Ph., G.AdC
JE ME DISAIS DONC
Je me disais donc que le monde est dévoré par l’ennui. Naturellement, il faut un peu réfléchir pour se rendre compte, ça ne se saisit pas tout de suite. C’est une espèce de poussière. Vous allez et venez sans la voir, vous la respirez, vous la mangez, vous la buvez, et elle est si fine, si ténue qu’elle ne craque même pas sous la dent. Mais que vous vous arrêtiez une seconde, la voilà qui recouvre votre visage, vos mains. Vous devez vous agiter sans cesse pour secouer cette pluie de cendres. Alors, le monde s’agite beaucoup. On dira peut-être que le monde est depuis longtemps familiarisé avec l’ennui, que l’ennui est la véritable condition de l’homme. Possible que la semence en fût répandue partout et qu’elle germât çà et là, sur un terrain favorable ; mais je me demande si les hommes ont jamais connu cette contagion de l’ennui, cette lèpre ? Un désespoir avorté, une forme turpide du désespoir, qui est sans doute comme la fermentation d’un christianisme décomposé.
Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, Librairie Plon, 1936 ; Le Livre de Poche, 1959, page 6.
VERTIGE DE L’ENNUI
Elle est là, et pourtant pas là. Elle n’a rien fait de bon et elle n’arrive à rien. C’est un jour sans ! Tout ce qu’elle entreprend l’ennuie. Elle a dormi pour se désennuyer. Elle ne fait rien, elle cherche des trucs introuvables. Lui tourne en rond parce que son ordinateur est en panne. Elle n’arrive pas à se concentrer. Dès qu’elle entreprend quelque chose, elle est interrompue. Elle hait les dimanches ! Demain, elle sera débordée de travail ! Et c’est tant mieux ! Cela lui évitera de penser et lui donnera des alibis faciles. Ses photos de Paris sont médiocres. Plates, et pourtant elle était sûre qu’elles étaient inspirées. Elle s’est trompée. Hier soir, elle a fait visionner celles de son amie. Très belles, magnifiques même.
Elle a le « magone » qui rôde sans avoir en contrepartie l'humour décapant de Philip Roth. Plutôt la mélancolie de J.-B. Pontalis, dont elle a fini ce matin la lecture du Dormeur éveillé. Elle admire la simplicité de son style. Elle a commencé La Partition d’Alain Veinstein. Elle essaie d’écrire. Mais elle n’y parvient pas. Elle n’a pas d’inspiration, encore moins de talent ? Elle se pose la question du « à quoi bon »! Elle éprouve au plus profond d’elle le goût du néant. De l’inanité de toute chose. Quand elle sent que la prend ce vertige, sa tentation est grande de se laisser glisser et de s’abandonner à un suicide lent.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
|
Retour au répertoire du numéro de décembre 2004
Retour à l’ index des auteurs
Retour à l’index de la Catégorie Zibal-donna
"Elle essaie d'écrire..."
Vous décrivez tellement bien cet inconfort de la page blanche !
A propos de son génie, Victor Hugo a dit : "C'est 10% d'inspiration et 90% de transpiration !"
Vos poèmes sont de vrais trésors, Angèle Paoli !
Mme Claude MdeV
Rédigé par : Mauger de Varennes | 01 novembre 2006 à 23:05
"Elle se pose la question du « à quoi bon »!" N’est–ce pas souvent ainsi que naît la fiction, la fiction comme "inanité de toute chose." Oui !
Lisez chère Angèle :
Il ne parvenait pas à arrêter le temps. Comme un funambule il marchait sur un fil. Mais de ses cauchemars, c'était loin d'être la fin. S'il dérivait dans une vie sans lendemain plausible, c'était pour continuer de hurler encore ses oraisons. Ses pas dessinaient un monde vaste, il voulait le serrer fort entre ses bras pour lui donner sa vraie mesure, mais il savait que rien ne résistait à l'usure, et surtout pas sa vie, elle accusait déjà les signes de l'épuisement.
