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01 janvier 2005

Isula, Insula

Isola_nellisola
Image, G.AdC

« Sans autre savoir étymologique que mon désir du sens des mots que j’aime, et rêvant sur leur charge de secret comme s’y prendrait l’amant, contemplant en l’épelant la forme de l’aimée, jusqu’à ce qu’elle révèle la nature singulière de l’âme qu’elle tient close et celée, je lis dans l’insula du latin comme dans l’isola de l’italien [isula en corse], la racine de solitude qui a disparu de l’île du français. Et je tiens absolument à lire dans solitude, la conjonction, à l’infini, du soleil et de la terre, selon toute l’ambivalence du radical sol, le soleil, mais aussi le sol sur lequel nous marchons et que nous cultivons- radical qui est le même que solus, le seul, esseulé, solitaire, isolé, sola, au féminin, qui appelle, même s’il n’existe pas, pour dire l’île, le mot in-sola, l’intériorité ou territoire intérieur de celle qui est seule, en sorte que la voie est ouverte pour que l’île devienne, au féminin, la métaphore de la solitude. Je dirai que l’île figure la solitude même de la féminité -la solitude, chez l’homme, de l’anima, qui est sa part d’être-femme. Et je n’oublie pas, non plus, le neutre solum, celui de notre socle terrestre, de notre assise tellurique, mais aussi de la fécondité naturelle -et l’on parle alors d’un sol pauvre, d’un sol ingrat, ou d’un sol riche, gras et fertile. Enfin ce solum de la solidité, me ramène en mémoire la conjugaison du verbe soleo, solere, qui signifie avoir l’habitude de, ce qui fait que solitum désigne ce qui est habituel. Et si je rapproche cet adjectif-participe de solitudo, solitude mais aussi délaissement, abandon, privation j’entends que cette terminologie négative et douloureuse évoque réellement, en son fond étymologique, le lot commun de l’humanité : ce qui est habituel, c’est d’être en état de manque et d’être abandonné -comme si l’humain n’était humain qu’en vertu de l’inhumaine déréliction qui préside à son destin, d’avoir été rejeté et par le Soleil-Dieu (Sol) et par la Terre-Mère (Solum) en sorte que la solitude (solus) désormais n’a d’âme, au féminin, qu’insulaire (insula), écartée de tout, tranchée au vif de ses racines, expulsée de la béatitude de l’inconscience prénatale. »

Claude Louis-Combet, D’île et de mémoire, José Corti, 2004,
pp. 7-10.

Voir aussi Celle par qui la ténèbre arrive et Mala Lucina
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Rédigé par angèlepaoli le 01 janvier 2005 à 18:48 dans La langue ardente (le terroir des mots) | Lien permanent

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