ferme les yeux et attend la détonation La grenade s’est agrippée à son pantalon Rouge grenat C’est peut-être cette coïncidence absurde qui l’a arrêtée dans sa course Elle se redresse abasourdie Quelqu’un à côté d’elle lui dit de se dépêcher de rejoindre le groupe d’étrangers qui avance devant elle Ce sont des prisonniers Ils se traînent surveillés par les soldats en armes Ils l’accueillent dans leur groupe et lui parlent en espagnol ou en anglais Certains sont nus et décharnés Mais ils ont l’air de ne plus s’en rendre compte Une femme la prend par la main et lui donne des biscuits à grignoter Elle est grande et brune Elle a dû être très belle Elle la remercie et se tient auprès d’elle Elle n’a plus peur Le groupe s’arrête un instant au bord d’un précipice Une grenade explose un peu plus loin Elle reste seule au bord de la ravine Tout est désert Infiniment
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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Sanaa, Saana, je m'interroge. Guidu semble préférer Saana tout comme O.V. de L. Milosz qui évoque souvent la ville dans ses vers somptueux : "Saana du souvenir où s'évente aux soirs bleus la paresse des plantes".....ou encore "dans tes chers yeux, Saanas de langueur des musiques, Gardiens enchantés du trésor ébloui De la lune captive au sein des mers persiques J'ai vu brûler l'amour de la nuit pour la nuit".... Sanaa, Saana, sortilèges....
Rédigé par : Florence Trocmé | 16 février 2005 à 19:47
"Les temples sont déserts, les flambeaux sont éteints,
L’écho n’a plus de voix pour les strophes antiques;
Des cieux la voûte basse étouffe les cantiques
Et la mer elle-même est veuve des lointains.
Ô jours las d’être jours, ô soirs vieux d’être soirs !
Hymne de fin d’été des vagues assagies !"
Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz, "Chant de fin d'été", Chants du crépuscule, 1906.
Rédigé par : Y | 17 février 2005 à 02:55
Exacte ! J’écris, je décris SAANA ainsi !
Rêve mégalomane d’Architectecte démiurge ?
Peut être!
Je dois dire que le style de Angèle est aussi efficace que des rafales de mitraillettes …
C’est pas le poids des mots c’est le choc des …
Au fait Florence comment connaissez-vous l'existence de ce texte ?
SAANA __________________________
La cité que j'écris la voilà qui s'étire. Elle me semble déserte et recouverte de monuments funéraires, sortes de catacombes aux plafonds effondrés.
Je la trace dans un carré traversé par deux voies perpendiculaires suivant les médianes de ma figure géométrique. L'axe primordial de la ville suit la ligne imaginaire autour de laquelle pivote la voûte céleste, reliant ainsi le nord au sud. Le point de convergence entre les deux lignes : le pivot et l'autre axe est-ouest déterminent le lieu exact du centre de la ville.
Une fois installé en cet endroit, je scrute le ciel pour définir l'orient d'où le soleil se lève. Dans le lointain sur l'horizon, l'astre resplendit, j'y inscris la porte principale, celle par où la lumière le matin pénètre. A égale distance de cette porte, sur les trois autres côtés de mon carré parfait, je figure les autres portes, elles marquent dans l'espace les points cardinaux qui délimitent à peine les frontières du lieu de ma relation.
Puisque de cette place forte je suis le fondateur, je me pare d'une toge drapée à la mode antique, et je consulte l'oracle, pour m'assurer par des signes visibles que rien ne s'oppose à la fondation d'une cité idéale dans ce lieu arbitraire.
Maintenant, ma charrue au soc de bronze, tirée par des taureaux blancs grave un sillon tout autour de la ville, cette cicatrice en carré dans le sous-sol fonde les marques indélébiles de mes remparts. Aux emplacements prévus pour les portes, je soulève le soc, afin de bien distinguer l'endroit des divers passages.