Sa fuite, course sans raison, éperdue, lui faisait côtoyer la détestation, accepter le vide, admettre de n'être rien. Il n'alla pas chez lui, l'horreur d'avoir à s'expliquer était insupportable. Et puis il lui fallait un prétexte pour n'avoir pas à poursuivre sa pénible mise en forme de la vie vaincue, d'une œuvre en dépit des jours.
Il avait définitivement abandonné son roman. Il n'avait rien à faire de sa vie, il la regardait passer. Il">http://sp3.fotologs.net/?u=dicinarca&i=2004/12/06/1102319340.jpg&c=f">Il pensait à elle. A l'amour, à eux. Leur tendresse réciproque l'aidait à enfouir le rien. Il l'aimait. Sa vie à elle n'avait rien de très exaltant, plutôt poignante même, mais l'espérance qu'elle lui donnait parfois ponctuait les chapitres désordonnés de sa chronique, et cela lui servait de preuves supplémentaires pour se persuader que seule l'imagination comblerait ses fêlures apparemment invisibles. Puis ses sentiments forcenés s'étaient changés en indifférence. Elle n'avait pu continuer à vivre avec ses incertitudes. Ce n'était pas de sa faute. Imperceptiblement ses désirs s'étaient démembrés et elle">http://sp8.fotologs.net/?u=dicinarca&i=2005/02/19/1108808882.jpg&c=f">elle l'avait laissé seul sur le bord du chemin, convaincue qu'une vie sans projet réel le transformerait peu à peu, lui solitaire de l'attitude, en vagabond du néant. Elle avait une grande intuition…
Amicizia
Guidu ___
Rédigé par : Guidu | 25 avril 2007 à 15:49
Où est son bien ? Elle le cherche et il la fuit. Sa nature même lui échappe. Elle s’agrippe aux bouquets d’euphorbes, au chant solitaire d’un oiseau qui appelle sa compagne lointaine. La route est calme, ce matin, déserte. Et les asphodèles presque fanées, déjà ! D’autres vies ont surgi pendant son absence, lézards furtifs et fleurs mauves dont elle ignore toujours le nom. Des sentiers ont été ouverts, des murets, mis à nu. Elle pense à E. et à C. L’échec de leur histoire d’amour la rend triste, affreusement triste. Cistes blancs, cistes mauves. Fleurs froissées. Éphémères et fragiles beautés. Trois cyclistes maillots abeilles zigzaguent dans le virage. Même chuintement de pédales. Régulier et rassurant. Toute cette beauté ! Pourquoi ne suffit-elle pas à la rendre heureuse ? Bruits d’élytres dans les taillis, petits crépitements insolites ! Elle s’arrête sous un chêne, à l’affût des rouges-queues et des chardonnerets. Il faut rester longtemps immobile. Voir voleter un oiseau d’une frondaison à l’autre n’est pas chose aisée. Toujours les mêmes trilles, les mêmes notes répétées à l’identique : tsui-tsui-tsui. De temps à autre, un autre cri, une autre voix, en surimpression sur le leitmotiv dominant. Plus loin encore, en contrebas, le cri perçant des mouettes ! R. Elle pense à R. Ses amours difficiles. Ses amours en déliquescence. La crise. La mort. Pourquoi ? Quelle réponse possible à la souffrance ? Soleil et beauté. Calme miroir des eaux. Des cyclistes, encore, même musique fine des roues lancées à pleine vitesse. Même silence dans l’effort. Les petits coquelicots rouge feu frissonnent, se défripent. Un bourdon tourne autour d’elle. Mille fleurs étoilent l’herbe du talus.
Quelle vie ? La sienne lui manque. Tout est autre. « Hanging Rock ». Désir intense de
grimper là-haut, tout là-haut, par-delà les nuages. Retrouver l’esprit du vent. Le maquis a doublé sa carène. Genêts en fleurs. Quelle autre vie possible ? Pour quel ailleurs ? Tenir la beauté à distance. La rêver, l’habiter dans les songes. Elle accélère le pas. Elle veut sentir à nouveau ses jambes. Les rendre au rythme de la marche. Sortir de cette déréliction. Respirer. Retrouver son souffle propre. L’odeur de la terre monte, étoffée par le parfum des fleurs nouvelles. Ne penser à rien de plus qu’à la caresse douce du soleil sur ta joue. Quel est ton désir ? Tu l’ignores. Quelle forme lui donner ? Tu ne sais plus. Tu ne sais le nommer et son visage se dilue dans l’espace et le vide. Sauras-tu un jour mettre tes pas dans une vie autre ? Est-ce toujours toi ? Es-tu autre ? Cette étrangeté t’étreint et te tire des sanglots. Sur cette petite route que tu aimes tant, le bonheur t’a fui.
