CAUCHEMAR (I)
Les cauchemars reviennent parfois à l’identique Ou avec des éléments précis qu'elle identifie tout aussitôt Que son sommeil lui transmet comme pour la prévenir de ce qui l’attend Le cauchemar du talus par exemple sur lequel elle se tient en aplomb au-dessus des vagues Le passage est étroit L’équilibre difficile à tenir La terre se dérobe sous ses pas Le sentier s'étrécit dangereusement Elle tourne la tête vers la droite Lentement Il n’y a que ronces et buissons inextricables Il lui faut avancer Péniblement Elle n’a pas le choix Elle tente de se faire menue De s’étrécir encore Surtout ne pas déborder du talus Risquer de glisser Elle évalue du regard les risques d’une chute éventuelle Quelle est la hauteur qui la sépare de l’eau ? De quelle largeur dispose-t-elle pour ne pas s’écraser en contrebas sur les rochers ? Sera-t-elle capable de maîtriser son corps sous l’emprise de la peur ? Elle avance Avec précaution Avec la peur pour compagne Peur du moindre geste imprévu qui pourrait lui être fatal Elle aperçoit un peu plus avant un minuscule pont de planches Il faut qu’elle arrive à le rejoindre Pas de précipitation Pas de hâte surtout Il ne lui reste que très peu de chemin à parcourir Elle y est presque Elle lance son pied en avant Elle le pose sur la première planche venue Ça craque et ça plie sous son poids Elle finit par atteindre sans encombre l’autre bord Cette fois encore elle s’en sort de justesse Elle aperçoit une cabane de branchages sur le côté Elle pense qu’il s’agit de toilettes rustiques Elle est prise comme toujours d’un besoin irrépressible de vider ses boyaux Elle ouvre une porte qui grince Elle grimpe pour atteindre le siège Tout est pourri et désolé Sans confort aucun Tout est de guingois Instable Va-t-elle devoir se retenir ? Impossible Son ventre se tord Elle a tout juste le temps d’écarter une araignée qui gigote des pattes sous son nez et la nargue Pendue au bout de son fil.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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Ton mauvais rêve du talus me fait penser à un texte de Winnicott qui s'intitule "La crainte de l'effondrement"...
"Je soutiens", dit-il, "que ce que la crainte clinique de l'effondrement est "la crainte d'un effondrement qui a déjà été éprouvé". C'est la crainte de l'angoisse disséquante qui fut, à l'origine responsable de l'organisation défensive... il y a des moments où un patient a besoin qu'on lui dise que l'effondrement, dont la crainte détruit sa vie, a déjà eu lieu. C'est un fait qu'il importe lointainement caché dans l'inconscient. L'inconscient ici n'est pas exactement l'inconscient refoulé de la névrose. Ce n'est pas non plus l'inconscient que Freud décrit en même temps que le rôle du fonctionnement pour ainsi dire neurophysiologique de la psyché. Ni l’inconscient de Jung : ces choses et autres qui se passent sous terre et dans les grottes, ou (en changeant de vocabulaire) le monde de la mythologie, où règne une complicité absolue entre l’individu et les réalités psychiques internes de la mère. Non : dans ce contexte singulier inconscient veut dire que le moi est incapable d’intégrer quelque chose, de l’enclore. Le moi est trop immature pour rassembler l’ensemble des phénomènes dans l’aire de l’omnipotence personnelle.
Ici, il faut se demander pourquoi le patient continue d’être tourmenté par ce qui appartient au passé. La réponse doit être que l’épreuve initiale de l’angoisse disséquante primitive ne peut se mettre au passé
si le moi n’a pu d’abord la recueillir dans l’expérience temporelle de son propre présent, et pour le contrôle omnipotent actuel (qui prend la fonction de soutien du moi auxiliaire de la mère [L’analyste].
AUTREMENT DIT, le patient doit continuer de chercher le détail du passé qui n’a « pas encore été éprouvé ». Il le cherche dans le futur, telle est l’allure que prend sa quête.
Sauf si le thérapeute peut travailler avec succès parce que pour lui ce détail est déjà un fait, le patient doit continuer de craindre de trouver ce qu’il cherche compulsivement dans le futur. »
D.W. Winnicott, Explorations conceptuelles, La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, nrf, Editions Gallimard, 2001, p. 209-210.
Rédigé par : M.P. | 21 janvier 2005 à 22:05
La sagesse (...) est non pas de cheminer dans le juste milieu comme sur un sentier produit par l'effondrement de deux montagnes mais, plus exactement de marcher sur un chemin de crête, flanqué d'un abîme de chaque côté.
Paul Ricoeur, Innocente culpabilité de Marie de Solemne, Éditions Dervy, 1998, page 27
Paul Ricoeur, dont je ne saurais que vous conseiller "Parcours de la Reconnaissance", un essai empli de sagesse et de lucidité autour de trois variations du terme "reconnaissance": identifier, assumer et être redevable/remercier.
Rédigé par : Marielle | 22 janvier 2005 à 00:03