Fayard/Leo Scheer, 2004.
TOUT EST DANS LE RÊVE
Mais que s’est-il donc passé le 25 mars ? C’est l’une des nombreuses questions qui guident la lecture de ce roman. Le 25 mars, c’est le jour de la Visitation, le jour où l’Ange Gabriel rend visite à Marie. Jour béni de promesse de vie et de résurrection. C’est le jour de l’Annonciation. Mais c’est aussi (oh, surprise !) le jour où Abel périt sous les coups de Caïn, son frère. Dies irae dies illa. Jour de colère et de désespoir. L’humanité est marquée pour toujours par le sceau noir de la jalousie. Éternel dialogue entre la vie et la mort. Les deux volets du diptyque sont là pour l’essentiel. Oui, mais quoi d’autre encore ? Le 25 mars, c’est aussi le jour anniversaire de la rencontre rituelle de la Confrérie de Sainte-Ursule. Ah ! Et où ? À Venise !
C’est là, à Venise, non loin de l’église San Giovanni e Paolo, que se retrouvent les membres d’une curieuse congrégation en quête du neuvième cycle de la réincarnation. Une secte alors ? Peut-être. Versée, en tout cas, dans les théories du Suédois Swedenborg. Théories que s’applique à mettre en pratique cette assemblée mystique. Parmi les hommes encapuchonnés, qui s’autoconvoquent selon un rituel étrange : le peintre Balthus. Et son ami très cher, Maurice, père de Léa, qui confie à sa fille, quelque temps avant de mourir: « Tout est dans Le Rêve de Balthus ». Petite phrase qui martèle de son mystère les songes de l’amnésique Léa. Mais il y a aussi Andrea, père désespéré après la disparition d’Angie, soudainement « envolée » sans laisser de trace, du côté du Rialto. Et Gianni, Michel, Attilio et les autres…
Justement, le 25 mars 1958, un an après que le peintre eut réalisé Le Rêve, la médiumnique Léa révèle que « la jeune fille à la rose » peinte par Balthus n’est autre qu’Angie. Mais cette révélation en amène d’autres et ensemble ils découvrent l’étrange similitude entre Angie, la jeune fille « ailée » de Balthus, et le Persée de Gustave Moreau. Tandis que Léa, elle, s’incarne dans la jeune fille endormie (Andromède). Elle est Léa, la jeune fille « au rêve ». L’année suivante, le 25 mars 1959, Léa révèle, à travers le rêve de ce jour-là, l’existence d’un tableau d’Ingres où la même Angie « apparaissait à une jeune fille endormie ». Puis surgit, chez chacun des collectionneurs, une toile de Fragonard, de Watteau, de Vermeer, de Caravage, de Titien. Au travers des siècles, le sujet du tableau est toujours le même : l’Annonciation… et ses divers avatars.
Au hasard des métamorphoses change toutefois l’objet tendu par Angie à la dormeuse qu’elle survole et frôle de son souffle. Rose jaune, croix d’or, lance, pomme, compas, livre, violon, miroir. Et enfin une plume, annoncée, comme les autres attributs de l’ange, dans le Livre des Rêves. Un livre d’heures, livre prophétique « daté de 1509 ». Et possession de Maurice. Mais manque la plume... et la toile dans laquelle elle apparaît. Une toile du Quattrocento, composée de plusieurs volets. Le Songe de Sainte Ursule, cinquième volet du cycle de la jeune martyre, a disparu. En même temps que son créateur. Le neuvième peintre, Vittore Carpaccio évidemment… sans lequel la quête d’immortalité ne peut aboutir.
Un voyage énigmatique que Le Rêve de Balthus, qui conduit le lecteur, ce rêveur éveillé, jusqu’aux confins de l’inconscient. L’inconscient de Léa qui est aussi sans doute celui, complexe, de son double, Nathalie Rheims. Et de l’univers qui est le sien. Davantage poétique qu’ésotérique…
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
EXTRAIT
« La boucle était bouclée. Le songe d’Ursule rejoignait l’annonce faite à Marie. Le rêve de Balthus se fondait dans celui de Carpaccio. Le Cycle de la confrérie se refermait sur un temps circulaire, s’ouvrant sur l’éternel retour. L’évidence était là, sous les yeux de tous, cachée dans le tableau depuis neuf ans, mais personne ne l’avait vue, car la main de Léa restait crispée autour du médaillon.
Il fallait voir ce qui était peint : l’invisible. Et cela, sans un miracle, personne ne le pouvait.»
(page 98).
■ Voir/écouter aussi ▼ → (dans la Galerie Visages de femmes de Terres de femmes) le Portrait de Nathalie Rheims → (sur Terres de femmes) 15 février 1961/Balthus, directeur de la Villa Médicis à Rome |
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