Rédigé par : Angèle | 25 avril 2007 à 23:37
Solitude de Philomèle en son temps
Comme elle est grande la solitude du rossignol sous son modeste pennage roussâtre, il craint toujours les redoutables épines des roses, avec les chats grondants qui rentrent de leur escapade nocturne, l’odoriférant poil mouillé, museau et pattes tout griffés, les oreilles couvertes de petit duvet, les vibrisses de guingois. Toujours sur le qui-vive, frissonnant de rosée, le rossignol respire, dans l’humide paix inquiète de cette nuit d’été qui lourdement s’avance. Il gringotte de tout son corps, de toutes ses plumes, trilles et roulades, crescendo flûtés…
Le rossignol, frère matinal de la vive et carillonnante alouette, est l’ennemi juré du revêche et rébarbatif perroquet, ne s’interroge guère sur qui l’entend ; quelque part quelqu’un l’écoute, ― il le sait. Il chante ainsi dans la nuit sans fond jusqu’au crépuscule du matin, ardent sous la feuillée toute luisante de la pleine lune, ― obstiné, il module les sons avec tout son cœur, vers la dévorante étoile du matin qui brille, et cela malgré la transhumance bleue des nuages qui lessivent l’horizon encore obscur, malgré d’ultimes fulgurations.
Ah ! Comme il est vaillant en son chant, si pugnace, si endurant jusqu’à l’abandon à l’ivresse, il cherche la plus haute note, la plus belle mélodie, dans le tohu-bohu des rues et la cacophonie des jardins, où se mêlent les longs aboiements des chiens aux aigres cocoricos des coqs, des voix graves de femmes aux exhortations des hommes, entre fêtards ivres et matutinaux travailleurs qui se croisent dans l’ombre.
Puis, d’un arbuste d’amer romarin où il était niché, après un bref passage à découvert sur le menu gravier, le voilà qui s’élève au faîte d’un des chênes du boqueteau, sur la plus haute branche. Avec les premières lueurs de l’aurore qui approche, comme il gazouille, ― l’inextinguible !
Rien n’altère sa soif de chant. Rien ne le dérange.
Pas même le bruit des moteurs qui s’enfoncent dans le silence. Rien ne l’empêchera de dérouler les émouvantes et sublimes inflexions de sa légère ballade qui bouleverse le passant déjà levé aux yeux qui s’écarquillent. Comme l’amoureux solitaire, il chante pour sa rose à lui, et nul ne peut le contraindre, ― irréductible, donc !
Et, qu’importe si son chant primitif est au point du jour triste ou gai, il sait que le Prince dans cette nuit qui s’achève, tout embaumée d’un jasmin qui exhale à tue-tête sa fraîcheur fruitée des îles, le Prince, ― c’est lui !
D’autres oiseaux viendront prendre bientôt le relais, ce flambeau du chant, avec le soleil de l’aube qui maintenant apparaît en son cercle d’or. Une brise suave se lève et vient caresser l’écorce terrestre de cette partie de l’univers qui s’éclaire d’un jour frémissant. On perçoit les trois coups de la sirène sourde d’un ferry tout illuminé sortant du port.
Ainsi le rossignol s’assoupit, tête enfoncée dans son plumage, il peut enfin fermer les yeux, le silence lui appartient.
