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26 décembre 2004

Poupées de porcelaine, poupées de cire, poupées de son...

Icônes de l’enfance (III)




Poupes_brises
Poupées brisées
Ph., G.AdC




« DES ÉCUREUILS À DEMI-ENTERRÉS »

    « J’ai à raconter la violence d’écrire. Je veux écrire ce que je ne peux pas écrire. Le livre m’aide. Le livre m’égare, m’éconduit. Il veut écrire, lui. Il veut que je l’écrive, lui, moi je veux écrire le livre que je poursuis de mes rêves. L’écrirai-je jamais ? »

Hélène Cixous, L’Amour du loup et autres remords, éditions Galilée, 2003, page 109.




POUPÉES DE PORCELAINE, POUPÉES DE CIRE, POUPÉES DE SON…


    Démembrées décapitées énucléées Défaites dénudées démises de leur être Désemparées d’inexistence

Dé substantialisées Poupées Vêtements épars feutrine des chaussures délavée chaussures éculées culottes dentelées de terre robes jupons flétris déboutonnés agrafes violentées
Trous grattés dans la terre déshéritée du jardin creusés griffes ongles entamés doigts englués de motte noire émiettée cailloux éparpillés rejetés délestés Poupées démantelées éparpillées Chéries mais démembrées

Tête étrange tronc décomposé défait équilatère bombé troué vidé corps dévissé déguenillé

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Poupées
éparpillées écartelées ensevelies dur lit de terre tombale remblayée lissée terre assoiffée arrosée apaisée Jupes troussées culotte baissée plissée sur la rondeur des cuisses jambes écartées jets puissants d’urine chaude Eaux de ton corps minuscule Poupées arrosées de tes eaux insondables Surgies comme intarissables sources de tes infinies profondeurs Terres gluantes de tes urines chaudes odorantes aimées Ondine insoupçonnée plaisirs inavoués innommés

immuables toi enfant d’Isis à ton insu Poupées abandonnées à leurs cavités sombres Tu pleures de ces eaux qui coulent sur tes joues Deuil de ton bien perdu désamorcé enseveli noyé démantelé éparpillé désintégré mouillé arrosé bercé du chant de tes urines chaudes Poupées




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    Combien de temps te faudra-t-il attendre encore le temps que passe le temps que te revienne en mémoire le souvenir de cette blondeur défaite de ces regards d’agate mauve de ces cils doux léchés d’amour le temps de remonter le temps de ta capricieuse mémoire Le temps que ton corps se souvienne du corps aimé de ta poupée Cajolée bercée puis dépecée que le désir ne te prenne de te mettre en recherche d’exhumer le corps de tes poupées Corps mutilés par cet amour déchirant qui t’habite éléments épars ressurgis du berceau de la terre Noircis par l’insanie d’écoulements secrets Tu écailles les croûtes accumulées crottes de terre incrustées dans les interstices du corps gonflé de particules défuntes Tu souffles d’une haleine légère sur les cheveux collés d’humeurs profondes Tu retraces le temps et dans ce temps qui est tien Tu recrées ta poupée membre à membre Tu la rends à la vie Tes doigts experts agencent la délicate mécanique interne crochets et élastiques Tu redresses et articules Tu diriges les membres crucifiés Tu t’abreuves au regard d’agate tendre Tu recueilles l’eau de la fontaine Doucement tu la baignes réconfortée Tu l’étends dans cette eau pure Pour que se délasse son corps meurtri Tu la berces de caresses Tu lui parles la langue tienne Infinie d’insatiable tendresse.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli




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D.R. Ph. angèlepaoli



LOINTAINS DU JEU


    « Lointains du jeu ! La fructifiante alors se donnait encore
bienheureuse et plus inventive que dans la plus tardive descendance,
loin par delà les petits-enfants ― la nature non tourmentée !
Amie de la mort, car dans la métamorphose légère
elle croissait cent fois à travers elle… ô poupée,
figure très lointaine ― comme les étoiles s’édifient de la distance
en mondes, tu fais de l’enfant un astre.
Est-il pour l’espace cosmique trop petit : vous étendez
l’espace des sentiments entre vous, étonnés, l’espace accru.

Mais tout d’un coup voici qu’arrive… Quoi ? Quand ? Sans nom, rupture ―
Quoi ? ― La trahison…emplie de la moitié de l’existence.
La poupée ne veut plus, dénie, ne connaît plus.
Fixe, l’œil refusé, elle gît, ne sait pas ; elle n’est plus, même,
Chose ― ― vois comme les choses
Ont honte d’elle…. »

Rainer Maria Rilke, « Élégie inachevée », Élégies de Duino, Œuvres poétiques et théâtrales, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997, p. 573.





Voir aussi :
- (sur Terres de femmes)
Adonis/C'est l'heure de l'insomnie.


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