Topique : Le lait
Icônes de l’enfance (VIII)
« Au goûter, du lait froid, sucré. Il y avait au fond du vieux bol blanc un défaut de faïence ; on ne savait si la cuiller, en tournant, touchait ce défaut ou une plaque du sucre mal fondu ou mal lavé. »
Roland Barthes, « Pause : anamnèses », Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Éditions du Seuil, 1975, page 111.
Lait gouttelette fine qui jaillit sur le bout des doigts lorsqu’elle détache la figue mûre du figuier
Lait du sureau frais coupé qui tache sa robe d’enfant d’un jus vert tendre auréolé de mauve
Lait habilement trait du pis des vaches Qu’elle imagine doux et duveteux chaud tendre et soyeux Lait mystérieux recueilli dans les bidons de zinc blanc
Lait qui déborde et échappe en bouillonnant et crépitant sur le feu
Lait écume tiède qu’elle lape du bout de la langue Comme elle lisse le sel de ses lèvres quand elle s’enroule dans l’écume large de la vague
Lait bouilli Crème épaisse qu’elle roule sous sa langue
Lait idée du beurre baratté par une plantureuse crémière inconnue de ses contrées
Lait elle aime
Lait concentré qu’elle aime presser hors de son tube blanc Lait dont elle surveille les denses et lentes ondulations qui recouvrent peu à peu la poudre dorée du tonimalt
Lait dont elle aime mélanger la coulée fraîche à la poudre brune Pâte nouvelle qu’elle déguste en fermant les yeux Lisse Sucrée Onctueuse
Lait qu’elle aime aspirer à même le tube En penchant la tête en arrière
Lait tiré dru aux mamelles gonflées des chèvres et des brebis Lait dont elle aime l’odeur âpre et envahissante
Lait fromage frais dont elle aime la chair souple et tremblante sur le torchon crème
Lait du grumeleux fromage blanc Riz au lait grenu au goût de vanille ou de citron Tremblé moelleux du brocciu et du fiadone doré
Lait que lui remet le berger hirsute et sombre à l’épaisse chemise à carreaux imprégnée d’une forte odeur mélange de suint de lait sûr de laine rude mêlée de sueur
Lait Elle aime
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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Lait elle aime...
Que de sensibilité dans ce texte. Beaucoup de nostalgie également. Et puis tant de fragilité alliée à la force. Quelques failles de l'âme qui apparaissent avant de disparaître, évocation du mystère à travers des mots simples. Mélange subtil de la légèreté de l'enfance à la sensualité du monde adulte. Dilemme? Passages incessants, ai-je envie de dire. Comme une personne qui naviguerait sur un fil tendu au-dessus d'un gouffre.
Cela me fait songer à une phrase de la biographie de Virginia Woolf ("V.W.") rédigée par Agnès Desarthe et Geneviève Brisac (Editions de l'Olivier, 2004): "La plupart d'entre nous marchent bien au milieu, évitant d'arpenter cet espace frontière où se déroulent tant de choses intéressantes, mais où l'on risque d'être terrassé par le vertige. Virginia Woolf prend le risque. Le funambulisme devient un art. Jusqu'au jour où tout bascule. Parce que, pour marcher droit, pour garder l'équilibre quand on avance sur un fil, il faut fixer les yeux sur l'horizon, regarder loin devant." (page 271)
Rédigé par : Marielle | 17 janvier 2005 à 18:42
hmm.. pourtant, moi je n'aime pas le lait
Rédigé par : sans moi | 19 janvier 2005 à 14:25
Avec La Chambre claire, un très beau livre (que je n'ai plus hélas)...
a.
Rédigé par : alfred | 29 avril 2007 à 12:43