Rédigé par : Serge Venturini | 26 avril 2007 à 22:58
Caru Sergiu,
En écho à ta charmante élégie sur le rossignol, voici celle de Diderot. Un modèle du genre, que j'aurais bien aimé écrire.
http://netx.u-paris10.fr/mediadix/du/dusite2005/Picard/greuze.html>
La jeune Fille qui pleure son oiseau mort
« La jolie élégie ! le joli poëme ! la belle idylle que Gessner en feroit ! C'est la vignette d'un morceau de ce poète. Tableau délicieux ! le plus agréable et peut-être le plus intéressant du Salon. Elle est de face ; sa tête est appuyée sur sa main gauche : l'oiseau mort est posé sur le bord supérieur de la cage, la tête pendante, les ailes traînantes, les pattes en l'air. Comme elle est naturellement placée ! que sa tête est belle ! qu'elle est élégamment coiffée ! que son visage a d'expression ! Sa douleur est profonde ; elle est à son malheur, elle y est toute entière. Le joli catafalque que cette cage ! que cette guirlande de verdure qui serpente autour a de graces ! Ô la belle main! la belle main ! le beau bras! Voyez la vérité des détails de ces doigts, et ces fossettes, et cette mollesse, et cette teinte de rougeur dont la pression de la tête a coloré le bout de ces doigts délicats, et le charme de tout cela. On s'approcheroit de cette main pour la baiser, si on ne respectoit cette enfant et sa douleur. Tout enchante en elle, jusqu'à son ajustement. Ce mouchoir de cou est jeté d'une manière ! il est d'une souplesse et d'une légèreté ! Quand on aperçoit ce morceau, on dit : délicieux ! Si l'on s'y arrête, ou qu'on y revienne, on s'écrie : délicieux ! délicieux ! Bientôt on se surprend conversant avec cette enfant, et la consolant. Cela est si vrai, que voici ce que je me souviens de lui avoir dit à différentes reprises. Mais, petite, votre douleur est bien profonde, bien réfléchie ! Que signifie cet air rêveur et mélancolique ? Quoi ! pour un oiseau ! vous ne pleurez pas. vous êtes affligée, et la pensée accompagne votre affliction. Çà, petite, ouvrez-moi votre cœur parlez-moi vrai ;est-ce bien la mort de cet oiseau qui vous retire si fortement et si tristement en vous-même ?… Vous baissez les yeux ; vous ne me répondez pas. Vos pleurs sont prêts à couler. Je ne suis pas père; je ne suis ni indiscret, ni sévère... Eh bien ! je le conçois ; il vous aimoit, il vous le juroit, et le juroit depuis long-temps. Il souffroit tant : le moyen de voir souffrir ce qu'on aime ?.. Et laissez-moi continuer ; pourquoi me fermer la bouche de votre main ? Ce matin-là, par malheur votre mère étoit absente. Il vint ; vous étiez seule : il étoit si beau, si passionné, si tendre, si charmant ! il avoit tant d'amour dans les yeux ! tant de vérité dans les expressions ! il disoit de ces mots qui vont si droit à l'âme, et en les disant il étoit à vos genoux : cela se conçoit encore. Il tenoit une de vos mains ; de temps en temps vous y sentiez la chaleur de quelques larmes qui tomboient de ses yeux et qui couloient le long de vos bras. Votre mère ne revenoit toujours point. Ce n'est pas votre faute ; c'est la faute de votre mère... Mais voilà-t-il pas que vous pleurez... Mais ce que je vous en dis n'est pas pour vous faire pleurer. Et pourquoi pleurer ? Il vous a promis; il ne manquera à rien de ce qu'il vous a promis. Quand on a été assez heureux pour rencontrer un enfant charmant comme vous, pour s'y attacher, pour lui plaire ; c'est pour toute la vie... Et mon oiseau?… Vous souriez. (Ah ! mon ami, qu'elle étoit belle ! ah ! si vous l'aviez vu sourire et pleurer!) Je continuai. Eh bien ! votre oiseau ! Quand on s'oublie soi-même, sesouvient-on de son oiseau ? Lorsque l'heure du retour de votre mère approcha, celui que vous aimez s'en alla. Qu'il étoit heureux, content, transporté ! qu'il eut de peine à s'arracher d'auprès de vous !... Comme vous me regardez ! Je sais tout cela. Combien il se leva et se rassit de fois ! combien il vous dit, redit adieu sans s'en aller ! combien de fois il sortit et rentra ! Je viens de le voir chez son père : il est d'une gaîté charmante, d'une gaîté qu'ils partagent tous, sans pouvoir s'en défendre... Et ma mère ?