«
Quelqu’un frappe à sa vitre et lui fait signe de le suivre
elle réalise qu’elle est morte et s’en attriste »
Vénus Khoury-Ghata, Quelle est la nuit parmi les nuits, Mercure de France, 2004, page 101.
Ph, G.AdC
MORT POUR RIRE
Elle vient de mourir. Cela lui arrive régulièrement. Peut-être est-ce sa façon à elle de s’approprier ce moment-là et de l’apprivoiser.
Un cimetière anonyme. Le cercueil vient d’achever sa descente dans le trou caverneux. Bientôt la terre la recouvrira. Elle se prépare à accepter la nuit. C’est cela pour elle la mort. Cette ultime attente. Ce moment limite. Celui où elle va disparaître. Où elle va s’éloigner et prendre congé. De tous. Mais le couvercle du cercueil n’a pas encore été bouclé. Il est posé à même le sol. Elle, elle est en bas, sagement étendue, calme, immobile bien sûr. Le visage et le corps à ciel ouvert. Tous font cercle autour du trou, penchés au-dessus d’elle. De là où elle est, elle peut les observer. Eux aussi attendent, sérieux et solennels. Elle les regarde en contre-plongée. C’est plutôt inhabituel. Original. Elle se sent un peu privilégiée. Elle ne distingue personne en particulier mais plutôt une masse compacte, tout à la fois uniforme et informe, démesurément allongée. Absorbés dans la pensée de leur chagrin, ils ne voient pas qu’elle les regarde en clignant des yeux. Pas tant à cause du soleil (c’est bien d’elle de mourir en plein été !) que par désir de leur envoyer quelques signes, pour voir, comme ça, et de leur rire au nez. En réalité, ils ne voient rien de tout cela : ni son visage qui esquisse des moues minuscules, ni ses cheveux qui se rebiffent, ni sa poitrine qui se gonfle, ni ses doigts qui s’agitent pour se libérer des fourmis qui la gagnent, ni son ventre qui palpite sous les engoncements de son costume deux pièces. Ils sont aveugles à tous ces indices. Qu'ils ignorent. Et c’est tant mieux après tout ! En attendant, elle, elle vit encore. Et elle est seule à le savoir ! Dès qu’ils auront le dos tourné, elle se secouera. Elle se redressera, lèvera le couvercle, grattera la terre. Elle s’extirpera de ce trou en prenant appui sur les stries laissées par les pelles. Elle trouvera bien des encoches pour caler ses pieds. Elle se hissera à l’extérieur en donnant des coups de reins. Elle disparaîtra sans faire de bruit, en catimini, à l’insu de tous. Comme elle a toujours rêvé de le faire. Sans laisser de trace.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
" [...] poésie, si ce mot est dicible,
N’est-ce pas de savoir, là où l’étoile
Parut conduire mais pour rien sinon la mort
Aimer cette lumière encore ? Aimer ouvrir
L’amande de l’absence dans la parole."
Yves Bonnefoy, Ce qui fut sans lumière [1947], Paris, Gallimard, 1995, page 42.
Rédigé par : Yves | 20 décembre 2004 à 15:49