Dacia Maraini
Image, G.AdC
Edition italienne (éd. Rizzoli)
La lunga vita di Marianna Ucrìa (La Vie silencieuse de Marianna Ucrìa) de Dacia Maraini est pour grande partie inspiré de la vie d’une aïeule de la romancière. Rédigé à la troisième personne, ce roman retrace, à la manière des grands maîtres véristes (Giovanni Verga, Federico De Roberto, ...), l’épopée d’une grande famille palermitaine. Une de ces familles nobiliaires dont les fastes contiennent en germe, bien à l’abri dans la conque enclose des rituels, les prémices mêmes de leur décadence.
Dès le titre, le lecteur sait qu’il est en présence d’un roman de formation. Qui s’ouvre sur la prime enfance de l’héroïne, Marianna, à peine âgée de six/sept ans. Et se clôt, non point sur sa mort, mais sur sa volonté inassouvie, intacte malgré son grand âge, de continuer d’interroger le silence. Une vie exceptionnellement longue que la sienne. Féconde en découvertes et en aventures bouleversantes.
Mais l’histoire de Marianna est plus qu’une histoire ; c’est un destin. Et, dans ce contexte si particulier de la Sicile du XVIIIe siècle, c’est un destin inévitablement tragique. Celui d’une fillette adorablement malicieuse qui grandit parmi la couvée des frères et sœurs, dans l’immense villa de Bagheria, havre de villégiature de l’aristocratie palermitaine. De son père, « il signor padre », elle admire la noblesse, la prestance ducale, les talents de cavalier, l’ensorcelante séduction. De la « signora madre », sa mère, qui passe le plus clair de ses journées paresseusement alanguie dans ses fauteuils, les genoux encombrés de ses chiens d’agrément, elle écoute inlassablement, la tête enfouie dans les amples soieries de son giron, les récits enfiévrés de chimères, de celles qui ornent tentures et décorations de la villa. Elle écoute, tout en fixant son regard sur les lèvres gourmandes de la belle parleuse, et elle se dit que jamais, jamais, elle ne deviendra comme elle. Et c’est vrai, il n’y aura bientôt plus rien de commun entre ces deux vies, pourtant issues du même sang. Mais le lecteur devra attendre et prendre patience, tout comme Marianna. Avant de découvrir avec elle le drame qui est le sien et de lui voir vivre, dès lors qu’elle aura compris, les passions qu’elle a choisi d’affronter. Au mépris des convenances de sa caste et des siens. D’épouse, de mère, de femme, elle deviendra une amante paria désavouée, bientôt bannie. Mais aussi une pionnière, ouvrant la voie à tant d’autres femmes, éprises comme elle de liberté, de vérité. Et de bonheur.
Une vie vraiment peu ordinaire que celle de cette héroïne solaire, marquée pourtant dès l’origine par le désastre et condamnée au silence. Au cours des premiers chapitres en effet, Marianna assiste à l’exécution en place publique d’un jeune garçon de son âge. Voilà l’enfant confrontée à une violence qu’elle ne comprend pas et qu’elle n’oubliera jamais. Avec elle, le lecteur s’interroge sur les raisons - longtemps maintenues obscures - qui poussent le « signor padre » à infliger à son étrange petit garde du corps ce spectacle terrifiant. Le lecteur comprend peu à peu que cette enfant, très observatrice, a une manière tout à elle de traduire ses émotions. Jamais le moindre son articulé ne sort de sa bouche. En dépit de tous les efforts auxquels elle se livre pour mouvoir ses lèvres et les contraindre à produire des mots. Elle est muette. Elle est aussi sourde. Ce handicap, c’est à sa famille qu’elle le doit. Mais le prix à payer n’est pas encore suffisamment lourd. Marianna est donc sacrifiée une nouvelle fois, à l’âge de quatorze ans. Contrainte à prendre époux : un mariage sordide et répugnant. Auquel le père tant aimé ne parvient pas à la soustraire. La vie continue. Le temps passe. Les drames s’enchâssent les uns dans les autres. Jusqu’à ce que Marianna comprenne et déchire une fois pour toutes l’épais rideau du silence qui la tenait emmurée vive. Il faudra des années - et encore des années - avant que Marianna soit réhabilitée et que soit enfin rendue à son intégrité l’héroïne sans voix.
Avec ce roman (dont je n’ai lu que l’édition italienne de Rizzoli), Dacia Maraini, déjà reconnue et célébrée dans l’Italie tout entière pour la singularité de son œuvre, a incontestablement trouvé sa place parmi les plus grands noms de la littérature italienne contemporaine, dans la noble lignée de Verga, d’Elsa Morante ou de Tomasi de Lampedusa...
Dacia Maraini, La Vie silencieuse de Marianna Ucrìa, Robert Laffont, 1997.
Angèle Paoli
D.R. Texte angelepaoli
Bonsoir,
Je viens de terminer La Vie silencieuse de Marianna Ucria et je vais sous peu en parler dans mon Monde A Lire, j'ajouterai sans doute l'url de votre blog sur la page, si vous me le permettez bien entendu.
J'ai bien aimé la manière dont l'auteur amène le changement en route, en germe dans les pensées de Marianna que le silence a ouverte aux idées nouvelles.
Je découvre cette auteure que je ne connaissais pas...
Belle soirée livresque ;o)
Rédigé par : Régine - Un Monde A LIre | 14 février 2007 à 20:01
Bonsoir, Régine et bienvenue sur Terres de Femmes. Je suis heureuse de vous avoir permis la découverte de ce très beau roman, le plus inspiré, à mon sens, de Dacia Maraini.
Rédigé par : Angèle Paoli | 14 février 2007 à 22:55