… Votre mère ? à peine fut-il parti, qu'elle rentra : elle vous trouva rêveuse, comme vous l'étiez tout-à-l'heure. On l'est toujours comme cela. Votre mère vous parloit, et vous n'entendiez pas ce qu'elle vous disoit ; elle vous commandoit une chose, et vous en faisiez une autre. Quelques pleurs se présentoient au bord de vos paupières; ou vous les reteniez, ou vous détourniez la tête pour les essuyer furtivement. Vos distractions continues impatientèrent votre mère; elle vous gronda, et ce vous fut une occasion de pleurer sans contrainte et de soulager votre cœur... Continuerai-je ? Je crains que ce que je vais dire ne renouvelle votre peine. Vous le voulez ?… Eh bien ! votre bonne mère se reprocha de vous avoir contristée ; elle s'approcha de vous, elle vous prit les mains, elle vous baisa le front et les joues, et vous en pleurâtes bien davantage. Votre tête se pencha sur elle, et votre visage, que la rougeur commençoit à colorer, tenez, tout comme le voilà qui se colore, alla se cacher dans son sein. Combien cette mère vous dit de choses douces ! et combien ces choses douces vous faisoient de mal ! Cependant votre serin avoit beau chanter, vous avertir, vous appeler, battre des ailes, se plaindre de votre oubli ;vous ne le voyiez point, vous ne l'entendiez point : vous étiez à d'autres pensées. Son eau ni la graine, ne furent point renouvelées; et ce matin, l'oiseau n'étoit plus... Vous me regardez encore ; est-ce qu'il me reste encore quelque chose à dire ? Ah ! j'entends ; cet oiseau, c'est lui qui vous l'avoit donné : eh bien ! il en retrouvera un autre aussi beau... Ce n'est pas tout encore : vos yeux se fixent sur moi, et s'affligent ; qu'y a-t-il donc encore ? Parlez; je ne saurois vous deviner... Et si la mort de cet oiseau n'étoit que le présage ! que ferois-je ? que deviendrois-je ? S'il étoit ingrat... Quelle folie ! Ne craignez rien : cela ne sera pas, cela ne se peut... Mais, mon ami, ne riez-vous pas, vous, d'entendre un grave personnage s'amuser à consoler un enfant en peinture de la perte de son oiseau, de la perte de tout ce qu'il vous plaira ? Mais aussi voyez donc qu'elle est belle ! qu'elle est intéressante ! Je n'aime point à affliger ; malgré cela il ne me déplairoit pas trop d'être la cause de sa peine. Le sujet de ce petit poëme est si fin, que beaucoup de personnes ne l'ont pas entendu; ils ont cru que cette jeune fille ne pleuroit que son serin. Greuze a déjà peint une fois le même sujet; il a placé devant une glace fêlée une grande fille en satin blanc, pénétrée d'une profonde mélancolie. Ne pensez-vous pas qu'il y auroit autant de bêtise à attribuer les pleurs de la jeune fille de ce Salon à la perte d'un oiseau, que la mélancolie de la jeune fille du Salon précédent à son miroir cassé ? Cet enfant pleure autre chose, vous dis-je. D'abord, vous l'avez entendue, elle en convient ; et son affliction réfléchie le dit de reste. Cette douleur ! à son âge ! et pour un oiseau !... Mais quel âge a-t-elle donc ?… Que vous répondrai-je ; et quelle question m'avez-vous faite ? Sa tête est de quinze à seize ans, et son bras et sa main, de dix-huit à dix-neuf. C'est un défaut de cette composition qui devient d'autant plus sensible, que la tête étant appuyée contre la main, une des parties donne tout contre la mesure de l'autre. Placez la main autrement, et l'on ne s'apercevra plus qu'elle est un peu trop forte et trop caractérisée. C'est, mon ami, que la tête a été prise d'après un modèle, et la main d'après un autre. Du reste, elle est très-vraie, cette main, très-belle, très-parfaitement coloriée et dessinée. Si vous voulez passer à ce morceau cette tache légère, avec un ton de couleur un peu violâtre, c'est une chose très-belle. La tête est bien éclairée, de la couleur la plus agréable qu'on puisse donner à une blonde ; peut-être demanderoit-on qu'elle fît un peu plus le rond de bosse. Le mouchoir rayé est large, léger, du plus beau transparent ; le tout fortement touché, sans nuire aux finesses de détail. Ce peintre peut avoir fait aussi bien, mais pas mieux. Ce morceau est ovale; il a deux pieds de haut. […] »
Denis DIDEROT, Salon de 1765.
