LES ARCANES SUBTILS D'UNE RELATION TRIANGULAIRE
Sous la conduite de Clémence, la narratrice de La Mort dans nos poumons (un court roman de Joëlle Gardes, rédigé à la première personne), le lecteur s’immisce dans les arcanes subtils d’une relation triangulaire. Celle qui prend corps autour d’un jeune couple, nouvellement marié, et dont Clémence semble être l’indispensable ressort. Pour que celui-ci trouve son équilibre et son épanouissement. Clémence est tout à l’opposé de Louise. Sur l’assurance exubérante de Louise se greffe la timidité maladive de Clémence qui, telle une orchidée ombrageuse que trop d’ombre fane, ne peut fugacement s’éclore qu’auprès de cette jeune femme, tout en volubilité et flamboyance, qu’est son amie d’enfance. Antoine, lui, dont on ne sait trop quel amour le lie à Louise, est l’amant passager de la triste, transparente et « interchangeable » Clémence. Qui se révolte contre des choix qu’elle ne parvient pas à assumer, et s’afflige avec toujours plus d'acuité d’une situation qui s’éternise. Sans pouvoir en espérer ni en imaginer le moindre infléchissement.
Jusqu’au jour où une visiteuse, la mort, toujours inattendue, fait sa brusque entrée dans le jardin, au cœur du trio, et chamboule l’ordre pourtant bien ficelé et rôdé des rôles. Mort lente qui s’installe sournoisement à domicile. Comme une quatrième partenaire. Il faut bien se résoudre à lui accorder la place qu’elle réclame. Bouleversé par la présence de cette intruse, le trio n’est plus le même: Antoine (qui, dès le début de ma lecture, a pris les traits de l’Antoine Doinel de François Truffaut) se tient à l’écart de Louise et s’épanche avec une frénésie picturale très égotiste sur son chevalet. Tandis que Louise s’éloigne à pas feutrés. Abandonnant au désarroi et à la solitude son amie. Non sans avoir veillé auparavant à lui donner, avec une douceur généreuse, l’autorisation de vivre pour elle-même. Ultimes paroles dont on espère qu’elles seront bienfaisantes et fondatrices pour Clémence. Apaisantes enfin.
Récit d’une grande et sobre tendresse que ce récit de Joëlle Gardes. Émouvant et riche d’une analyse fine et profonde des sentiments qui animent et lient ces deux femmes. Nourries l’une de l’autre. Grandies l’une par l’autre. Avec pour compagnes fatidiques… la souffrance, la maladie et la mort.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
EXTRAIT
« Antoine appelait quotidiennement. L’exposition était un succès. On lui prédisait un bel avenir. Il n’avait donc tant attendu de livrer ses toiles au public que pour mieux mûrir et s’affirmer. Il lisait les articles élogieux à Louise, il lui racontait les rencontres. Invariablement elle affirmait que tout allait bien et que le soleil et la mer étaient les meilleurs des remèdes. Chaque coup de fil la déchirait. Elle en était heureuse, mais cette évocation d’endroits où elle n’irait plus, ce futur où elle ne serait pas aux côtés d’Antoine la renvoyaient à la maladie. Elle s’étendait et fermait les yeux comme pour imaginer un ailleurs où Antoine menait maintenant une vie autonome.
« Comme c’est étrange, me dit-elle un soir, Antoine grandit au moment où je m’efface. Je ne crois pas au hasard et aux coïncidences. Sa peinture a éclos avec ma maladie. L’aurais-je étouffé depuis tant d’années ? » Et après un temps de silence, elle avait ajouté : « Et toi, t’ai-je aussi étouffée ? ». Je n’avais su que répondre.
Elle avait vu juste : je n’avais écrit que dans son sillage. Cette nuit-là, je dormis par lambeaux arrachés à la confusion et au chagrin. Je pleurais sur Louise, je pleurais sur moi qu’elle allait abandonner, je pleurais sur ma vie terne et sur mes peurs. La chaleur était suffocante, je ne supportais même pas le drap et je ne savais si la sueur qui trempait mon absurde chemise de nuit était due à la canicule ou à la fièvre. »
(page 80)
PUBLICATIONS ET TRAVAUX (hors travaux universitaires et parascolaires) de Joëlle GARDES :
Théâtre :
• Textes du spectacle musical Purcell, joué en octobre 1995 au théâtre municipal d’Aix-en-Provence.
• Une pièce, Attente, jouée en avril 1996 à Marseille.
• Un monologue, Eddie B., programmé au théâtre de l’Athanor en février 2002.
• Un monologue, Madeleine B - La lune rousse, Le Grand Parquet, Paris, juin 2005.
Fiction et Poésie :
• Ruines, roman, éditions Via Valeriano, 1998.
• À perte de voix, nouvelle, Revue Marseille, juin 2000.
• Trop de mémoire, nouvelle, Autre Sud, octobre 2000.
• Le Béret de ratine, nouvelle, Europe, octobre 2001.
• La Mort dans nos poumons, roman, éditions Via Valeriano/Leo Scheer, hiver 2002.
• Virginia Woolf à Cassis, Roches et failles, Images En Manœuvres Editions, 2002.
• Marcel Pagnol à Aubagne, Sources et collines, Images En Manœuvres Editions, 2003.
• Albert Cohen à Marseille, Images En Manœuvres Editions, 2003.
• Madeleine B. ou la lune rousse, monologue, éditions de l'Amandier, 2006.
• Jardin sous le givre, roman, éditions aden, 2007.
• Le Charognard, roman, éditions du Rocher, 2007.
• Olympe de Gouges, Une vie comme un roman, roman, Éditions de l’Amandier, 2008.
• Dans le silence des mots, poésie, Éditions de l'Amandier, 2008.
• Méditations de lieux (en collaboration avec Claude Ber et Adrienne Arth), Éditions de l'Amandier, 2010.
• Par-delà les murs, poèmes (avec des photographies de Patrick Gardes et des gravures de Martine Rastello), Éditions de l'Amandier, 2010.
• Le Poupon, roman, Éditions de l'Amandier, 2011.
• L'Eau tremblante des saisons, poésie, Éditions de l'Amandier, 2012.
• Sous le lichen du temps, poèmes en prose, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves-Accents aigus, 2014.
• Louise Colet | Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur, Éditions de l’Amandier, Collection Mémoire vive, 2015.
• Histoires de Femmes, Poèmes, Éditions Cassis Belli, 2016. Dessins de Stéphane Lovighi-Bourgogne.
• La Lumière la même, Éditions Pétra, 2017. Dessins de Stéphane Lovighi-Bourgogne.
|
Evidemment très troublée par cette évocation qui ressemble à un millefeuilles à la frangipane...
Le seul moyen de ne pas en perturber la beauté, c'est de l'inhumer dans une lecture avec un linceul de tendresse. Je ne crois pas aux livres qui ne disent pas une certaine vérité sur à peu près tout. Que de sépulcres pour l'Amour ! Et que de Beauté de Vivre dans les Mémoires Vives, elles aussi !
Plus que jamais "Dans le sillage"... Chère Angèle...
Rédigé par : Mth P | 13 août 2008 à 01:01