Je le vois s'éloigner à nouveau.
Ph, G.AdC
Elle rêve souvent de son père Il lui rend visite De temps à autre Il quitte digne et droit le monde du silence De ses longues jambes il arpente les corridors humides et sombres Il se dirige à l’aveugle dans l’obscur labyrinthe Un léger sourire illumine ses lèvres Son regard tremble à l’approche de l’arcade du jour La lumière trop vive éblouit ses yeux nyctalopes Instinctivement il porte en visière la main à son front Il fronce les sourcils émet un soupir souffle Elle le reconnaît bien là à cette manière si particulière qu’il a de souffler Il considère pensif et soucieux le monde qui n’est plus le sien Aujourd’hui dimanche il remonte vers la maison Il porte son chandail bleu roi sa chemise de percale douce Rayée blanche et bleue Celle qu’il porte sur sa dernière photo Elle le sait Depuis toujours elle rêve en couleur Elle voit ce bleu si particulier de sa chemise et de son chandail Il entre discret au salon Ils sont là qui l’attendent Il est lointain et présent à la fois Intangible Son corps se dérobe Impalpable À toute caresse Il se dissout dès que les mains de ses enfants se posent sur lui Puis lentement il se reconstitue Sa voix À peine audible Un filet de voix Elle fond entre ses lèvres Il parle Bas Comme pour lui seul Il évoque des noms Des noms de jadis Il est là Léger Parmi eux Nébuleux Un éther Il respire il souffle il écoute Le temps passe La lumière déjà s’estompe Il faut rentrer Le monde des âmes l’attend Là-bas Dans les entrailles lointaines de la terre Il se sépare des siens Sans souffrance Il reviendra Dans quelque temps
Elle ne se résout pas à le voir s’éloigner à nouveau Elle sent son cœur qui se serre Elle veut le toucher encore Porter sa main sur sa nuque Caresser ses cheveux Une dernière fois Comme elle le faisait enfant Lorsqu’il la prenait sur ses genoux Lui chantonnait à l’oreille des mots qui la faisaient rire Elle Blottie contre lui Jouait Du bout des doigts Avec l’épi dru de ses cheveux tournoyant sur sa nuque Comme un soleil de Van Gogh Elle suit de son index les lignes courbes de ce labyrinthe Le seul dans lequel elle ne se soit jamais perdue Elle voudrait le retenir encore Par la manche Mais non Il est l’heure Elle le prend par la main Elle la petite Elle marche à ses côtés Ensemble ils commencent la descente vers le lieu solitaire C’est là qu’elle doit l’abandonner Les corridors se referment sur leur passage L’air se fait rare Une buée dense remplace peu à peu la lumière Ils sont arrivés
Sa chambre noire est là.
Ph, G.AdC
Sa chambre noire est là Solitaire Celle où il passe des jours sans fin Il se détache d’elle Doucement Elle lui fait un dernier signe Il ébauche un pâle sourire Le sien est triste aussi Mais elle le lui rend Il sait qu’elle reviendra le chercher Bientôt Elle regagne en courant le peu de jour qui tarde encore Elle mord son poing pour résister aux larmes qui montent en elle Aux sanglots qui l’étouffent Elle emporte avec elle la pâle trace de son sourire Le sourire de son père Éphémère rempart de sa révolte
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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« attendu que la mort
est ce silex hostile
cette loi de détresse
ce trou hurlant mais – oui
aussi ce fond de nuit
où s’exhausse ma vie
ce grand mur d’inconnu
où naître a son appel
[…]
je dis fondé l’éclair
éclairant l’air froissé
de vos lèvres disant
l’inconnu de l’élan
d’amour l’insaisissable
sens qui jamais déjà
n’est donné mais viendra »
Florence Pazzottu, « les attendus », L’Inadéquat (le lancer crée le dé), Flammarion, 2005, pp. 17 et 33.
Rédigé par : Yves | 26 janvier 2005 à 20:25
Tu le regardes bien plus loin que
dans sa mort prochaine
Tu l'enveloppes de limbes où
s'embastillent des images
Il te regarde en s'éloignant
à reculons dans la pensée
Il ne te quitte plus des yeux
Il ne veut pas que tu deviennes
"la femme en noir" qui guette
en tremblant ,la haute fugue.
Il aime ton sourire et un peu moins
tes larmes
"La mort viendra et elle aura tes yeux"
dit le poète...
Vifs moments de la grande déchirure visuelle,
émotionnelle, charnelle...Oui, tout cela tu savais... tu savais...
M.P. © Janvier 2005.
Rédigé par : M.P. | 27 janvier 2005 à 11:07
« Il n’est que temps de remonter au soleil,
Le feu de son alcool purifie l’air
On le boit à longs traits pour oublier celle
Revenue la nuit déchirer le coeur
Dire adieu de sa main enfantine,
Une chandelle parfois tenue en l’air
Qu’elle souffle comme à regret
Mais sans s’attarder davantage
Ni qu’on la voie disparaître.
C’est elle encore souriant debout
Parmi les asters et les roses
Dans la pleine lumière de sa grâce
Fière comme elle fut toujours
Elle ne se fait voir qu’en rêve
Trop belle pour endormir la douleur
Avec tant de faux retours
Qui attestent son absence… »
Louis-René des Forêts, Poèmes à Samuel Wood, Fata Morgana,1988, pp.11-12.
Rédigé par : Angèle Paoli | 28 janvier 2005 à 13:14
TON PAYS
Je recueille ton silence
comme les bulles du brochet qui passe
entre les racines des saules,
comme le mutisme de la forêt
qui se reforme après la promenade
devant la tanière des sangliers.
C'est ton pays, où Sisley mourut pauvre
en ayant ajouté de la lumière aux feuilles,
du ciel aux rivières.
Tu as rejoint l'énigme de tes pères
et les sentant monter en moi,
je cherche des mots qui éclairent le temps,
des mots que nos enfants puissent interroger
quand il m'aura fermé la bouche à mon tour.
à mon père
Jean-Pierre Lemaire, "Simple Mortel", L'Intérieur du monde,
Cheyne/Manier-Mellinette/éditeur, 2002, p. 11.
Rédigé par : M.P. | 28 janvier 2005 à 17:25