Rédigé par : Angèle Paoli | 28 avril 2007 à 16:46
A l'heure où j'écris des FULGURiANCES, à la recherche de la plus grande célérité d'écriture, je vois et j'entends à la lecture de cette peinture subtile de la main du grand encyclopédiste amateur de la Russie que nous ne vivons plus du tout dans la même durée.
Le temps est à l'observation lente de chaque mouvement, de chaque sentiment, de chaque émotion et avec quelle majesté d'analyse... Aujourd'hui, nous vivons d'éclats, d'étincelles, de sons et vibrations qui brûlent et au coeur des visions. Ce fameux rythme des mondes que l'on perçoit dans la poésie de Aleksander Blok.
Cara Anghjula, je vais te dire comment l'idée m'est venue d'écrire cette tendre élégie. J'étais adolescent encore quand je suis tombé un jour sur les Lettres de Rosa Luxemburg chez Tschann librairie.
Fin mai 1917, en prison à Wronke, elle écrit à Sonia Liebknecht. Elle lui parle de ce qu'elle voit et écoute autour d'elle, de sa fenêtre :
___________________________________
Puis à six heures, comme chaque jour, on m'enferma de nouveau. Je restai assise près de la fenêtre, toute triste, la tête lourde, car il faisait très chaud, et je regardai le ciel où, sous des nuages blancs qui se détachaient sur un fond bleu pastel, les hirondelles volaient avec gaîté très vite, à une hauteur vertigineuse, leurs ailes pointues semblaient couper l'air comme de petits ciseaux.
Mais le ciel ne tarda pas à s'assombrir, tout se tut, et un orage éclata suivi d'une forte averse et de deux coups de tonnerre assourdissants qui ébranlèrent tout. Suivit alors un spectacle que je n'oublierai jamais : l'orage s'était vite éloigné et le ciel devint tout gris, d'un gris épais et uniforme. Un crépuscule cotonneux, blême, spectral, s'était brusquement abattu sur la terre. On aurait dit qu'on avait suspendu partout d'épais voiles gris. La pluie monotone tombait très doucement sur les feuilles et, de temps à autre, un éclair d'un rouge pourpre illuminait un instant ce gris de plomb tandis qu'au loin le roulement du tonnerre se faisait entendre, pareil aux dernières vagues du ressac sur le rivage.
Et tout à coup, dans cette atmosphère spectrale, sur l'érable, devant ma fenêtre, éclata le chant du rossignol. Au milieu de cette pluie, des éclairs, du tonnerre on aurait dit le carillon d'une cloche argentine. Il chantait avec passion, comme s'il voulait couvrir le bruit du tonnerre et illuminer le crépuscule. Je n'ai jamais rien entendu de plus beau. Sur ce ciel alternativement plombé et pourpre son chant faisait penser à un scintillement d'argent. Tout cela était si mystérieux et d'une beauté si inconcevable qu'involontairement je redis le dernier vers du poème de Goethe :
" Ah que n'es-tu près de moi"...
Toujours vôtre
Rosa
__________________________________________
C'est avec le Rossignol de Keats, ce que j'ai lu de plus beau, au sujet de cet oiseau de paradis des jardins persans et avec Sayat-Nova.
Je t'embrasse donc.
Tsui-tsui-tsui-tsui...
Serge Venturini, dit "Boulboulik" !