Une fois revenu à mon point d'origine, le levant, ma cité virtuellement est inscrite en terre. Puis au point de rencontre des deux voies principales, je creuse une fosse circulaire, cette demi-sphère est la réplique exacte de la voûte du ciel.
Amicizia
Guidu _____________________
Rédigé par : Guidu | 17 février 2005 à 15:40
Ce que Guidu écrit là à propos de Saana/Sanaa (je maintiens personnellement la graphie toponymique Sanaa, dont les deux « a » répétés en finale se prolongent dans un écho ouvert sur l’infini du nom) rejoint les préoccupations et activités primordiales de tout architecte.
En découvrant le texte de Guidu, je revois mentalement un autre texte très envoûtant de Mircea Eliade. Le Mythe de l’éternel retour. Dans lequel l’historien décrit les rituels cosmiques auxquels s’adonnaient les grands constructeurs de l’Antiquité. Je me souviens du révolutionnaire Hippodamos, à qui l’on doit le célèbre « damier » de la ville de Milet. Tout en lisant les analyses de l’historien, je l’imaginais, ce fascinant Hippodamos, s’adonnant à de savants calculs sur fonds de ciels étoilés, arpentant les territoires de la ville prochaine avec équerres et cordeaux. Fixant les limites et les formes de la cité future. Sa géométrie implacable. Exact miroir de l’espace. C’est à la lecture d’Eliade que j’ai compris ce que l’on entendait en mathématiques par « géométrie dans l’espace ». Jusqu’alors, pour moi, un mystère et un cauchemar ! Ce fut un éblouissement ! Dans le même temps, mon esprit rebelle se refusait à cette obsession de vouloir à tout prix tracer des lignes droites, des rues à angles droits, des croisements rectilignes. Se révoltait contre ce désir absolu de vouloir à tout prix faire rentrer la nature dans le rang. La redresser, elle qui est avide de courbes et de sentes tortueuses. Beaucoup plus propices, à mon sens, à la rêverie et à la poésie. Les étoiles, qui portent pourtant des noms pleins de mystères et de poésie, sont-elles alignées selon des angles précis ? N’y a-t-il ni courbes ni ondulations dans le ciel étoilé de juillet ? Comment concilier cet appel vertigineux à la rigueur angulaire (celle que l’on retrouve aussi dans les architectures complexes du dessinateur François Schuiten) et la folie baroque, toute de contorsions et de volutes lyriques ? Je comprends absolument l’extraordinaire jubilation que l’homme peut éprouver à réaliser pareils ouvrages. Répondant à de cabalistiques équations. Et tout en étant attirée par ce qui m’est totalement étranger, j’aspire à ce qui est son exact contraire.
Je me souviens aussi, que, dans le même ouvrage, Mircea Eliade étendait sa réflexion aux constructeurs de cathédrales. Expliquant que toutes les cathédrales d’Europe, construites à partir de calculs célestes, selon un axe tenant compte de la position de Jérusalem, dessinaient, reliées entre elles, une étoile. La construction des cathédrales répondait à une mystique savante, dont seuls quelques grands spécialistes, comme l’alchimiste Fulcanelli par exemple, possèderaient les clés. La cathédrale d’Amiens fait partie de ces ouvrages majeurs dont les mystères restent en partie insondés. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que là où je ne voyais qu’angles droits, obtenus par le tracé rigoureux des fils à plomb des maîtres maçons, il y avait en fait des lignes obliques. La cathédrale échappe ainsi depuis ses origines à la ligne droite. Et accuse un air penché, invisible au premier coup d’œil.
Autre mystère, très impressionnant celui-là : le jour du solstice d’été, le 24 juin, jour de la saint Jean-Baptiste à huit heures du matin, les rayons du soleil (si soleil il y a !) filtrés par la grande rosace, traversent l’immense nef selon une diagonale parfaite et viennent éclairer, dans la travée gauche, à l’arrière du chœur, le chef tranché de saint Jean-Baptiste, sculpté dans la vaste frise qui narre son histoire.
Rédigé par : Angèle Paoli | 28 février 2005 à 14:35