éditions Grasset, 2004
Ph., G.AdC LE HUIS CLOS D'UN SCRUTATEUR Quelle partie d’échec se tisse dans l'étrange duel de cette Partition (Alain Veinstein) ? Quel combat à la vie à la mort se joue dans cette convocation d’un père par son fils ? Comment se trament, se combinent, se transforment les forces qui drainent cet invisible tête-à-tête mortel ? Lui, le père, est un pianiste de renommée internationale. Un monstre, selon le narrateur, son fils. De quel crime Samuel Wallasky est-il donc coupable ? Quel morceau de chair ce fils âgé d’une trentaine d’années veut-il faire dégorger à cet homme au moment de le faire mourir ? C’est ce que nous livre à déchiffrer, dès les premières mesures, cette partition aux accents de meurtre et de tragédie. Pourtant, le titre du roman est tout autre. Bref, neutre, presque abstrait. Il ne laisse rien filtrer de la portée musicale que le narrateur va tenter de parcourir au jour le jour. Tapi dans le grenier de la maison qu’habitent Wallasky et sa compagne, cultivatrice en fleurs mortuaires, le narrateur observe. À travers les lattes disjointes du plancher, il observe par le menu le couple qui s’aime et se déchire. Rien n’échappe à ce scrutateur de tous les instants. Pas même les pauvres et tragiques coïts du couple. Ni les gestes de plus en plus alentis du pianiste ou la beauté de ses doigts effilés courant sur le clavier. Encore moins la douleur qui défait ses traits à mesure que son corps se penche et se tord sur le piano. Épier le père pour se l’approprier et le détruire. Démasquer le monstre. Fouiller sa vie et sa chair pour en débusquer la faille. Lui faire éructer son secret au milieu des râles et du sang. C’est là qu’est le projet du fils. Une mise à mort doublement efficace. Qui doit signer la réparation de l’injure faite à sa mère en même temps qu’elle doit permettre au fils de le faire naître enfin à la vie. Or, quelques jours à peine suffisent pour voir se dégonfler l’image baudruche du père. Quelques jours à peine pour que la partition change de registre et se charge d’une incontrôlable émotion. Et si la mort est toujours au rendez-vous, ce n’est pas celle que le fils attendait. C’est que la partition, pareille à un Janus bifrons, laisse peu à peu entrevoir une page vierge. Il aura suffi de quelques jours pour que la haine se mue en un imprévisible et indéchiffrable amour. Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli EXTRAIT C’est un commencement. J’apprends à tuer. Je répète en vue du grand jour. Je serai capable, je te l’assure mon amour, de la plus grande froideur. Mes mains ne trembleront pas au moment d’actionner le chien. En ce moment, je suis à trois mètres d’eux. Ils sont rentrés sans s’accorder un regard. Chacun se comporte comme si l’autre n’existait pas. Wallasky fait un feu de cheminée. Il a pris le risque de débrancher les bûches en plastique, c'est-à-dire d’affronter le tonnerre et la foudre. Les brandons s’envolent très au-dessus des flammes, avant de s’éteindre et de disparaître dans le conduit. Je suis tenté de lire dans les cendres un message qui me serait destiné. Je ne peux en détacher les yeux, fasciné, sans pouvoir interpréter le prétendu message autrement qu’en me racontant des histoires, évidemment tirées par les cheveux. Ce que je ne veux à aucun prix. Si j’ai un dessein, c’est de coller à ce que je vois, et de m’en tenir là… […] En l’observant, j’ai plus que jamais le sentiment d’un viol, d’un rapt. Et je pense à ce rapt que j’ai subi moi aussi dans l’enfance, à ce gâchis, à cette vie manquée qui m’a laissé au bord de la musique comme de toute chose. Pourtant, quand j’entends cet homme jouer, c’est sa grâce qui me subjugue. Je crois entendre les battements de son sang… (p. 145) |
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Lire aussi la terrible "Lettre ouverte à Léo Scheer" dans laquelle Alain Veinstein raconte comment il se trouve aujourd’hui évincé de sa maison d’édition Melville.
Rédigé par : Florence Trocmé | 25 décembre 2004 à 17:55
Pour qui connaît ou a connu Léo Scheer avec ou sans intérêts personnels engagés (je veux dire même amicalement, puisque même ses amis les plus proches ont pu se trouver victimes en tout désintéressement) moi, qui ne connais pas Veinstein - au demeurant ne le trouvant pas obligatoirement sympathique quoique talentueux depuis un bail, ce qui n'engage rien d'obligatoirement aimable - sachez qu'il ne convient pas de chercher autre chose dans la lettre ouverte que Veinstein a faite paraître dans le Nouvel Obs en décembre qu'un portrait objectif du pervers, tel qu'il est défini ici, un enfant qui vous prend pour son jouet - avoir droit de vie et de mort sur le jouet - sauf si... apparemment ici le "sauf" n'existait pas 'sauf cette lettre - que personne d'autre l'ayant écrite n'aurait plus espérer voir publiée...
De là : pour des gens qui pourtant ne sont pas démunis, quelle naïveté face à l'argent, quand même ! 19 titres par an, en premier tirage intégralement racheté par une administration de diffusion interne : opération fiscale réussie de l'édition à la diffusion - mais encore sachant le nombre d'éditeurs pris ainsi en compte par ces éditions/ diffusions : qui avance le capital ?
Rédigé par : Orphée Delarue | 14 mars 2005 à 23:29