Le 30 janvier 1959, création au Théâtre Antoine de la pièce Les Possédés, d’après le roman de Fédor Dostoïevski (roman réintitulé par la suite Les Démons), dans une adaptation théâtrale et une mise en scène d’Albert Camus. Décors et costumes de Mayo. La pièce a tenu l’affiche du Théâtre Antoine jusqu’en juillet 1959, puis a bénéficié d’une tournée en banlieue (notamment à Suresnes au mois de septembre) et en province. Source
Albert Camus au théâtre Antoine au cours d’une répétition des Possédés (20 avril 1959) Crédits Ph. : Fallot, Daniel/INA Source DEUXIÈME TABLEAU (extrait) Le salon de Varvara Stavroguine. Varvara Stavroguine et Prascovie Drozdov sont en scène. VARVARA Écoute. J’ai pensé à toi. Lâche ta broderie et viens t’asseoir près de moi. (Dacha vient près d’elle.) Veux-tu te marier ? (Dacha la regarde.) Attends, tais-toi. Je pense à quelqu’un de plus âgé que toi. Mais tu es raisonnable. D’ailleurs, c’est encore un bel homme. Il s’agit de Stépan Trophimovitch qui a été ton professeur et que tu as toujours estimé. Eh bien ? (Dacha la regarde encore.) Je sais, il est léger, il pleurniche, il pense trop à lui. Mais il a des qualités que tu apprécieras d’autant plus que je te le demande. Il mérite d’être aimé parce qu’il est sans défense. Comprends-tu cela ? (Dacha fait un geste affirmatif. Éclatant.) J’en étais sûre, j’étais sûre de toi. Quant à lui, il t’aimera parce qu’il le doit, il le doit ! Il faut qu’il t’adore ! Écoute, Dacha, il t’obéira. Tu l’y forceras à moins d’être une imbécile. Mais ne le pousse jamais à bout, c’est la première règle de la vie conjugale. Ah ! Dacha, il n’y a pas de plus grand bonheur que de se sacrifier. D’ailleurs tu me feras un grand plaisir et c’est là l’important. Mais je ne te force nullement. C’est à toi de décider. Parle. DACHA, (lentement). S’il le faut absolument, je le ferai. VARVARA Absolument ? À quoi fais-tu allusion ? (Dacha se tait et baisse la tête.) Tu viens de dire une sottise. Je vais te marier, c’est vrai, mais ce n’est point par nécessité, tu entends. L’idée m’en est venue, voilà tout. Il n’y a rien à cacher, n’est-ce pas ? DACHA Non. Je ferai comme vous voudrez. VARVARA Donc, tu consens. Alors, venons-en aux détails. Aussitôt après la cérémonie, je te verserai quinze mille roubles. Sur ces quinze mille, tu en donneras huit mille à Stépan Trophimovitch. Permets-lui de recevoir ses amis une fois par semaine. S’ils venaient plus souvent, mets-les à la porte. D’ailleurs, je serai là. DACHA Est-ce que Stépan Trophimovitch vous a dit quelque chose à ce sujet ? VARVARA Non, il ne m’a rien dit. Mais il va parler. (Elle se lève d’un mouvement brusque et jette son châle noir sur ses épaules. Dacha ne cesse de la regarder.) Tu es une ingrate ! Qu’imagines-tu ? Crois-tu que je vais te compromettre ? Mais il viendra lui-même te supplier, humblement, à genoux ! Il va mourir de bonheur, voilà comment cela se fera ! Entre Stépan Trophimovitch. Albert Camus, Les Possédés (d'après Dostoïevski), in Théâtre, Récits, Nouvelles, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1962, pp. 944, 947-848. |
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