Rédigé par : Serge Venturini | 28 avril 2007 à 22:07
Après un long et passionnant travail, Jean-Baptiste Giacomoni vient de terminer la traduction de l'élégie au rossignol en langue corse. Je vous la livre.
Ceux qui ne lisent pas en langue corse pourront la découvrir en langue française.
Amicizia a voi tutti
_________________________________________________________________________________________
CUM’ ELL’HÈ TAMANTA
A SULITUDINE DI U RUSIGNUOLU
A sulitudine di filumela in tempi soi
Hè tamanta a sulitudine di u rusignolu sott’a so mudesta impiumattura russiccia, ellu teme sempre e spine tremende di e rosule, cù i misgi miauloni vultendu di e so scappate fatte di notte tempu, u pelu crosciu puzzulente, musu è zampe sgrinfiate, l’arechje cuperte di lanicciu, i barbisgiuli di guacerpiu. Sempre sopr’à penseru, trimulente di guazza, u rusignolu rispira, nè l’umida pace inchieta di sta notte d’estate chì pisia s’avanza. Cantichjeghja di u so corpu sanu, di tutte e so piume, trilli è ricuccate, crescendo di cialambelle…
U rusignolu, fratellu matinale di a viva è tintinnulente terraghjola, è nimicu ghjuratu di u ritrosu è trugnutu pappagallu, ùn si dumanda micca qual’hè chì u sente, in qualchì locu qualchidunu u stà à sente, ― a sà. Canta cusì nu a notte senza fondu sin’à u fà di u ghjornu, ardente sott’à u frundame luccichiu di u chjar di luna, ― chjuccutu, intreccia soni cun tuttu u so core, versu a spampillente stella mai sazia di a matina ; malgradu a muta azurra di e nule chì liscivanu l’orizonte sempre scuru, malgradu l’ultime lampighjate.
Ô Cum’ell’hè curaggiosu in u so cantu, tantu pugnace, tantu resistente sin’à l’abandonu, à l’imbriachina, in cerca di a nota a più alta, di a più bella melodia, in u scumbugliu di i carrughji è a cacufunia di l’orte, induve s’imbuleghjanu l’abbaghji longhi di i cani cù l’aspri chichirichì di i galli, voce grave di donne cù l’esultazione di l’omi, trà bambuscioni imbriachi è matuttini travagliatori chì si crocianu ne l’ombra.
Poi, da una ceppa di rosumarinu amaru induv’ellu s’era annichjatu, dopu una corta passata à u scupertu sopr’à a gravetta minuta, ecculu chì si pesa sin’à a cima di i quarci di u buschettu, nant’à a branca a più alta. Cù i primi luciori di l’alba chì s’avvicina, cum’ellu chjuchjuleghja, ― l’isbramabile!
Nunda ùn attagna a so sete di u cantu. Nunda ùn lu disturba. Mancu u rimore di i mutori chì s’affondanu nu u silenziu.
Nunda ùn u impediscerà di sbucinà e cumuvente è sublime inflessione di a so ballata legera chì scunvoglie u passente digià arrittu ochjispalancatu. Cum’è l’innamuratu sulitariu, ellu canta per a so rosula, a soia, nisunu ùn u po custringhje, ― irriducibile, dunque !
È chì pò fà si u so cantu primitivu sia, à u spuntà di u ghjornu tristu o alegru, ellu sà chì u Principe di sta notte chì compie, tutta imbalsamata d’un ghjasminu chì musca quant’ellu po a frischezza fruttia di l’isule, u Principe,― ghjè ellu !
D’altri acelli veneranu prestu à piglià a seguita, issa fiamma di u cantu, incù u sole di l’alba chì avale sprichja in u so chjerchju d’oru. Una dolce ambata si pesa è vene accarizzà a cutena terrestra di ‘sta parte di l’universu chì si schjarisce d’un ghjornu trimulente. Si sentenu i trè frombi di a sirena d’un battellu tuttu alluminatu escendu da u portu.
Tandu u rusignolu s’alluppicheghja, u capu ficcatu nu e so piume, po infine chjode l’ochji, u silenziu hè u soiu.
Rédigé par : Serge Venturini | 14 novembre 2007 à 15:59